Vue générale de la saison 2020–2021

  • Hofesh Shechter, Jerome Robbins, Crystal Pite
    ( 14 repr dont une spéciale jeune)
  • Sidi Larbi Cherkaoui, Sharon Eyal, Frederic Ashton Dir : Vello Pähn (Orch ONP) (NP) (17 repr) (oct/nov 2020)
  • Programme Jiří Kylián (NP) (25 repr) (Déc/janv 2020)
  • La Bayadère (Minkus), chorégraphie Rudolf Noureev, Dir Guillermo Garcia Calvo (Orch ONP) (17 repr) (Déc.2020/janv.2021)
  • Peeping Tom Compagnie invitée (5 repr) (Janv.2021)
  • Sadeh 21 (Ohad Naharin) (22 repr) (Fevr.2021)
  • Le Parc, chorégraphie Angelin Preljocaj Dir : Benjamin Schwartz (Orch.ONP) (27 repr.) (Mars-avril 21)
  • Jeunes danseurs de l’Opéra (mars-avril 2021) (7 repr.) Programme à définir
  • Notre Dame de Paris (Maurice Jarre) Chorégraphie : Roland Petit (Mars-mai 2021) (26 repr.)
  • Hommage à Roland Petit Chorégraphie Roland Petit Dir.Pierre Dumoussaud (Orch. Pasdeloup) (23 repr.)
  • Spectacle de l’École de danse 3 démonstrations (Déc.2020), 3 spectacles et un gala (Avril 2020)
  • Romeo et Juliette (Prokofiev) Chorégraphie Rudolf Noureev Dir :Vello Pähn (Orch ONP) (Juin 2021) (13 représentations)

 

Saison 2020–2021 du Ballet de l'Opéra National de Paris

Comme les lecteurs de ce blog le savent bien, si j’aime le ballet, notamment académique, je n’en suis pas un spécialiste et aurais bien du mal à entrer dans les détails de l’interprétation d‘un rôle, sauf exception et quand saute aux yeux une performance qui sort du lot (Olga Smirnova dans le Lac des Cygnes par exemple).
Il apparaît cependant nécessaire d’analyser une situation qui n’est pas très bonne, à cause d’un pilotage erratique et de choix aussi peu clairs qu’éclairés, ainsi qu’un désintérêt apparent de Stéphane Lissner envers le Ballet après le départ de Benjamin Millepied, qu’il a avait choisi, et qui était une excellente idée.

Quelques éléments généraux

Le Ballet de l’Opéra de Paris est la plus ancienne Compagnie au monde, tout comme son École de danse, fondée en 1713, comme école de l’Académie royale de danse. Le Ballet de l’opéra de Paris doit être considéré comme un des creusets de la danse académique, et restera une référence jusqu’à la fin du XIXe siècle, même si durant le XIXe les plus grandes danseuses sont italiennes (Marie Taglioni par exemple), supplanté par le Ballet Impérial de Saint Pétersbourg dirigé par Marius Petipa (Français, né à Marseille, ne l’oublions pas).
Malgré une concurrence qui va se développer tout au long du XXe siècle, le Ballet de l’Opéra de Paris reste une référence artistique, avec la période Serge Lifar d’abord, autour de la deuxième guerre mondiale, et après les années 70, grâce à la présence de Rudolf Noureev, danseur d’abord, puis directeur de la Danse de 1983 à 1989, dont le directorat et la refonte du répertoire qu’il va opérer marqueront profondément la Maison.
Après la courte mais dense direction de Patrick Dupond, Hugues Gall va nommer à ses côtés Brigitte Lefèvre comme directrice de la Danse. Ancienne élève de l’École de danse, ancienne danseuse du Ballet de l’Opéra, elle a aussi bien l’expérience d’une compagnie fondée avec Jacques Garnier, le Théâtre du Silence, que celle de l’administration culturelle puisqu’elle a été aussi inspectrice de la Danse au Ministère de la Culture. Elle connaît l’Opéra, elle y reste de 1995 à 2014, survivant à tous les changements de directeurs généraux : Gall, Mortier, Joel. Après son départ, le petit jeu des clans reprend puisque de 2014 à aujourd’hui, déjà deux directeurs de la Danse se sont succédé.

