Ombra Compagna – Concert Arias

Wolfgang Amadeus Mozart (1756–1791)

« A Berenice… Sol nascente », KV 70
« Alcandro, lo confesso… Non so d’onde viene », KV 294
« Bella mia fiamma… Resta, o cara », KV 528
« Vorrei spiegarvi, oh Dio ! », KV 418
« Chi sà, chi sà, qual sia », KV 582
« Misera, dove son ! », KV 369
« Voi avete un cor fedele », KV 217
« Ah, lo previdi », KV 272
« Vado, ma dove ? », KV 583
« Ah, se in ciel benigne stelle », KV 538

Lisette Oropesa, soprano

Il Pomo d’oro
Direction musicale : Antonelle Manacorda

1 CD Pentatone TT 81'30''

 

Enregistré en août 2020 à la Himmelfahrtskirche, Munich

Pour son premier album solo, la soprano Lisette Oropesa a choisi un compositeur qui occupe une place importante dans son répertoire, et avec ces airs de concert de Mozart, la chanteuse trouve l’occasion de faire entendre une très belle maîtrise technique et une interprétation extrêmement délicate de pièces virtuoses et exigeantes. L’ensemble Il Pomo d’oro placé sous la direction d’Antonello Manacorda est un autre argument en faveur de cet album, et l’on regrette seulement qu’il ne soit pas davantage mis en avant car il est un vrai soutien musical et dramatique pour la soliste.

La soprano Lisette Oropesa mène depuis plusieurs années déjà une belle carrière sur les grandes scènes lyriques, et sa voix à la croisée du soprano lyrique et du soprano léger ont fait de Mozart un compositeur clé de son répertoire. Ainsi, c’est avec Susanna qu’elle a foulé pour la première fois les planches du Metropolitan Opera – rôle qu’elle reprendra encore de nombreuses fois par la suite –, avant d’aborder Ismene, Pamina, et surtout Konstanze, l’une des héroïnes pour lesquelles elle est la plus demandée aujourd’hui.

Rien d’étonnant alors à ce que Lisette Oropesa choisisse pour son premier album solo d’enregistrer des airs de concert de Mozart : expressivité dramatique, beauté du timbre, legato, virtuosité, percées dans le suraigu, ces airs sont à la fois extrêmement exigeants et l’occasion idéale de démontrer ses qualités vocales. La soprano, accompagnée par l’ensemble Il Pomo d’oro dirigé par Antonello Manacorda, a l’intelligence de choisir des pièces parfaitement adaptées à sa voix sans prendre le risque de s’aventurer dans certaines pages plus connues mais qui auraient pu la mettre en difficulté ou faire entrevoir ses limites ; avec une interprète rompue à ce répertoire et en pleine maîtrise de son instrument, cet enregistrement possède donc de nombreux atouts pour convaincre.

L’appellation « airs de concert » désigne en réalité, malgré son nom, des œuvres aux destinations diverses : on y trouve bien des pièces autonomes, destinées au concert, et qui en quelques minutes dépeignent une situation dramatique – notamment dans des récitatifs accompagnés, très soignés par le compositeur ; mais on trouve également sous cette appellation des airs de substitution, venant s’insérer au sein d’un opéra lorsqu’un chanteur trouvait l’air original inadapté à sa voix ou à ses goûts. Mozart était donc contraint de s’adapter à un livret et à un contexte dramatique donnés, et d’écrire spécifiquement pour l’interprète qui le lui demandait. Cette pratique ne laisse pas de surprendre aujourd’hui, où l’on est si attachés au respect scrupuleux de la partition ; mais elle a permis à Mozart de composer certaines de ses plus belles pièces vocales, et probablement de créer un lien particulier avec leurs destinataires – notamment Luisa Villeneuve, Adriana Ferrarese, Johann Adamberger, Francesco Albertarelli, ou encore Aloysia Weber.

