Richard Wagner (1813–1883)
Parsifal (1882)
Ein Bühnenwiehfestspiel in drei Akten
Livret du compositeur d'après Wolfram von Eschenbach
Créé au Festival de Bayreuth, le 26 juillet 1882

Philippe Jordan (Direction musicale)

Elina Garanča (Kundry)
Jonas Kaufmann (Parsifal)
Ludovic Tézier (Amfortas)
Wolfgang Koch (Titurel)
Georg Zeppenfeld (Gurnemanz)
Stefan Cerny (Titurel)

Chœur et Orchestre de la Wiener Staatsoper

Coffret de 4 CD Sony Classical

 

Enregistré à la Wiener Staatsoper, Vienne les 8 et 11 avril 2021

La production de ce Parsifal présentée sans public pendant le confinement au mois d’avril 2021et retransmise en streaming, a fait grand bruit. Une édition en dvd aurait pu suivre tant la lecture décapante de l’ex-directeur de théâtre, cinéaste et metteur en scène russe Kirill Serebrenikov a été commentée, mais Sony a préféré commercialiser l’enregistrement audio qui nous occupe, sans doute pour inscrire une version contemporaine digne de ce nom à son catalogue. Exit donc les images saisissantes qui ont marqué les esprits et place à la seule musique que l’on perçoit plus immense encore sous la baguette de Philippe Jordan, ainsi qu’aux voix glorieuses de Jonas Kaufmann décidément intouchable dans le rôle-titre, de Ludovic Tézier et de Elina Garança époustouflants en Amfortas et en Kundry abordés, il est important de le rappeler, pour la première fois. Une intégrale qui fera date.

 

Annoncée très en amont, la production de ce Parsifal confié à Kirill Serebrenikov, a tout d’abord failli être annulée en raison de l’épidémie de Covid, mais grâce aux efforts conjugués de la direction de l’Opéra de Vienne et à l’engagement de chacun des titulaires ainsi qu’au soutien des éditions Sony, l’œuvre testamentaire de Wagner a finalement pu être sauvée et captée – très bien d’ailleurs – pour être retransmise en streaming sur la chaine Arte. Beaucoup de projets d’envergure n’ont pas eu cette chance et en ces temps de réclusion nous avions goûté aux joies de cette retransmission, car c’est d’abord par les images que ce Parsifal nous est parvenu. Privé de sa liberté car assigné en résidence à Moscou, Serebrenikov n’avait pu se déplacer en Autriche pour réaliser sa première mise en scène wagnérienne. Son travail a pourtant vu le jour, à distance, pour un résultat extraordinairement concluant.

Comme l’on pouvait s’y attendre, le choc procuré par sa lecture est violent. Le russe n’est pas le seul à avoir adapté et modernisé l’ultime chef‑d’œuvre wagnérien, mais sa vision concentrationnaire, d’une extrême actualité, a rarement eu autant d’écho et d’impact avec notre société contemporaine. Ainsi l’expérience qu’il nous propose de vivre, même si elle n’est pas toujours immédiatement limpide, s'avère pourtant incarnée et plausible. Car plus que jamais il va être question ici de cheminement (de connaissance de soi et des autres) et de douleur, pour parvenir à la rédemption et au miracle suprême. Dans cette conception très personnelle, les Chevaliers du Graal, une sorte de mafia dont les prisonniers sont retenus dans les geôles de Montsalvat, tous unis autour du « parrain » Amfortas, qui purge une double peine, car en plus d’être retenu il est blessé et voudrait mourir. Kundry,  photo-reporter qui travaille pour le compte d’un agent de mannequins corrompu, réalise un reportage qui lui permet d’approcher ce monde d’hommes secrets et dangereux. En parallèle, Parsifal, un éducateur au grand cœur, qui se souvient avoir été lui aussi utilisé pour ses charmes et sa beauté, travaille à la réinsertion des membres de cette communauté avec l’aide Gurnemanz, qui veille à faire régner l’ordre.