Artistiquement la Compagnie doit à la fois défendre le grand répertoire académique traditionnel, l’ouverture aux chorégraphes du XXe devenus classiques (Balanchine, Petit etc.), mais aussi évidemment la danse contemporaine, qui en France est particulièrement active depuis 1980, sans doute le foyer le plus riche de compagnies et de chorégraphes. Si le Ballet de l’Opéra doit consacrer des chorégraphes d’aujourd’hui, la vitalité du monde de la danse en France complète largement le rôle de l’Opéra, qui reste quand même le conservatoire d’une tradition et un creuset grâce à une formation difficile, mais à la solidité éprouvée.

Enfin économiquement, le rôle du Ballet n’est pas négligeable loin de là.
C’est en effet une troupe, et donc des salariés. Leurs apparitions ne coûtent pas en frais de plateau (sauf les quelques invités dansant au cachet, qui ont toujours été en tout état de cause rares encore plus ces derniers temps), en revanche, les représentations notamment de grands ballets académiques attirent un public nombreux, qui peuvent remplir Bastille. Alors qu’à l’ouverture de Bastille, le Ballet devait être exclusivement réservé à Garnier, on s’est aperçu vite de l’avantage qu’il y aurait à remplir Bastille avec des grands ballets du répertoire : peu de frais de plateau, et beaucoup de recettes. Le Ballet quand il danse fait rentrer des recettes dans la maison (même avec des tarifs moindres que le lyrique). C’est l’avantage du système de troupe. En plus, l’affiche varie par les solistes qui tournent, c’est un système qui fonctionne partout où des grandes troupes de ballets habitent sous le même toit qu’un théâtre d’opéra : Paris, Londres, Vienne, Munich, Milan, Saint-Pétersbourg, Stuttgart et d’autres.

La présence du ballet est donc décisive dans une maison comme l’Opéra de Paris, dépositaire d’une tradition historique (dans une maison qui s’en moque un peu depuis pas mal de temps), d’une grande tradition artistique puisque Paris est quand même dépositaire des origines de la danse académique et que le Ballet a donné un certain nombre d’étoiles référentielles (on pense notamment à Sylvie Guillem, Marie-Claude Pietragalla, Patrick Dupond dans les quarante dernières années – autant d’artistes dont les relations à l’institution furent incidemment fort conflictuelles…).

Quelle ligne pour le Ballet ?

Alors, une telle institution doit suivre une ligne rigoureuse, économiquement et artistiquement.
En terme de gestion des fonds publics, on reste quand même étonné qu’une compagnie aussi nombreuse (154 membres), de loin la plus importante d’Europe occidentale en termes d’effectif, n’arrive plus à produire d’étoiles incontestables (à quelques exceptions près, telles que Ganio, Marchand, Gilbert…) et n’arrive plus à afficher d’identité incontestée ou simplement de personnalité : elle est devenue une compagnie parmi d’autres dans le paysage européen, en affichant une programmation erratique, d’une rare pauvreté, sans structuration, sans idées, sans système de référence. En comparaison, la plupart des compagnies font l’effort de programmations infiniment mieux structurées avec des effectifs bien moindres (on pense à Amsterdam, Stuttgart, Oslo, Rome) ; à titre d’exemple, le Royal Ballet de Londres qui a une centaine de membres a des étoiles toutes incontestables, un grand prestige, et une programmation autrement plus vertigineuse.

Un résultat aussi médiocre malgré les moyens humains engagés laisse songeur, et montre surtout que Stéphane Lissner s’en est un peu désintéressé : en tant que directeur général, il doit défendre son Ballet qui est bien plus l’étendard de la maison qu’une programmation lyrique largement interchangeable avec les grandes maisons comparables, même si les choix artistiques singuliers peuvent séduire notamment en lyrique. Mais le profil général ?

Cette maison doit d’abord défendre une certaine tradition académique, qui fait partie de ses gènes, et qui justifie la formation rigoureuse de son École de danse. Ce n’est pas le rôle central du Ballet de l’Opéra de Paris d’être une compagnie de danse contemporaine. Ces tensions et discussions existent depuis les années 70 avec la création du GTROP par Rolf Liebermann dirigé par Carolyn Carlson, et depuis se pose la question de la relation au contemporain. Mais tout en reconnaissant que la présence du contemporain doit être affirmée au sein du ballet de l’Opéra, ce n’est pas sa vocation première.

Il est donc indispensable que le grand ballet de répertoire soit présent dans les saisons, pour plusieurs raisons

  • Bien des ballets romantiques ont été créés à Paris (Tradition, histoire) : Giselle, Le Corsaire, La Sylphide, Coppelia par exemple, entre 1832 et 1870.
  • Les grands ballets académiques attirent un nombreux public (Économie)
  • Ils permettent à l’ensemble de la Compagnie de danser, et de s’afficher en concurrence avec les troupes comparables, et aux Étoiles ou Premiers danseurs de défendre leur place sur le marché international, ce qui n’est pas indifférent pour la réputation du Corps de Ballet. (Aspects artistiques)

La programmation 2020–2021

Observons à l’aune de ces trois données fondamentales la programmation 2020/2021.
– Gala d’ouverture avec ouverture du ballet (une seule représentation)

  • Hofesh Shechter, Jerome Robbins, Crystal Pite
    ( 14 repr dont une spéciale jeune)
  • Sidi Larbi Cherkaoui, Sharon Eyal, Frederic Ashton Dir : Vello Pähn (Orch ONP) (NP) (17 repr) (oct/nov 2020)
  • Programme Jiří Kylián (NP) (25 repr) (Déc/janv 2020)
  • La Bayadère (Minkus), chorégraphie Rudolf Noureev, Dir Guillermo Garcia Calvo (Orch ONP) (17 repr) (Déc.2020/janv.2021)
  • Peeping Tom Compagnie invitée (5 repr) (Janv.2021)
  • Sadeh 21 (Ohad Naharin) (22 repr) (Fevr.2021)
  • Le Parc, chorégraphie Angelin Preljocaj Dir : Benjamin Schwartz (Orch.ONP) (27 repr.) (Mars-avril 21)
  • Jeunes danseurs de l’Opéra (mars-avril 2021) (7 repr.) Programme à définir
  • Notre Dame de Paris (Maurice Jarre) Chorégraphie : Roland Petit (Mars-mai 2021) (26 repr.)
  • Hommage à Roland Petit Chorégraphie Roland Petit Dir.Pierre Dumoussaud (Orch. Pasdeloup) (23 repr.)
  • Spectacle de l’École de danse 3 démonstrations (Déc.2020), 3 spectacles et un gala (Avril 2020)
  • Romeo et Juliette (Prokofiev) Chorégraphie Rudolf Noureev Dir :Vello Pähn (Orch ONP) (Juin 2021) (13 représentations)

Quelques observations :

Si l’on excepte le gala d’ouverture et les spectacles de l’École de danse, l’Opéra présente 11 spectacles de ballet mais au total 202 soirées de ballet ((qu’on me pardonne éventuelles les erreurs de chiffrage)) dont :

  • Deux spectacles de chorégraphes contemporains (en plus il y aura les soirées monographiques qui suivent)
  • Trois spectacles monographiques (Jiří Kylián, Ohad Naharin, Roland Petit)
  • Un ballet créé pour l’Opéra (1994) (Le Parc)
  • Une compagnie contemporaine invitée (Peeping Tom)
  • Un « grand ballet classique » (La Bayadère)
  • Deux classiques du XXe (Romeo et Juliette et Notre Dame de Paris)

