Sturm und Drang, volume 2

Joseph Haydn, Symphonie n°39 en sol mineur

Christoph Willibald Gluck, Paride ed Elena, « O del mio dolce ardor », « Tutto qui mi sorprende… Le belle immagini »

Johann Baptist Vanhal, Symphonie en ré mineur (d1)

Joseph Haydn, Stabat Mater, « Fac me vere, tecum flere »

Josef Mysliveček, Semiramide, « Tu mi disprezzi, ingrato »

Jean-Chrétien Bach, Symphonie en sol mineur, op.6, n°6

 

Ida Ränslöv, mezzo-soprano

The Mozartists

Direction musicale : Ian Page

 

1 CD Signum Classics

 

 

Enregistré à Londres, St John’s Smith Square, du 10 au 13 janvier 2020

C’est à un projet d’envergure que se sont attelés Ian Page et The Mozartists avec « Sturm und Drang », une série d’enregistrements en sept volets mettant en lumière ce mouvement musical – et littéraire bien entendu – de la seconde moitié du XVIIIème siècle et annonçant déjà la période Romantique. Trois symphonies, signées Haydn, Vanhal et Jean-Chrétien Bach côtoient des airs d’opéra méconnus de Gluck et Mysliveček interprétés par la mezzo-soprano Ida Ränslöv, dans un programme intelligemment construit et d’une belle cohérence. Une bonne manière de faire apparaître l’affinité de ces compositeurs avec les grands effets dramatiques, la recherche de contrastes et le tragique.

Quelques mois seulement après la sortie du premier volume de « Sturm und Drang » – série d’enregistrements prévue en sept volets –, Ian Page et The Mozartists reprennent leur exploration de ce mouvement musical dans un album mêlant raretés et œuvres plus célèbres du répertoire.

On oublie parfois que l’ère classique avait déjà construit des ponts vers le Romantisme, et que l’expression d’une subjectivité, l’excès des passions et la volonté d’émouvoir et d’étonner – au sens fort qu’avait le mot au XVIIIème siècle, c’est-à-dire ébranler, comme frappé par le tonnerre – n’est pas une invention du siècle suivant. Non, Haydn n’était pas seulement le compositeur d’une musique galante ou champêtre, ce à quoi certains mauvais esprits ont pu tenter de le réduire ; et non, la symphonie n’a pas attendu les romantiques pour déployer ses possibilités expressives et tragiques. Tonalités mineures, effets de contrastes, intensité des rythmes, Haydn fut même l’un des maîtres du « Sturm und Drang » musical, et un modèle pour sa génération et ses successeurs.

C’est sans aucun doute ce que Ian Page a voulu montrer en plaçant en début d’album sa Symphonie n°39 en sol mineur, dite « La mer troublée » : avec ses pauses subites, ses conflits entre mineur et majeur et son thème en perpétuelle évolution, le premier mouvement de l’œuvre est un modèle du genre, plein de contrastes et d’une agitation fiévreuse qui ne s’apaise jamais. En le plaçant en tête du programme, le chef semble ériger Haydn en chef de file du « Sturm und Drang », d’autant plus qu’il propose ensuite deux œuvres qui lui font écho : la Symphonie en sol mineur, op.6, n°6 de Jean-Chrétien Bach – un peu plus tardive, et dans la même tonalité – et la Symphonie en ré mineur (d1) de Vanhal (et non en sol mineur, comme l’indique la pochette de l’album !) qui possède le même effectif orchestral – avec ses deux hautbois et quatre cors, deux en si bémol, deux en sol. Comparaison n’est pas raison, mais il est intéressant d’écouter les différences de traitement d’un même matériau musical, et ce choix de programme construit une homogénéité assez agréable pour l’album.

The Mozartists donnent à ces œuvres une belle matière sonore et rendent bien le sentiment d’urgence qui en émane : que l’on pense au menuet très dramatisé de la symphonie de Vanhal ou au finale de la symphonie de Bach, les musiciens gèrent tout à fait bien les accents, les effets de surprise et les contrastes de cette musique ce qui ne les empêche pas, dans les mouvements lents, de bien phraser et d’apporter davantage de lumière aux timbres. L’ensemble est propre, élégant ; on regrette simplement que les effets de l’orchestre soient rapidement épuisés par les nombreuses reprises et réexpositions, et qu’ils n’arrivent pas à se renouveler suffisamment pour maintenir intacte l’attention de l’auditeur. Mais les musiciens n’en font pas moins preuve d’une vraie maîtrise du style, et on retiendra tout particulièrement la symphonie de Jean-Chrétien Bach qui, en seulement trois mouvements – et des mouvements brefs – traverse toute une palette de sentiments, à la croisée de la symphonie et de la musique de scène.

A côté de ces pages symphoniques, le programme propose justement trois airs d’opéra interprétés par la mezzo-soprano Ida Ränslöv. Les premiers nous font entendre un opéra méconnu de Gluck, Paride ed Elena, ultime collaboration entre le compositeur et le librettiste Ranieri de’ Calzabigi après Orfeo ed Euridice et Alceste. « O del mio dolce ardor » chante le bonheur de Pâris arrivant à Sparte et sa hâte de revoir Hélène, tandis que « Le belle immagini d’un dolce amore » évoque son espoir d’être aimé, si Vénus lui vient en aide. Le « Sturm und Drang » est donc ici beaucoup moins dans l’effet que dans l’affect et l’expression d’un sujet. Ils sont donc un complément intéressant aux autres œuvres du programme, mais leur interprétation reste un peu sage et les rend moins frappants que les symphonies. Ida Ränslöv possède une jolie voix, claire, et un chant élégant, mais qui ne permettent pas de donner beaucoup d’impact à ces pièces. Hors de ce programme, l’interprétation serait sans doute satisfaisante ; mais au milieu d’œuvres aussi fortes, et surtout dans la perspective de faire entendre le « Sturm und Drang » présent chez Gluck, c’est un peu léger.

Même impression pour l’air « Tu mi disprezzi », extrait de la Semiramide de Josef Mysliveček et très bien choisi pour cet album. La voix est brillante, la diction assez expressive ; mais les incursions dans le grave ne sont pas assez sonores pour être tragiques. Même remarque pour le « Fac me vere tecum flere » du Stabat Mater de Haydn : l’air aurait nécessité une voix de mezzo plus charnue, car la voix d’Ida Ränslöv, légère, n’a pas dans le bas-medium et le grave la texture ni la palette expressive suffisantes. Ce n’est pas ici une question de technique ou de qualités vocales ; l’air demande simplement un autre type de voix.

Ce deuxième volet de « Sturm und Drang » se distingue donc par un programme intelligemment construit grâce aux ponts qu’il crée d’une œuvre à l’autre et, comme son volume précédent, par la lumière qu’il apporte sur des compositeurs moins connus. Mais Ian Page sait aussi créer du suspense en achevant l’enregistrement sur la Symphonie en sol mineur de Jean-Chrétien Bach, dont le finale se termine de manière abrupte et comme non résolue : remarquable cliffhanger en attendant le volume 3 de la série.

 

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

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