« Célébration Picasso, la collection prend des couleurs ! ».
Musée Picasso, Paris, du 7 mars au 27 août 2023.

Direction artistique : Paul Smith

Commissaires : Cécile Debray, présidente du Musée national Picasso-Paris ; Joanne Snrech, conservatrice du patrimoine

Scénographe : Brigitte Veyne

Catalogue : 176 + 4 pages, en français et en anglais, Musée national Picasso-Paris et Beaux-Arts Editions, 25 €

Exposition visitée le lundi 6 mars à 17h

L’espace de quelques mois, les salles du Musée Picasso de Paris se couvrent de couleurs, de rayures et de motifs, pour mieux célébrer le cinquantenaire de la mort de l’artiste franco-espagnol, avec l’aide de la fantaisie de Sir Paul Smith. Le designer prête main forte au peintre, Paul vole au secours de Pablo.

La commémoration du cinquantième anniversaire de la mort de Picasso est un événement qui ne s’improvise pas. Pour que tout un ensemble de musées propose successivement, tout au long de la saison 2022–23, un ensemble de manifestations autour de l’artiste emblématique du XXe siècle, il a fallu prévoir les choses très en amont, et c’est en 2019, bien avant pandémie et confinements, que le Musée Picasso de Paris a proposé à Paul Smith d’être le directeur artistique de la nouvelle présentation des collections permanentes. Depuis plusieurs années, les salles des principaux étages de cet établissement sont en effet consacrées aux expositions temporaires, mais elles sont à présent restituées à leur destination première, pour quelques mois du moins.

Un directeur artistique, pour quoi faire ? Les œuvres de Picasso ne se suffisent-elles pas à elles-mêmes ? Et s’il fallait procéder à un choix au sein de la collection, pourquoi ne pas l’avoir confié à une personnalité ayant une réflexion à proposer, comme le faisait jadis le Louvre pour ses expositions d’arts graphiques, lorsque des penseurs du calibre de Jacques Derrida (« Mémoires d’aveugle » en 1990–91) ou Jean Starobinski (« Largesse » en 1994) présentaient une sélection de dessins rejoignant leurs préoccupations intellectuelles ? Sans doute s’agit-il là de souvenirs d’une époque révolue, les institutions muséales étant désormais soumises à de tout autres nécessités. Ou tout simplement, le Musée Picasso a décidé de faire souffler un vent printanier à travers ses espaces, pour une présentation qui ne sera pas éternelle, et n’a d’autre prétention que de renouveler un peu notre regard sur une collection bien connue, tout en bénéficiant de l’aura médiatique dudit directeur artistique.

ILL. 1. Painted Stripes Room. Brigitte Veyne, esquisse préliminaire de la scénographie imaginée par Paul Smith

Sir Paul Smith n’a en effet rien d’un inconnu. Le styliste britannique né en 1946, anobli en 2000, s’est illustré par son goût des couleurs et des rayures, et il est désormais à la tête de tout un réseau de boutiques de prêt-à-porter qui font de lui une célébrité planétaire. Le Design Museum de Londres lui a consacré une rétrospective en 2013. Tant mieux si sa notoriété attire au Musée Picasso un public différent, qui n’en aurait pas nécessairement franchi les portes autrement. Quant aux habitués de cet établissement, ils auront la surprise de revoir des œuvres familières dans un contexte qui l’est beaucoup moins, et même de voir quelques pièces moins souvent exposées.

Qui dit collections permanentes dit en effet chefs‑d’œuvre incontournables et attendus. Les peintures et sculptures les plus célèbres que possède le musée parisien sont forcément au rendez-vous, et ont été « imposées » par les deux commissaires de l’exposition, complétées par une sélection d’œuvres que le visiteur régulier n’aura pas forcément eu l’occasion d’admirer, comme ce « Torero de dos », conçu par Picasso au tout début du XXe siècle, comme ces dessins de la période néo-classique, ce Femme au chapeau  de 1939… Le contexte inattendu, c’est le contrepoint offert par des œuvres d’artistes contemporains (Guillermo Kuitca, Obi Okigbo, Mickalene Thomas et Chéri Samba), afin de confronter Picasso à des regards féministes et/ou post-coloniaux, à l’heure où le côté prédateur du peintre commence à faire couler beaucoup d’encre.