Lisette Oropesa et Il Pomo d’oro enregistrent ici des airs appartenant aux deux catégories. On retrouve ainsi, aux côtés de « Bella mia fiamma, addio » ou « Misera, dove son » des airs de substitution destinés au Burbero di buon cuore de Martin y Soler (sur un livret de Da Ponte), au Curioso indiscreto de Pasquale Anfossi, et aux Nozze di Dorina de Baldassare Galuppi. On apprécie également la présence au programme (et pour ouvrir le disque) de l’air « A Berenice… Sol nascente », moins connu mais bel exemple de licenza – c’est-à-dire un air qui vient rendre hommage à un personnage important (le commanditaire de l’œuvre, ou un membre éminent du public), air placé le plus souvent à la fin d’un opéra ou d’une cantate en guise d’épilogue ; cette pièce nous sort donc un peu des sentiers battus au milieu d’un répertoire déjà abondamment gravé au disque.

Lisette Oropesa démontre en tout cas dans cet enregistrement une maîtrise évidente du style mozartien, qu’elle chante avec beaucoup d’élégance d’un bout à l’autre du disque. Les grands intervalles sont toujours parfaitement intégrés dans le legato, les changements de registre bien assurés, et la virtuosité ne met pas en péril la ligne. La soprano est en pleine possession de ses moyens, et possède en outre un trille impeccable (on pense surtout au « Ah se in ciel, benigne stelle ») : l’interprétation est techniquement assez irréprochable, et extrêmement soignée.

Sur le plan dramatique et expressif, c’est progressivement que l’album gagne en impact et en caractère. Les premiers numéros sont assez retenus, se concentrant davantage sur le chant que sur le théâtre, et davantage sur la ligne que sur un travail de détail en ce qui concerne le texte. C’est certes très beau, mais on sent à partir du « Chi sa, chi sa qual sia » que la soprano comme l’orchestre se permettent plus de libertés et plus d’éclat : cet air est l’un des plus réussis de l’album, bien mené dramatiquement, et les pièces suivantes vont venir à leur tour déployer les qualités expressives des musiciens.

L’ensemble Il Pomo d’oro ne manque pas en effet d’arguments en sa faveur, et Mozart a réservé dans ces pièces de belles interventions aux vents et cuivres (le hautbois dans « Vorrei spiegarvi » et « Ah, lo previdi », la clarinette et le basson dans « Vado, ma dove ? », le cor et la flûte dans « Misera, dove son »). Antonello Manacorda les souligne bien, mais la prise de son n’est pas toujours à l’avantage de l’orchestre, parfois laissé en retrait derrière la soliste. C’est dommage car il se montre à l’écoute de la soprano, capable de belles couleurs et d’un beau déploiement mélodique dans les passages lents. Il ne manque pas non plus d’ironie dans « Voi avete un cor fedele », où il construit un dialogue réussi avec le texte, ni de délicatesse et de sensibilité dans « Ah, lo previdi », où il accompagne les multiples changements psychologiques du personnage.

On a certes déjà entendu des interprétations plus dramatiques et plus habitées de ces airs de concert ; mais il y a dans cet album une maîtrise, une élégance, une tenue qui rendent pleinement justice à la musique de Mozart et qui montrent chez Lisette Oropesa des qualités techniques évidentes. Voilà de quoi inaugurer avec succès la discographie solo de la soprano.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

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1 COMMENTAIRE

  1. C'est magnifique de faire un disque sur Mozart pour cette interprète fameuse du compositeur. Mais ce serait encore plus respectueux du public – pour un disque à la carrière internationale – de traduire les pages d'explications qu'il contient. D'autant que L.Oropesa est américaine et que son anglais n'est pas celui d'Oxford. Un grand merci d'y penser la prochaine fois car c'est franchement une déception ne pouvoir accéder complètement aux mots de l'artiste.D'autant que cela n'est pas indiqué sur la pochette du disque.

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