Conscient de la mission qui lui est impartie, Parsifal accompagne un jeune détenu, « héros » fraîchement arrêté, repéré par la photographe qui voudrait en faire une vedette (rôle muet joué avec beaucoup de justesse par le comédien Nikolay Sidorenko). Au second acte le château magique de Klingsor est un confortable bureau de l’agence Schloss (château en allemand) où le directeur, entouré d’une myriade d’assistantes, prépare une séance photos avec le jeune inconnu découvert en prison. L’agence est en émoi quand ce dernier pose en cuir devant une croix, mais tout se complique lorsque Kundry passe à l’initiation sexuelle du jeune homme, sous les yeux révoltés de Parsifal qui ne supporte pas de revivre son passé. Kundry excédée par le retour inopiné de son patron qu’elle exècre, se retourne vers lui et le tue. Le dernier acte marque le retour à la prison de Montsalvat où Kundry, à son tour emprisonnée (en raison de son crime), s’occupe en fabriquant des crucifix en bois. Parsifal est également présent exténué par un long périple ; c’est le jour du Vendredi Saint et Gurnemanz, heureux de le retrouver en ces lieux, le consacre, pour avoir accompli et partagé ses souffrances. L’apprenti mannequin apparait et retrouve Kundry en l’enlaçant sous les yeux, émus cette fois, de Parsifal. Les chevaliers du Graal se recueillent autour d’Amfortas qui demande à mourir en répandant les cendres de son père Titurel, récemment décédé. La lance rapportée par Parsifal lui permet de guérir miraculeusement Amfortas ; à ce moment le jeune Parsifal ouvre une à une les portes des cellules et libère les détenus qui quittent Montsalvat en ce jour exceptionnel de rédemption et d’hyme à la liberté.

Décors réalistes éclairés avec méticulosité, costumes modernes et superbes vidéos accompagnaient cette longue et noire fresque, qui permettait au spectateur de s’immiscer dans ce monde retranché et d’en étudier les codes. Tatoués sur tout le corps, chaque chevalier possède ainsi la clé de cette confrérie aux pratiques étranges basées sur la violence, l’honneur et la fraternité. Et si dans nos souvenirs la présence du double de Parsifal n’était pas toujours évidente, elle éclairait cependant certains comportements symbolisant la pureté du « Chaste fol » face à l’hostilité extérieure traduite par une magnifique direction d’acteur, autre point fort de cette mise en scène coup de poing.

Dès lors que ce document nous revient par la seule force du son, il ne reste plus qu’à nous focaliser sur l’interprétation strictement musicale. Et trois ans après ce choc, li faut bien avouer que le miracle opère grâce à un exceptionnel plateau vocal et à une direction musicale superlative. Convaincu par la proposition scénique de son metteur en scène, Jonas Kaufmann joue et chante avec beaucoup de conviction ce rôle d’éducateur, de protecteur et de sauveur d’une communauté qui court à sa perte. Dans une condition vocale sensationnelle, le ténor à la voix de bronze et de velours mêlé se montre égal à sa légende, musicien et diseur infaillible. Son personnage semble se fondre dans un lyrisme éperdu, délicat et puissant, tout en nuances et chanté sans le moindre effort apparent. S’il se laisse un temps ensorceler au second acte par le charme vénéneux de Kundry, la corruptrice, il n’oublie jamais la mission qui lui a été confiée, religion, désir, souffrance et salut de l’âme se rappelant inexorablement à lui et le ramenant sur le droit chemin. La Kundry glamour et lascive dessinée par Elina Garanča est sans doute la première d’une longue série, car la mezzo lettone se glisse non seulement sans difficulté dans les plis de son héroïne, d’une voix large au riche ambitus, à l’aigu brillant et au grave déployé, mais se plait à l’incarner avec un talent que nous ne lui connaissions pas. Envoutante, elle cisèle chaque note comme pour les enrouler autour de Parsifal, véritable proie qu’elle doit anéantir ; le baiser qu’elle va finir par lui donner est pourtant celui d’une femme que l’on imagine être tombée amoureuse, baiser qui pourtant lui est fatal, Parsifal se ressaisissant, reprenant le contrôle, prenant conscience que lui seul peut tout changer, laissant Kundry terrassée qui finit par assassiner Klingsor (un coup de revolver coupé au disque !), avant de se retrouver emprisonnée à l’acte suivant.

