20150720_153513_w
Anja Kampe (Sieglinde) Johan Botha (Siegmund) en 2015

Comme Brünnhilde, la figure des deux jumeaux dans cette mise en scène ne tranche pas sur les représentations traditionnelles. Dans la vision de Frank Castorf, ils ont un rôle fonctionnel : faire avancer l’histoire, c’est à dire essentiellement faire naître Siegfried.

La figure de Siegmund, portée par le regretté Johan Botha pendant les trois premières années est une figure relativement modérée, qui n’a rien du héros flamboyant à la Peter Hoffmann (chez Chéreau). Très contraint par la personnalité des chanteurs-acteurs, Castorf fait porter la flamboyance par la Sieglinde d’Anja Kampe.  Et d’ailleurs le couple triomphait de manière indescriptible.
Autant dire qu’en 2016, les choses ont sensiblement évolué : à Johan Botha, succède Christopher Ventris et à Anja Kampe succède Heidi Melton. Johan Botha n’était pas un acteur, mais Castorf lui avait conçu des mouvements ad hoc qui lui donnaient ce profil à la fois naïf et un peu perdu, tandis que Anja Kampe était au contraire celle qui brûlait de l’attente du « sauveur » : elle brandit Notung comme si c’était elle qui triomphait. Christopher Ventris n’a pas la voix de Botha et n’a pas une personnalité scénique marquée et Heidi Melton, arrivée tard sur la mise en scène, est plus passive et l’image globale des jumeaux s’en ressent. Comme on le voit, la personnification des jumeaux dépend étroitement de la personnalité des chanteurs, autant dire qu’il n’y a pas de geste de mise en scène marquant autour de leur personnage.
Néanmoins, quelques éléments frappent dans ces scènes :

  • Le contexte : une ferme d’Azerbaïdjan, qui est à la fois ferme et puits de pétrole selon les photographies de l’époque puisque le pétrole était exploité par des fermiers. Signe de cette ambiance, le couple de dindons dans la cage, métaphore du couple des jumeaux, que Sieglinde nourrit machinalement (elle le refera, cage vide, au troisième acte).
  • La présence des ballots de foin, qui servent d’appui à Siegmund, et aussi quelque peu de cache
  • Une ambiance apparemment tranquille au lever de rideau, mais bien vite effacée par deux signes que la terreur règne : un cadavre sanglant dans une charrette au premier plan (qu’on retrouve dans Götterdämmerung), et l’arrivée de Hunding, en chapeau claque avec au bout de sa lance une tête coupée. Horreur ordinaire de laquelle personne ne s’étonne. La terreur est quotidienne chez les Hunding.

Dans cette ambiance, la scène du somnifère est exceptionnellement détaillée, grâce au jeu de la vidéo qui permet d’en faire une sorte de film noir muet : regards de Sieglinde, geste bien calculé avec la fiole, sourire satisfait de Sieglinde après avoir donné la boisson à son mari. Tout cela pendant que Siegmund est passif dans sa paille. C’est bien Sieglinde qui agit.

La vidéo permet aussi de voir Hunding endormi, mais qui a un mauvais sommeil, un peu troublé, dans la pièce dissimulée aux regards du spectateur.
Au deuxième acte, le moment marquant est Sieglinde endormie sur un lit recouvert de feuilles de la Правда, secouées par le vent comme des feuilles mortes, tandis que le meurtre de Siegmund, une des "scènes" marquantes depuis les trouvailles de Chéreau se passe dans l’espace intérieur du hall-ferme-puits avec un montage serré et des gros plans stupéfiés des protagonistes : le regard de Siegmund qui découvre son père est un moment extraordinaire.

Au troisième, Sieglinde arrive, automate assommée par la douleur dans le décor du premier acte, elle reprend ses habitudes et, comme précisé ci-dessus, elle va donner à manger aux dindons qui ne sont plus là. Est-ce encore la ferme ? Sans doute un souvenir de ferme, puisque le temps a avancé, comme toujours et systématiquement dans cette mise en scène où Aleksandar Denić conçoit des lieux qui sont ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait autres et ici le lieu du premier acte est réinvesti par les Walkyries et la terrasse des Hunding est devenue une sorte de Biergarten : un lieu, des fonctions.
Arrêt traditionnel sur image : les jumeaux de Castorf ressemblent à tous les jumeaux de toutes les mises en scène du Ring : ce n’est pas un hasard si Die Walküre de Castorf a été considéré par le public et la critique comme le plus traditionnel des quatre opéras, celui où une partie du public retrouve un peu ses marques après l’ébouriffant Rheingold.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici