frene

Auprès de mon arbre,
Je vivais heureux,
J'aurais jamais dû m'éloigner de mon arbre…
Auprès de mon arbre,
Je vivais heureux,
J'aurais jamais dû le quitter des yeux…

Ce refrain d’"Auprès de mon arbre" de Georges Brassens[1] aurait pu inspirer Wotan, appuyé sur l’arbre qui soutient le monde, et qu’il a trahi depuis les origines. En effet, les interprétations sont nombreuses : Arbre de la connaissance, arbre du monde, arbre cosmique… cet Irminsul ou Yggdrasil est associé dans la mythologie nordique à ce frêne symbole d'immortalité et qui soutient le monde en servant de lien entre les trois niveaux du cosmos. C'est notamment en restant pendu à une branche d'Yggdrasil, percé d'une lance, durant neuf jours et neuf nuits qu'Odin (Wotan) découvrit le sens des runes. Symbole de solidité et de puissance, le frêne servait notamment à la fabrication des hampes de lances. Le librettiste Wagner s'inspire très librement inspirée de ce mythe scandinave lorsqu'il imagine Wotan fabriquant sa lance des traités à partir d’une branche arrachée au frêne du monde.

…"J'ai plaqué mon chêne
Comme un saligaud,
Mon copain le chêne,
Mon alter ego,
On était du même bois
Un peu rustique, un peu brut,
Dont on fait n'importe quoi
Sauf, naturell'ment, les flûtes…
J'ai maint'nant des frênes,
Des arbres de Judée,
Tous de bonne graine,
De haute futaie"…

Agissant en profanateur, le Dieu des dieux commet une sorte de péché originel qui entraînera le dépérissement de l'arbre ainsi que sa propre fin. Erda a eu beau le mettre en garde, Wotan n'en a cure. Inconscient et désireux de pouvoir, il "vivait heureux" mais perdra son bonheur en cherchant une forme de pouvoir dans la domination de la nature (Tout comme les humains que Castorf met en scène dans leur soif insensée de Pétrole)

Revenons donc à ce frêne et à cette lance à la signification assez évidente : axe et pivot de l’univers, sa rigidité sert de base et féconde le chaos initial. Appelée en vieil islandais Gungnir, la lance du dieu Odin est célèbre car elle ne peut pas être arrêtée pendant son jet, ne rate jamais sa cible et revient à la main du lanceur. Cette lance rappelle par métonymie ce frêne, symbole phallique du pouvoir et de l'autorité politique et sexuelle.

Frank Castorf ne donne pas à voir cette lance des Traités, préférant laisser de côté ce célèbre accessoire. Plus subtilement sans doute, il préfèrera montrer ce frêne que la plupart des metteurs en scène oublient le plus souvent. L'arbre-monde apparaît dans Rheingold sous une forme ironiquement détournée : un étendoir à linge jouxtant le Rhin-piscine de jardin…

Les trois Filles du Rhin sont, comme dans le Ring de Chéreau, trois "filles" à la moralité assez aléatoire qui s'amusent d'Alberich comme d'un client importun. N'oublions pas que ce Golden Motel a tout du claque et de la maison close, que dissimule la façade anonyme de la station-service. Quand le rideau se lève, les trois donzelles sont occupées à faire sécher…sur cet étendoir leurs petites culottes alternativement noires, rouges et jaunes[2]. Peu importe que Castorf ne les montre pas se baignant dans l'eau de la piscine mais on imagine facilement la "connaissance" qui pend aux branches de cet accessoire stylisé, cet arbre pour demi-mondaines. En détournant le symbole pour mieux le montrer, y compris dans cet élément en apparence incongru, Castorf réalise la prouesse d'éclairer les relations entre pouvoir et politique à travers plusieurs niveaux de significations : Pouvoir = Domination = Sexe = Connaissance etc.

[1] https://www.youtube.com/watch?v=Q3-_8SblRIQ

[2] Cf. article Allemagne

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