Parpaing
de Nicolas Petisoff

Avec Nicolas Petisoff et Guillaume Bertrand
Collaboration artistique et régie son / lumière / vidéo : Denis Malard
Direction d’acteur : Emmanuelle Hiron
Construction : François Aubry
Création lumière : Benoît Brochard
Crédit photo : David Moreau

Production : 114 Cie

Coproduction : CDN de Normandie-Rouen, Théâtre L’Aire Libre – Saint-Jacques-de-la-Lande, Dieppe Scène Nationale, L’Unijambiste Cie – Rennes

Soutiens : Festival Art et Déchirure – Rouen, Festival Mythos – Rennes, CCR Les Dominicains de Haute-Alsace – Guebwiller, Au Bout du Plongeoir – Tizé, ATP des Vosges – Epinal, Festival Fragments / La Loge – Paris.

Avec le soutien financier de la ville de Rennes, la SPEDIDAM et de Spectacle Vivant en Bretagne.

Création 2019 au CDN Normandie-Rouen (76)

 

La Manufacture, Avignon le OFF, mardi 20 juillet, 13h55

Lors de chaque édition, Wanderer s’est souvent rendu à la Manufacture en raison des spectacles de qualité proposés dans sa programmation. On y avait vu les travaux du Munstrum Théâtre en 2019, on y a vu cette année ceux de L’Unijambiste, comme notre dernière publication en rend compte. Dans la continuité, nous avons attendu l’installation du dispositif pour le spectacle qui débutait un peu plus tard et que nous avions très envie de découvrir. En effet, Nicolas Petisoff est un artiste dont nous suivons les activités depuis quelques mois déjà. Il a créé Parpaing en 2019 au CDN de Normandie, avec le soutien de David Bobée et de son équipe. Le projet a suivi sa route et s’est arrêté dans la Salle Intramuros, à l’horaire suivant celui de ses amis de la compagnie L’Unijambiste justement. Parpaing parle du parcours de Nicolas Petisoff lui-même, celui qui l’a conduit jusqu’à sa « construction personnelle ». Des brouillards de l’enfance au coup de tonnerre de l’adolescence, d’une histoire familiale à l’absence d’histoire, l’affirmation de soi ne va pas sans mal. Qui suis-je ? Comment le devenir ? La question est toujours là, lancinante. Jusqu’à « la réalité qu’on découvre ». Wanderer est sorti de la salle sincèrement bouleversé.

Nicolas Petisoff. © David Moreau

Après avoir été appelé, comme à l’accoutumée dans la cour de la Manufacture, le public pénètre dans la Salle Intramuros. Et c’est Nicolas Petisoff lui-même, tout sourire, qui nous reçoit dès l’entrée. On prend place, la salle est vite pleine. L’espace est plongé dans un léger brouillard, produit sans doute par une machine fumigène. Comme si l’atmosphère annonçait les difficultés à voir clair – autour de soi ? sur soi ?. On découvre sur la scène éclairée par deux néons blancs, un podium peu élevé, disposé en travers du plateau de cour à jardin, vers l’avant – un espace gigogne où se mettre en scène, où se révéler aux yeux des spectateurs. Derrière ce podium, une chaise-tabouret chromée. Côté jardin, se trouve la console dont se servira Guillaume Bertrand pour la production des sons et la projection des images au fil de le pièce. Sur un panneau, au lointain, est d’ailleurs projeté le titre de la pièce sur fond noir. Ne se départant pas de son sourire, Nicolas Petisoff entre en mouvement, semble faire un signe à ses partenaires à la technique, au public et se retourne pour regarder au bout du podium. Un film en super 8 est projeté : sans doute s’agit-il d’un film de famille et le garçonnet à l’image est probablement Nicolas enfant. Le son de l’enregistrement de sa voix aujourd’hui se fait entendre alors. « Salut, Alors, euh, je m’appelle Nicolas. Mon état civil dit que je suis né à Bellac le 23 juin 1979, je ne sais rien d’autre […] » On apprend soudain que sa grand-mère, alors qu’il est âgé de dix ans, révèle involontairement un lourd secret de famille. « À 10 ans, par hasard, je comprends que je suis adopté. » Voilà donc le point de départ de la quête d’une vie – celle de Nicolas lui-même. Une onde de choc dévastatrice pour un petit garçon dont on devine que ce sur quoi il s’était construit jusque là, vole alors en mille éclats.

Le comédien sort des vêtements d’un sac posé sur le côté du podium. Il enfile un peignoir beige, se fait un turban avec un tissu de la même couleur, se juche sur des talons et se saisit d’une petite épée, un jouet pour enfant. Esquissant ce qui paraît être une chorégraphie, il se déplace et joue sur le catwalk – on se cache pour mieux se montrer parfois. Il est Samouraï Catin, un personnage sorti droit de son imaginaire enfantin. Et il défile « comme une dinde ».

Samouraï Catin devant la projection du film d'enfance en super 8. © Pierre Bellec

On entend sa voix adulte dire : « Mon père, c’est un fils de pute, littéralement ». Le récit a commencé. Après s’être changé, il s’est assis et relate les faits. Au public, bien sûr. Peut-être reconstitue-t-il aussi ce long cheminement pour lui-même. On s’interroge mais cela appartient à son intimité. Car étrangement il n’y a rien d’impudique dans cette authentique démarche artistique. Nicolas Petisoff opère une véritable transfiguration de sa propre existence, a priori sans recours à la fiction ni dérapage sordide. Optant pour une grande simplicité, il désamorce toute possibilité d’inconfort du public qui l’écoute et parvient à rendre les événements moins pesants. C’est pourquoi l’émotion est rendue possible par le passage sur scène.