Mais lorsqu’on parle de contexte nouveau, c’est bien sûr à l’intervention de Paul Smith que l’on pense. Le designer s’est vu laisser toute liberté, et il va sans dire que l’on attendait de lui une démarche conforme à sa réputation : de la couleur, des rayures, un humour flirtant avec le kitsch… Et tout cela est au rendez-vous, chaque salle ayant été repensée, en collaboration avec la scénographe Brigitte Veyne. Les œuvres de la période bleue sont ainsi accrochées dans une salle toute bleue, une moquette bleue étouffant les pas du visiteur afin de créer une atmosphère feutrée, conforme à l’humeur de ces toiles donnant à voir la misère du monde. Paul Smith invente même une « période verte » lorsque les variations sur le Déjeuner sur l’herbe de Manet sont réunies dans une pièce toute verte, le tapis vert posé au sol étant censée évoquer un gazon.

ILL. 2 Salle « Assemblages et collages » © Voyez-Vous (Vinciane Lebrun)

L’homme des rayures a revêtu la rampe menant au deuxième étage d’une moquette mille-raies, et l’une des salles auquel conduit ce passage est précisément consacrée au thème des rayures, Paul Smith ayant remarqué que Picasso a utilisé ce motif, pour le fond du Portrait de Dora Maar de 1937, par exemple, et cette toile est ainsi accrochée, avec quelques autres, dans une salle qui pourrait presque avoir été décorée par Buren, si ce n’est que les bandes de couleur sont beaucoup moins régulières que si ce n’était le cas. Il y a aussi des carreaux, dans une salle réservée aux Arlequins et aux Pierrot, le Paul en Arlequin de 1924 se détachant sur un mur où est reproduit le motif de son costume (« in a painterly way », pour citer le directeur artistique, c’est-à-dire, là encore, comme si les lignes géométriques étaient tracées au pinceau et non imprimées). Le thème du collage et de l’assemblage a inspiré au styliste une salle où se rapprochent les lés de papier peint aux motifs seventies plus ou moins discordants.

Le monde de la mode est aussi présent à travers une salle consacrée à la marinière : Picasso n’est pas Jean-Paul Gaultier, mais il existe assez de photographies et même d’œuvres de l’artiste où on le voit portant ce vêtement. Une autre salle se focalise sur le numéro de Vogue de mai 1951 que Picasso détourna en transformant le visage et le corps des mannequins, où en ajoutant sur les images des diables solidement membrés pour harceler ces demoiselles (ou même un curé en soutane). Paul Smith ayant été passionné de cyclisme dès son enfance, et le maillot rose du vainqueur du Tour d’Italie ayant été dessiné par lui, l’exposition s’ouvre avec la fameuse Tête de taureau fabriquée en 1942 à partir d’une selle et d’un guidon de vélo.

ILL. 3 Salle « Pièces uniques » © Voyez-Vous (Vinciane Lebrun)

Même quand elles sont assez peu nombreuses, les œuvres sont présentées de manière à conserver tout leur impact : c’est le cas notamment des douze assiettes de Vallauris accrochées au milieu d’un mur tout entier revêtu d’assiettes blanches, ou des deux versions de la sculpture La Chèvre qui dialoguent en face à face à côté d’une vitrine de chouettes en céramique. Le titre de l’exposition ne ment pas : le Musée Picasso a bel et bien pris des couleurs, mais on ne lui en voudra pas de revenir ensuite au « White Cube » désormais traditionnel pour présenter les œuvres d’art.

Catalogue : 176 + 4 pages, en français et en anglais, Musée national Picasso-Paris et Beaux-Arts Editions, 25 €

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
Crédits photo : © Voyez-Vous (Vinciane Lebrun)

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