Opera Gala

Richard Wagner (1813–1883)
« Dich, teure Halle », Tannhäuser

Jules Massenet (1842–1912)
« O souverain, ô juge, ô père », Le Cid

Umberto Giordano (1867–1948)
« Nemico della patria », Andrea Chenier

Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840–1893)
« Uzh polnoch’ blizitsya », La Dame de Pique

Francesco Cilea (1866–1950)
« E la solita storia », L’Arlesiana

Giuseppe Verdi (1813–1901)
« Madamigella Valery », La Traviata
« Invano Alvaro », La Forza del destino

Giacomo Puccini (1858–1924)
« E lucevan le stelle », Tosca
« Un bel dì vedremo », Madama Butterfly

Gaetano Donizetti (1797–1848)
« Udite, o rustici », L’Elisir d’amore

Maria Bayankina, soprano
Marcelo Alvarez, ténor
Ambrogio Maestri, baryton

James Baillieu, piano

Verbier, Salle des Combins, Verbier Festival, le 20 juillet 2021 à 19h

En raison de cas de covid au sein de son orchestre, le festival de Verbier s’est vu contraint de remplacer La Fanciulla del West initialement prévue par une soirée d’airs d’opéra autour de trois solistes : la soprano Maria Bayankina, le ténor Marcelo Alvarez et le baryton Ambrogio Maestri. Si la soprano est une interprète de haute tenue et sensible, ses deux collègues ne font pas preuve du même raffinement et de la même délicatesse d’interprétation. Le récital prend parfois les allures d’une course aux décibels – impressionnante peut-être, mais qui ne sert pas toujours la musique et le drame. Des performances en demi-teinte donc, qui bénéficient heureusement de la présence attentive et inspirée du pianiste James Baillieu.

Si le festival de Verbier avait programmé pour son édition 2021 La Fanciulla del West ainsi que l’acte II de Tristan, des cas de covid au sein du Verbier Festival Orchestra l’ont malheureusement contraint à revoir sa programmation avec des représentations de moindre envergure, mais toujours avec des solistes de premier plan. Ainsi, La Fanciulla del West s’est vue remplacée par un concert lyrique autour de Maria Bayankina, Marcelo Alvarez et Ambrogio Maestri accompagnés par le pianiste James Baillieu, présentant quelques grandes pages tout droit sorties des répertoire de prédilection de ces interprètes.

Maria Bayankina

C’est la soprano Maria Bayankina qui ouvre la soirée, non en Minnie donc, mais en Elisabeth avec un « Dich, teure Halle » éclatant. La soprano possède un timbre dense d’une étonnante homogénéité sur l’ensemble de la tessiture et une voix extrêmement solide, mais ce qu’on apprécie plus encore chez elle est la sensibilité dont elle fait preuve avec des personnages tels que Madame Butterfly, Lisa ou Violetta auxquels elle donne un beau relief expressif – notamment avec une vraie qualité de piani, dans son « Dite alla giovine » par exemple. Son bis, « Meine Lippen, sie küssen so heiβ » convainc moins parce qu’il nous apparaît avec les postures et coquetteries attendues : même si cela est bien fait, on lui préfère sans hésitation les doutes de Lisa attendant Hermann sur les bords de la Neva, ou l’espoir tragique de Butterfly guettant Pinkerton. Maria Bayankina se révèle une interprète de grande qualité, dont l’ampleur de la voix n’empêche pas le raffinement du chant.