Il raconte le fil de l’existence par le détail. L’alcoolisme du père – qui « se disait fils du Tsar de Russie mais c’est juste un fils de pute » – non sans le rendre grotesque en le décrivant. Un jour, son puzzle d’enfant explose et engendre le premier déchaînement furieux. « Je venais de comprendre le pouvoir de la violence ». Et à l’encontre de ce père, violent lui-même. Un son sourd continu est émis par les enceintes, comme un grondement intense, le bruit de ce souvenir au loin. Le père attentera ensuite à sa vie. Ce sera l’occasion pour Nicolas – dans la plus simple évidence et c’en est désarmant – de connaître son premier grand crush face au pompier qui est à la porte pour porter secours à son père. Les notes de synthétiseur semblent roucouler à l’unisson, dans l’imaginaire de l’adolescent qu’il était et qui découvrait sa sexualité. Chaque période de sa vie –  chaque scène ? – est signalée sur le panneau au lointain, comme une didascalie minimaliste. Maison Phénix – intérieur – jour.

On va successivement découvrir la passion du théâtre – « C’est une révélation », de celles qui font « incarner », qui font « servir ». Nicolas Petisoff nous entraîne dans les couloirs de sa mémoire, nous y laisse entrer pour comprendre les actes fondateurs qui ont conduit à sa présence, sans ambiguïté, là, devant nous, rendus spectateurs de ses propres souvenirs. La vie comme une matière théâtrale évidente et première. On découvre aussi sa conscience d’être singulier –  « Je ressens ma différence très au fond de moi : je suis adopté, je n’en parle pas, je sais que je suis pédé, je n’en parle pas. Les secrets sont bien gardés. » – les penchants destructeurs, l’attrait pour les transformations, le flirt avec le risque – « il faut qu’on m’aime… à tout prix ». L’embellie à l’entrée dans l’âge adulte malgré les incertitudes – l’amour, « un puzzle détruit ? ». C’est alors qu’on découvre une autre vérité sur les circonstances de l’adoption – la grand-mère à la manœuvre une fois encore. La fiction ne cesse de réorienter le cours de la vie conçue comme une énigme à résoudre perpétuellement. Les parpaings s’empilent toujours sur le « mur des origines » avec leur solidité et parfois leurs vides. Les rencontres se multiplient et les fantasmes – fictions marbrées de vérité – avec. Nicolas joue avec le public, floute les contours de son récit pour mieux surprendre. C’est son histoire et il en garde la maîtrise, presque facétieusement.

La vérité – la seule – advient finalement – « un déversement de vérité ». Dans un moment de crise, bien entendu. Le secret familial est levé mais il faut se construire avec désormais et cela ne va pas de soi. Surtout après la révélation de l’homosexualité, de la vie avec « l’Amoureux » qui entraîne des réactions violentes des parents. « On ne choisit pas sa famille, même quand c’est elle qui nous choisit. »  – toujours des formules qui frappent l’oreille, toujours un lyrisme sans excès pour se dire.

Les mots s’incarnent, comme ceux de l’éloge funèbre du père projetés sur le panneau, blancs sur fond noir. Le théâtre se joue même jusque dans la diffusion du discours de « l’idole » Christiane Taubira dont les mots – encore et toujours – sont connus par cœur. Et Nicolas les marmonnent, avec joie. Le mariage avec l’Amoureux fait partie de ces parpaings qui sont en bonne place pour assurer malgré tout la robustesse du mur.

L’ultime partie commence, celle qui se poursuit, déborde du théâtre jusque dans le réel. Les frères et sœurs de cœur pour trouver les frères et sœurs de sang. Les hésitations, les atermoiements, l’État civil et le pleins feux sur ce que les événements auraient pu être, ont été avec la famille biologique partiellement retrouvée. Ces palpitations de l’existence loin des secrets, qui font sauter les verrous pour que les parpaings montent encore et tiennent bon. Car « à qui les secrets de famille font-ils du bien ? » La réponse est certainement contenue dans la question.

Parpaing montre un homme qui fait de la phrase de Nietzsche sa devise. « Deviens ce que tu es ». C’est un surgissement après les obstacles, sans esprit de vengeance pour autant – il n’y a pas de coupable désigné pour ces obstacles. Nicolas Petisoff en prenant sa propre expérience pour matière théâtrale renonce à régler ses comptes avec les autres ou avec lui-même sur la scène. Si c’est le cas, cela se situe à un autre endroit qui n’est pas la Salle Intramuros de la Manufacture.

Nicolas Petisoff, une vie de parpaings. © David Moreau

On a été vraiment remué par ce récit pour le théâtre d’une grande justesse, si sensible et exaltant. Les judicieux choix scénographiques accompagnent avec finesse le comédien, dirigé avec rigueur – et affection, cela se ressent. Et tandis qu’il paraît dessiner un nouveau tatouage sur sa jambe, dans la pénombre, avant un dernier film en super 8 avec sa mère, Guillaume Bertrand à la guitare fait entendre des notes bien connues du public, résonnant avec l’ensemble. With the lights out, it’s less dangerous. Here we are now, entertain us…

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Thierry Jallet
Titulaire d'une maîtrise de Lettres, et professeur de Lettres, Thierry Jallet est aussi enseignant de théâtre expression-dramatique. Il intervient donc dans des groupes de spécialité Théâtre ainsi qu'à l'université. Animé d’un intérêt pour le spectacle vivant depuis de nombreuses années et très bon connaisseur de la scène contemporaine et notamment du théâtre pour la jeunesse, il collabore à Wanderer depuis 2016.

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