Isetta
À l’origine, l’Isetta, un des véhicules les plus originaux des années 50, est un petit véhicule urbain conçu par l’italien Rivolta, à l’origine fabricant de réfrigérateurs. Il est destiné à concurrencer les scooters (Vespa et Lambretta), son nom provient directement de la marque ISO Rivolta. Le véhicule qui s’ouvre vers l’avant à la manière des avions-cargo est fabriqué sous licence dans divers pays, mais est fortement concurrencé en Italie par la FIAT 500 : c’est en Allemagne, fabriqué par BMW, que l’Isetta aura le plus gros succès (plus de 130000 véhicules entre 1954 et 1962), et deviendra un des symboles de la reconstruction industrielle de l’Allemagne.
Castorf construit trois journées qui chronologiquement traversent l’histoire du monde (pétrolifère) du milieu du XIXème à nos jours. Si Siegfried s’arrête à la victoire de la lutte idéologique entre Est et Ouest, sur un Berlin Est emblématique du communisme, à l’ombre de quelques monuments symboles (la Fernsehturm), Götterdämmerung traite de Berlin Est et Ouest, de la division de la ville par le mur, et de la victoire finale d’un Walhalla-Wall Street (qui bienheureusement commence par les mêmes lettres.
Dans sa vision, les Gibichungen, qui sont chez Wagner des médiocres, et qui visent à gouverner le monde (une parabole encore d’actualité aujourd’hui), sont des sortes de caïds de quartier et Hagen, qui les manœuvre, achète Gudrune en lui offrant le symbole de réussite qu’est l’Isetta, couverte d’abord d’une bâche de plastique noir, qui couvre aussi les meubles de la fin du deuxième acte, et qui couvrait Brünnhilde endormie dans Siegfried, et le cadavre de Siegfried au troisième acte : le pétrole est partout, dans la bâche comme dans l’automobile : le pétrole dicte aux peuples leur symboles de réussite.
L’Isetta a ainsi plusieurs fonctions, d’abord, elle est ce symbole de reconstruction post belliqueuse, ensuite, sa forme ovoïde (on l’appelait das rollende Ei, l’œuf roulant), en faisait un symbole de monde en gestation. Pour la scène, elle est très maniable dans un espace particulièrement réduit (il faut rappeler à cet effet l’extraordinaire virtuosité de la gestion des mouvements dans le deuxième acte), enfin, elle permet à Castorf un jeu très ironique entre le costume de Gutrune (turquoise) et la couleur de l’Isetta (turquoise aussi) comme par imprégnation, et l’amour pour sa voiture de Gutrune dévorée par le consumérisme, qui la préfère presque à Siegfried. C’est l’occasion de jeux désopilants entre Brünnhilde qui touche et donc « souille » la divine voiture, et Gudrune, effrayée et colère, qui veille au « grain ».
L’Isetta est enfin un moyen de rappeler au public de Bayreuth, qui appartient pour l’essentiel à la génération Isetta, d’où il vient…