Le ténor Marcelo Alvarez n’est pas en reste en termes d’ampleur vocale, mais il ne l’emploie pas toujours avec le même bonheur. Marcelo Alvarez est un chanteur d’un engagement total, indubitable, quel que soit le répertoire ; mais à trop vouloir exprimer, il perd souvent en cohérence dramatique et musicale : on ne voit pas bien le recueillement d’« O souverain, ô juge, ô père », noyé au milieu d’immenses déploiements vocaux ; et trop de confiance attirant le danger, c’est l’élégance de la musique de Massenet qui se voit sacrifiée. On se demande également si « La solita storia del pastore » nécessitait de telles proportions tragiques et de déborder autant des contours de la partition. Mais entendons-nous bien : on ne se permettrait pas de reprocher en soi à un artiste son engagement, ni la recherche de nuances dont Marcelo Alvarez, ici, s’emploie sans relâche à colorer son chant. On ne se permettrait certainement pas de déprécier la sincérité et l’énergie avec lesquelles un chanteur se livre. Mais en revanche on peut trouver qu’une interprétation dont l’expressivité est mal contenue, dont les pistes de lectures sont trop nombreuses et éparpillées, même si cela part d’une excellente intention, peut desservir la voix : c’est le cas à de nombreuses reprises ici, lorsque les piani de Marcelo Alvarez sont détimbrés, lorsqu’on perd la continuité de la ligne parce que le chant est surchargé d’informations, ou alors lorsque les aigus sont beaucoup trop poussés et sonores. Le timbre est beau, alors pourquoi chercher, dans l’aigu, à « faire du son » ? Pourquoi chercher à ce point les décibels plutôt que de privilégier un aigu plus pur, et qui rayonnerait de lui-même ? Heureusement cette verve convient bien à « No puede ser », présenté en bis, ainsi qu’au duo « Invano Alvaro » interprété avec Ambrogio Maestri.

Ambrogio Maestri, Marcelo Alvarez

Les timbres des deux chanteurs se marient en effet très bien, et l’intensité dramatique de la scène se prête tout à fait à leur style de chant ; car si nous parlions d’aigus sonores au sujet de Marcelo Alvarez, le record de décibels est détenu haut la main par Ambrogio Maestri. Entendre le baryton chanter est impressionnant – c’est un fait. Mais on ne mesure pas la qualité d’une voix à son volume, et un chanteur d’opéra est bien plus (et bien mieux) qu’un chanteur qui chante fort. Malheureusement ce soir Ambrogio Maestri donnait l’impression d’envoyer tout le son qu’il pouvait : tout le haut-medium et tous les aigus étaient en force. On n’avait ni raffinement du chant, ni délicatesse : la voix manquait tout simplement d’attention à la ligne, à l’expressivité du texte, à la nuance. C’est la voix brute qui nous parvenait – chez Gérard, mais aussi et surtout dans « L’ultima canzone » de Tosti, qui devrait être un summum d’élégance. Finalement, c’est l’air de Dulcamara qui semble le plus travaillé et le plus nuancé : un comble que ce soit dans cet air que la voix soit la plus expressive et la plus raffinée ! On ressort de chaque intervention un peu abasourdie, au sens premier du terme. Quel dommage de regretter de trop entendre une voix – qui plus est une belle voix !

James Baillieu

S’il est un artiste en revanche à ne manquer ni de raffinement, ni de nuance, c’est bien le pianiste James Baillieu. Difficile pourtant de rendre au piano les richesses orchestrales de Wagner ou de Tchaïkovski ; difficile également de ne pas se laisser emporter par de grandes voix mais de garder, quoi qu’il arrive, la clarté du son et de continuer à faire éclore toutes les couleurs et les subtilités de la partition. James Baillieu offre notamment un « Dich, teure Halle » d’un éclat remarquable, et un air du Cid plein de nuances tout comme le duo Violetta/Germont où le pianiste suit toutes les inflexions de la soprano. Il fait aussi résonner, dans « E lucevan le stelle », la beauté des harmonies pucciniennes et leur formidable progression : le concert n’aurait certainement pas été le même sans un pianiste d’une telle qualité, qui se révèle un très bon accompagnateur parce qu’il suit les chanteurs mais aussi parce qu’il leur donne des impulsions, suggère des dynamiques, et entre en dialogue avec eux.

La soirée n’a peut-être pas tenu toutes ses promesses, mais il y aura eu de la voix et de l’engagement. Comme quoi une belle voix, et même une grande voix, ne fait pas tout, mais qu’il faut sans cesse sur le métier remettre son ouvrage.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.
Crédits photo : © Lucien Grandjean

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