Si l’on compte en nombre de soirées de ballet, il y a 172 soirées au bas mot dédiées à des chorégraphes du XXe, et 17 pour le ballet académique. On peut aussi considérer que les soirées dédiées à Roméo et Juliette et à Notre Dame de Paris sont des « classiques » du XXe.
Notre décompte serait alors

  • Ballet académique : 17 soirées,
  • Classiques du XXe : 39 soirées,
  • Tout le reste est plus ou moins du XXe et du contemporain soit 133 soirées

En somme, 17 soirées pour le ballet académique du XIXe sur 202 au total cela représente pour cette maison moins de 9% de la programmation Pour une institution de grande tradition historique, qui devrait s’afficher en tant que telle d’abord, ne serait-ce que pour « entretenir » la qualité de la troupe et des solistes et en faire une vitrine : l’ensemble sera jugé à l’international à cette aune-là.
Cette proportion est ridicule, voire scandaleuse. Les chiffres ci-dessus parlent d’eux-mêmes et montrent une programmation qui n’aide pas à consolider la Compagnie, notamment par rapport à d’autres en Europe.
Significatives par exemple les comparaisons avec la programmation du Ballet d’État de Bavière, une troupe valeureuse mais qui n’a ni l’histoire ni la tradition, ni le prestige induit du Ballet de l’Opéra de Paris, avec celle de Rome, où Eleonora Abbagnato, Étoile du Ballet de l’Opéra de Paris, fait à Rome ce qu’elle a bien vu que Paris ne faisait pas, et draine un public inconnu jusqu’alors dans la capitale italienne, sans parler du magnifique travail de création néo-classique de Jean-Christophe Maillot au Ballet de Monte-Carlo, mais avec une troupe totalement à sa main.

Enfin, pour montrer à quel point on fait attention à ce qu’on publie, le programme que j’ai en main signale que Roméo et Juliette de Prokofiev est une chorégraphie de Noureev, « d’après Petipa »(mort en 1910) alors que Roméo et Juliette date de 1938… Noureev était miraculeux certes, mais on ne savait pas qu’il parlait aux Esprits.
On est tellement habitué à écrire dans cette maison « Noureev d’après Petipa » que personne n’y a fait cas (quoique dans le programme de Raymonda, dont une seule représentation fut donnée cette saison en décembre, le nom de Petipa était purement et simplement escamoté, seul Noureev étant crédité pour la chorégraphie !). Personne ne relirait-donc les programmes ?

Quelques ultimes remarques :

  • On reste étonné aussi du nombre de représentations qui dépassent les 20 ou 25 pour de nombreux programmes, à supposer qu’il y ait une réponse du public, ce qu’on souhaite, mais qui est plus hasardeux.
  • Le Parc est reprogrammé à la place de Le Rouge et le Noir de Pierre Lacotte sur des musiques de Massenet, car la reprise du ballet de Preljocaj, programmée en décembre 2019, n’a pu être représentée à cause de la grève. C’est une reprise programmée à la place d’une création.
  • On s’interroge sur l’invitation de Peeping Tom, compagnie bruxelloise bien connue qui tourne déjà partout et pour laquelle l’invitation à Paris n’a pas grand sens.

Une programmation sans ligne, sans idées, mais surtout très déséquilibrée, alors que le respect des équilibres est l’apanage de tout programmateur. Tout cela laisse d’autant plus circonspect quand on lit les déclarations d’intention d’une directrice de la Danse toujours prompte à mettre en avant une identité classique dont sa programmation fait pourtant bien peu de cas. Ou il n’y a pas de pilote dans l’avion, ou le Ballet de l’Opéra National de Paris n’est pas en de bonnes mains.

Pour la programmation lyrique, allez sur le Blog du Wanderer.

Défilé du Corps de Ballet
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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
Crédits photo : © Elena Bauer / Opéra National de Paris
© Agathe Poupeney / Opéra National de Paris (En-tête)

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2 Commentaires

  1. Je suis malheureusement d'accord avec vous et j'espérais voir un changement cette année. 'est tellement dommage de "sous-exploiter " cette merveilleuse compagnie et tous ces talents !

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