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Stephen Milling : Hagen (2015 et 2016)

C’est avec les deux Gibichungen, l’un des trois nouveaux personnages qui apparaissent dans Götterdämmerung. À la lignée de Wotan correspond une lignée d’Alberich dont le Ring ne parle pas, mais dont l’histoire ne fut pas si facile : Hagen ne fut pas un enfant heureux. On le sait parce qu’il le dit lui-même. Et Castorf a senti cette face cachée d’un Hagen, certes fils d’Alberich, mais aimant, et aimant sa mère. Un Hagen avec des faiblesses qui en fait un personnage à mi-chemin entre le tout-méchant et l’un-peu-gentil. Face aux Gibichungen, qui sont deux naïfs, il est la tête pensante, celle qui conçoit le piège dans lequel il va faire tomber Siegfried, mais il est aussi celui qui est programmé pour conquérir l’anneau (tout comme Siegfried d’ailleurs).
Chez Castorf, il fut en 2013 et 2014 incarné par le pâle Attila Jun, mais il avait un signe distinctif, une coiffure punk en crête, que le personnage arbore encore dans les vidéos, mais que son successeur bien moins pâle Stephen Milling (2015–2016) ne porte plus…
Cette coiffure en faisait un personnage isolé, particulier, vaguement chamanique. Le Hagen de Castorf en contact avec les forces obscures du vaudou et en accord avec ses origines fortement chtoniennes. Fréquentant comme son père Alberich et les Nornes, filles d’Erda, le réduit dans lequel s'organise le rituel vaudou, il fait comme eux le même geste de recracher un liquide mystérieux au-dessus des offrandes.

C’est aussi le seul qui représente une puissance, celle de la foule, celle de ses partisans qui s’agitent parce qu’ils ont faim : la scène rappelle un peu le Ring de Jürgen Flimm (2000–2004) dont on parle peu, avec raison, tant il fut une resucée de Rings divers et précédents, où les partisans de Hagen venaient manifester avec calicots et drapeaux. Préambule à la fameuse scène du rassemblement des vassaux au second acte de Götterdämmerung, les appels de Hagen sont rehaussés par un éclairage lugubre et l'image de Patric Seibert aiguisant ses (longs) couteaux derrière son comptoir.

Après le meurtre de Siegfried (à coup de batte de baseball et non avec la lance qu’il arbore cependant) on le voit, sur l’écran, marchant longuement dans une forêt, comme en communion avec une nature sauvage mais pas hostile.
Profondément méprisant envers les deux Gibichungen, Gunther comme Gutrune, à qui il offre la fameuse Isetta, comme pour l’acheter, et dont il ne dédaigne pas le corps s’il méprise l’esprit ; il semble plus leur en vouloir qu’à Siegfried, dont il ne veut – sans succès – que l’anneau. Mais là aussi, il échoue, en tentant de le récupérer au-dessus du baril en feu, mais il n’est pas Siegfried et ne se rit pas des flammes, même pour l’anneau qu'il tente vainement de sauver des flammes dans lesquelles l'avaient jeté une des filles du Rhin.
À la fin du Ring, il reste Alberich – c’était la dernière vision si puissante du Ring de Kupfer. Castorf préfère l'imaginer en route vers de nouveaux horizons, abandonnant Hagen et les filles du Rhin, qui contemplent avec un air de lassitude l'anneau qui se consume dans un baril de pétrole en flammes. Hagen a laissé tout finir sans aucune prise sur les événements. Sur l’écran, l’histoire telle qu’on la rêve, les filles du Rhin songeuses devant une étendue d’eau (le Rhin ?). Une araignée se consume dans les braises en même temps que prend fin la malédiction de l'anneau tandis que le cadavre de Hagen vogue paisiblement, comme un hommage posthume à un personnage dont Castorf ne donnera jamais la clef, lui préférant la délicieuse ambiguïté du théâtre…

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Attila Jun (Hagen 2013 & 2014)

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