En affichant Rigoletto, Il Barbiere di Siviglia, Die lustige Witwe, le Teatro dell’Opera di Roma propose pour cette saison d’été bousculée par le Covid trois titres susceptibles de réunir un public nombreux, et c’était le cas ce soir pour ce Barbiere. Dans la chaleur de l’été romain, dans une Rome loin d’être investie par les masses (les hordes ?) touristiques, le public est là, en grande partie italien (cela se voit immédiatement à l’élégance des vêtements d’été…) et l’on jouit du Palatin éclairé, du chant des cigales, mais aussi des bruits de la ville, bars alentours, ambulances, automobiles. C’est un arrière-fond inévitable, mais accepté de bonne grâce.
Ce Barbiere di Siviglia est mis en espace, chaque élément de la distribution connaît bien l’œuvre, et les personnages jouent, se meuvent, font rire. C’est minimaliste certes, mais remplit le proscenium, puisque sur la scène se trouve l’orchestre (un peu) distancié, et le chœur en arrière-plan distribué sur toute la largeur de l’espace très vaste.
Au fond, sur l’immense écran se succèdent des « diapositives » colorées donnant les titres des airs et ensemble (projet visuel de Gianluigi Toccafondo), illustrant une ambiance joyeuse et une trame affichée ici comme une succession de morceaux de bravoure. N’importe, cet affichage joyeux, même si élémentaire (il n’y a pas trop de fatigue créative derrière), contribue à donner à la soirée, cette couleur légère que possède la musique de Rossini. N’oublions pas que Il Barbiere à été créé à quelques centaines de mètres, au Teatro della Torre Argentina. Ce Rossini-là est donc un peu chez lui.
C’est Stefano Montanari qui dirige ce soir, ce chef, à qui Serge Dorny a fait confiance pour l’essentiel du répertoire XVIIIe proposé à L'Opéra de Lyon ces dernières années, est en réalité d’abord un violoniste, violon solo de l’Accademia Bizantina d’Ottavio Dantone pendant 17 ans, et spécialiste du répertoire baroque. Il a gagné ses galons de chef à Lyon, et se trouve désormais à juste titre reconnu aussi ailleurs (Stuttgart, Zurich, Londres, Valencia, Vienne) et en Italie on le voit désormais dans tous les grands théâtres (Venise, Cagliari, Rome, Naples, Bergamo). Il devait diriger ce printemps à Lyon Le Nozze di Figaro très attendues d’Olivier Assayas, annulées pour Covid, et qu’on retrouvera dans des temps meilleurs.
Montanari, qui est aussi pianiste, est au clavecin et dirige le continuo.
On reconnaît tout de suite sa patte, son énergie, et surtout sa précision et sa clarté. Quand on est habitué à sa vivacité et à ses tempi soutenus, on est un peu surpris d’entendre un Barbiere moins effréné qu’attendu, même si bien scandé et aux ensembles magnifiquement dominés. Les chanteurs étant derrière lui, il veille à être en phase, à les soutenir, à le jamais trop lâcher la bride, presque « limité » dans ses élans. Sa direction assez ciselée manque pour tout dire un peu de cette folie que nous lui connaissons quelquefois. On reste dans une aimable conformité. Est-ce l’absence de mise en scène qui pourrait donner un rythme à l’ensemble et imprimer une couleur plus marquée à la direction musicale ? Il reste que ce Barbier à l’orchestre nous laisse un poil sur notre faim.
Le chœur, assis en fond de scène et distancié, est comme d’habitude particulièrement bien préparé par Roberto Gabbiani, un des grands de la direction du chœur en Europe, avec un beau phrasé, dans des conditions qui ne sont pas faciles.
L’ensemble de la distribution est homogène et défend la partition avec engagement, signalons d’abord la charmante Berta de Francesca Benitez qui se sort très bien de son air Il vecchiotto cerca moglie, avec ironie et fraicheur, c’est un des jolis moments de la soirée. Les autres rôles secondaires sont bien tenus, comme le Fiorello d’Alessandro Della Morte, issu du programme « Fabbrica » de formation des jeunes artistes de l’Opéra de Rome.
Nicola Ulivieri est bien connu et son Basilio sans être des plus puissants dans La Calunnia est expressif, avec les couleurs voulues, et son chant n’est jamais excessif ou exagéré dans la caricature.
Une jolie surprise vient de la Rosina de Chiara Amarù, la voix est claire, puissante, les agilités sans failles, la présence scénique affirmée et particulièrement sympathique. Il faudra la revoir dans une production scénique pour se faire une idée définitive, mais l'impression est vraiment positive.
Marco Filippo Romano est un Bartolo qui occupe la scène, qui essaie de « jouer », il provoque souvent les rires du public, et la voix est puissante, expressive, un peu « tout d’une pièce » cependant, sans trop de nuances, mais il est vrai que les conditions d’exécution de favorisent pas les nuances. Cela reste un très bon Bartolo.
En retrait l’Almaviva de Giorgio Misseri, qui dès son air d’entrée, Ecco ridente in cielo, montre des difficultés dans les aigus, dans la justesse, avec une certaine fadeur dans l’expression ; ce rôle ne semble pas lui convenir. Le timbre manque de luminosité, les agilités sont difficiles, les aigus n’ont pas ce naturel entendu chez d’autres titulaires du rôle. C’est un peu le maillon faible d’une distribution par ailleurs correcte sans être exceptionnelle. Son air final, Cessa di più resistere, est un peu mieux dominé, mais sans le vrai charme que requiert le moment, ni le feu d’artifice attendu.
Davide Luciano n’a pas grande difficulté à s’imposer dès Largo al factotum son air d’entrée qui est en même temps la signature attendue du personnage. N’ayant pas le soutien d’une mise en scène qui mettrait le personnage en relief, c’est là qu’il doit tout donner. De fait, il montre une maîtrise notable du volume sur tout le spectre, et notamment avec des aigus triomphants, et un style impeccable comme le montrent les sillabati complètement maîtrisés. C’est vraiment le Figaro du moment, même si pour un tel personnage, le lieu, les conditions empêchent un jeu qui lui donne une puissance incroyable quand il est bien dirigé. Nous écrivions d'ailleurs à propos de son Barbiere de Pesaro en 2018 : « il est un Figaro incroyable de vivacité, de sveltesse. Il court, il saute…il tourbillonne, avec peut-être la seule voix du plateau à vaincre totalement la fatalité de l’acoustique hasardeuse de la Vitrifrigo Arena : une voix sonore, magnifiquement projetée, aux aigus triomphants mais homogène sur tout le registre »
Il est n’est pas tout à fait à cette hauteur, simplement parce qu’il n’est pas dirigé par une mise en scène (c’est dans ces moments qu’on peut juger de l’importance de la réalisation scénique). Il reste qu’il domine le plateau et que la prestation est particulièrement respectable.
Au total, ce fut une belle soirée d’été, une belle soirée romaine, une discrète soirée rossinienne, dont on gardera un souvenir agréable : sans être Il Barbiere de l’année, il restera celui du mois.