Connus pour leurs installations éphémères consistant à "emballer" bâtiments, monuments ou éléments naturels dans un paysage, le couple d'artistes Christo et Jeanne-Claude ont inspiré à Frank Castorf deux citations particulièrement savoureuses.

La première intervient au dernier acte de Götterdämmerung, à l'heure où s'amorcent la chute des dieux et l'émergence d'un monde neuf. Une façade néo-classique recouverte d'une immense bâche surgit en fond de scène pour matérialiser le Walhalla promis à la destruction par les flammes… La forme rappelle le mémorial éponyme érigé par Louis II de Bavière en l'honneur de la civilisation allemande à Donaustauf, sur les rives du Danube. On pense également à une autre façade célèbre, celle du Reichstag "emballé" par Christo en 1995. Surprise : La bâche se déchire et l'on découvre… la bourse de New-York (New-York Stock Exchange, Wall Street). Un œil aiguisé pourra même apercevoir aux fenêtres des toiles abstraites dont on imagine qu'elles participent au marché de l'art, tout comme les ébauches de Christo dont la vente permet le financement de ses installations.

Mais revenons à la piste Reichstag. Ce geste artistique de Christo célèbre la réunification de l'Allemagne comme un événement symbolique pour le monde entier. À travers une œuvre artistique "monumentalement monumentale", impossible à posséder ou acheter, Christo s'inscrit en opposition à la médiatisation à outrance et à la société de consommation.

Christo and Jeanne-Claude: Wrapped Reichstag, Berlin 1971-95 Photo: Wolfgang Volz. ©1995 Christo + Wolfgang Volz

Ce monument chargé de souvenirs douloureux symbolise le pouvoir politique allemand, mais également le début de la persécution nazie envers les communistes. L'incendie du Reichstag dans la nuit du 27 au 28 février 1933 par Marinus van der Lubbe, préfigure l'embrasement politique qui mènera à la Seconde Guerre mondiale. Un détail a son importance dans l'installation de Christo : Les 100 000 m² de tissu de polypropylène qui seront nécessaires au projet présentent la particularité insolite d'être ignifugés par une couche en aluminium. Les vandales qui tentèrent d'accélérer le caractère éphémère de l'œuvre en y mettant le feu le découvrirent à leurs dépens… Jouer avec cette confusion Walhalla-Reichstag laissait penser à une partie du public que Castorf mettait en scène sur le mode de la provocation anarchiste une nouvelle destruction du parlement allemand. En poussant la métaphore, ce Reichstag promis aux flammes était ce Walhalla wagnérien – ici associé au lieu où se réunissent les parlementaires politiques de la nouvelle Allemagne. Le rideau tombe, et comme un magicien dévoilant l'objet qu'il avait auparavant dissimulé, Castorf transforme le Reichstag en temple du capitalisme mondial. Libre à nous d'analyser ce tour de passe-passe comme une mainmise de la finance sur le politique (et plus particulièrement la soumission de l'Allemagne aux Etats-Unis, selon certains commentateurs). Cacher pour révéler, en quelque sorte.

Autre moment-Christo : le bûcher au pied duquel le corps de Siegfried repose, enveloppé dans une bâche en plastique. L'empilement de barils de pétrole fait penser à l'installation Wall of Oil Barrels – The Iron Curtain construite rue Visconti à Paris en juin 1962.

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L'idée de Christo de Jeanne-Claude, alors au tout début de leur carrière, était de protester contre la construction du Mur de Berlin, un an plus tôt. Entre barricade et mur-frontière, ces barils fermaient hermétiquement la circulation dans une rue déjà très étroite, mettant l'accent sur les intérêts politico-économiques qui avaient servi de prétexte à la dramatique partition de Berlin. Surgissant au détour d'une rue berlinoise, ce mur métaphorique est un élément supplémentaire de la dimension rhizomique du travail de Frank Castorf. Rien d'étonnant en tous cas à ce qu'il ne s'approprie une forme d'expression esthétique qui emballe la géographie et l’Histoire…

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