Choix délicat que celui du programme d’un premier récital au disque : sans viser d’emblée les sommets, sans se faire passer pour ce que l’on n’est pas encore, il n’en faut pas moins retenir l’attention, marquer les esprits, faire reconnaître une personnalité. Le jeune ténor français Fabien Hyon a très sagement opté pour l’univers de la mélodie, où il se fraye un chemin d’un poète à l’autre, convoquant Apollinaire et Eluard, les deux auteurs préférés de Poulenc, mais aussi Prévert, puisqu’il ose rapprocher de compositeurs canoniques l’immortel Joseph Kosma, auquel on doit notamment la musique des « Feuilles mortes ». Mais quand la chanson atteint un tel niveau de qualité, elle mérite bien de côtoyer la mélodie de salon, les deux univers ayant en commun l’attachement au texte.
Quelques mots, d’abord, sur les interprètes. Ceux qui suivent les spectacles proposés chaque année par le CNSMDP n’auront pas manqué de remarquer, dans les promotions récentes, ce ténor qui semblait notamment s’épanouir dans les rôles comiques, par exemple dans Iliade l’Amour de Betsy Jolas en 2016. Cette adéquation a notamment été confirmée par une très réjouissante production du Testament de la tante Caroline vue à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet en 2019. Dans un tout autre répertoire, il était Mercure dans Isis de Lully dirigé par Christophe Rousset, rôle qu’il cumulait avec l’intervention des « Maladies languissantes »… Et dernièrement, il fut sur la scène de l’Opéra de Rennes un pittoresque Dickson de La Dame blanche. Quant à la pianiste Juliette Sabbah, on appréciera la complicité manifeste qui l’unit au chanteur dans le duo qu’elle forme avec Fabien Hyon depuis plusieurs années.
Les poètes, donc, comme l’un des fils directeurs possibles de ce disque. Certains n’ont pas l’honneur de voir leur nom figurer sur la plaquette d’accompagnement : pour deux d’entre eux, c’est peut-être parce que leur patronyme ne nous dit plus grand-chose. Pour le superbe « Jazz dans la nuit » (1928), qui confirme combien Albert Roussel était un mélodiste raffiné : René Dommange (1888–1977), directeur des éditions Durand et ami des compositeurs, mais hélas coupable d’opinions nauséabondes sous l’Occupation. Pour « Le marchand de marrons » (1899) de Reynaldo Hahn : Paul Collin (1843–1915), dont les poèmes ont été mis en musique par Fauré, Massenet, Franck et bien d’autres. En revanche, pour « Encor sur le pavé » (1906) du même, l’auteur est Jean Moréas (1856–1910), illustre symboliste. Et quand Déodat de Séverac choisit en 1897 « Le ciel est par-dessus le toit », il rejoint la nombreuse cohorte de ceux qui se sot attaqués à ce texte de Verlaine, en France (Reynaldo Hahn, Louis Vierne, Louis Durey, etc.) ou à l’étranger (Delius, Britten…).
Adjoints aux trois grands que l’on a nommés plus haut, tous sont ici recrutés au service d’un certain imaginaire parisien, puisque c’est un parcours à la Gavroche qu’ont souhaité proposer Fabien Hyon et Juliette Sabbah. Cette association de la figure de l’enfant des rues avec la Seine, les bistrots et les grands boulevards, est l’occasion d’interpréter des mélodies rares, à quelques exceptions près. Du tandem Prévert-Kosma, formé en 1935 et qui durera jusqu’en 1951, on trouve ici un tube comme « Les enfants qui s’aiment », mais presque tous les autres titres nous éloignent des sentiers battus. Ils nous éloignent aussi de la veine amusante de Prévert : ni « Inventaire », ni « Pêche à la baleine », mais des poèmes plus sombres, parfois d’un réalisme amer, comme « La Grasse matinée » dont le titre cache une terrible évocation de la misère urbaine.
De Poulenc, le recueil Banalités est sans doute un des plus fréquemment chantés, pour des raisons que l’on devine : il inclut les célébrissimes « Hôtel » (« Ma chambre a la forme d’une cage… ») et « Voyage à Paris » (« Ah, la charmante chose, Quitter un pays morose… ») et la musique semble en couler de source, jusque dans le très émouvant « Sanglots ». On entend bien moins souvent les Cinq Poèmes de Paul Eluard, dont les textes n’ont évidemment pas la même séduction immédiate. Composés en 1935, ils sont ici rejoints par « Ce doux petit visage », sur un autre poème d’Eluard (1939).
Malgré la diversité des compositeurs, les enchaînements sont ménagés avec assez de soin pour que l’oreille ne perçoive pas de heurt. La naturel avec lequel Fabien Hyon les chante n’y est pas pour rien, car il sait éviter l’écueil qui consisterait à changer de ton ou de voix pour les Prévert-Kosma : au contraire, c’est avec le même soin des nuances, avec le même souci de style qu’il aborde ces « chansons » et les mélodies des compositeurs « sérieux ». Le chic est toujours là, l’humour n’est jamais loin, sans pitrerie aucune, et l’émotion affleure chaque fois qu’il le faut, sans excès aucun. Non contente de joindre son jeu sensible à la diction limpide du ténor, Juliette Sabbah n’hésite pas à joindre sa voix aux imprécations de « Chasse à l’enfant ». On les suivra donc bien volontiers dans leur errance à travers la capitale.
Un enchantement !!!
Un très beau duo qui nous émeut. Quel talent !!!!
On ne peut qu'être ému et touché par le talent de ce duo si sympathique !!!
Les entendre, les voire encore et encore.….