Plus proche d’une Christa Ludwig pour la beauté du timbre que ni le cri, ni la rage ne parviennent à déformer, et donc moins ardente et prompte à sortir de ses gonds pour révéler son étrange animalité à, l’image d’une Mödl ou d’une Meier, les deux Kundry de l’Histoire du chant, Garanča n’en est pas moins éblouissante. Avec sa voix de basse aux inflexions rocailleuses chargées d’humanité et son admirable endurance, Georg Zeppenfeld campe un Gurnemanz à la forte personnalité. Sa performance physique, lui le tatoueur officiel de la confrérie, demeure cependant supérieure à sa performance strictement vocale, d’autres avant lui ayant marqué le rôle de façon plus définitive, Ludwig Weber en tête, à Wolfgang Koch revenant celui de Klingsor dont il ne fait qu’une bouchée et à Stefan Cerny celui de Titurel. Après avoir triomphé dans le répertoire verdien, Ludovic Tézier revient à Wagner avec cet Amfortas déchiré et déchirant, qui arrive au bon moment dans sa carrière. Déroulant la phrase wagnérienne avec la précision d’un Liedersänger et dans un allemand d’une pureté équivalente à celle d’un Ernest Blanc, il captive l’auditeur par l’expressivité de son chant, la robustesse et l’autorité de son interprétation : moins halluciné peut être que ne l’était George London, ou moins éprouvé que Peter Mattei, mais certainement aussi noble et intense que José van Dam, ce rôle devrait compter aussi pour lui.

Fidèle à Parsifal qu’il a dirigé pour la première fois en 2003, Philippe Jordan a mûri depuis les représentations données à Paris en mai 2018, partition avec laquelle il a débuté à Bayreuth en 2012. Sa direction ne nous avait pas ébloui lors du streaming viennois et curieusement elle nous a cette fois émerveillé, certainement à cause de la prise de son et de la concentration que l’écoute seule impose (un des avantages du passage de la vidéo à l’audio). Finesse des cordes, solennité des cuivres, Jordan peut compter sur la puissance de l'orchestre de la Wiener Staasoper et ce dès le prélude dont le frémissement et les sonorités inquiétantes qui y sont déployées rappellent les forêts profondes. Modèle d’équilibre, sa science des contrastes, entre la noirceur du premier acte et la volupté du jardin enchanté où ondulent les Filles Fleurs dans une atmosphère sensuelle et parfumée (au second), exalte la beauté des détails et se joue avec panache des subtiles dissonances harmoniques. A cela s’ajoutent une gestion du tempo parfaite, notamment pendant les scènes de liaison, une maîtrise de la tension et de l’arc dramatique et une manière d’enchâsser les grandes parties chorales dans ce divin maelström orchestral qui font de cette lecture l’une des plus passionnantes et des plus accomplies de ces dernières années.

Nota : voir ci-dessous nos liens vers nos critiques du streaming de 2021 et de la reprise scénique avec une distribution différente.

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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement
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2 Commentaires

  1. Concernant Parsifal, il est navrant que le DVD n’ait pas été édité..
    on a dit aussi (??) que Kaufmann aurait moyennement apprécié d’être «  doublé «  par un jeune acteur qui crève «  l’écran «  et qui le place en retrait, du moins dans les deux premiers actes. Ceci expliquant cela?..

    • Plutôt que de supposés caprices de Kaufmann, je pense que pour Sony la mise en scène de Serebrennikov n'est pas suffisamment "grand public" pour bien vendre un DVD, notamment en Grande Bretagne aux USA où l'art de la mise en scène n'est pas exactement ce qui attire le public…

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