« Fuji, pays de neige ».
Musée national des arts asiatiques Guimet, 6 place d’Iéna, 75016 Paris (accès par la rue Boissière pendant la durée des travaux).

Du 15 juillet au 12 octobre 2020, de 10h à 18h, tous les jours sauf le mardi, nocturne le jeudi jusqu’à 21h

Commissariat : Sophie Makariou, présidente du MNAAG et Vincent Lefèvre, directeur de la conservation et des collections du MNAAG

Catalogue : Fuji, pays de neige, catalogue publié en coédition avec la RMN-GP, 88 pages, 13,50 €.

Présentation exceptionnelle du 15 juillet au 12 octobre 2020, de 10h à 18h, tous les jours sauf le mardi, nocturne le jeudi jusqu’à 21h

Un de plus : dans la série des musées parisiens qui rouvrent après le confinement, le Musée Guimet – Musée national des arts asiatiques Guimet pour lui donner son nom complet – a attendu le 8 juillet pour accueillir à nouveau le public. Depuis le 15 juillet, le MNAAG propose à ses visiteurs d’admirer une sélection d’estampes japonaises autour du mont Fuji et, plus généralement, du thème de la neige. Malgré quelques regrets, sans doute liés aux difficultés causées par la pandémie, on y trouvera l’occasion de découvrir des artistes rarement montrés, aux côtés des valeurs sûres que sont Hokusai et Hiroshige. 

 

Affiche de la présentation exceptionnelle : "Fuji, pays de neige"

Les règles de distanciation physique imposées par la pandémie ont des effets que l’on ne soupçonnait pas forcément : après les salles de spectacle où l’on ne peut plus occuper qu’un siège sur deux ou trois, voici les expositions où l’on ne présente plus les œuvres que séparées par un large pan de mur, afin que les visiteurs puissent rester à un mètre les uns des autres.

Une fois de plus, tout est dans le titre, le sous-titre, et l’étiquetage. A peine rouvert, le Musée Guimet propose ce qu’on aurait apparemment grand tort d’appeler une exposition : il s’agit d’une « présentation exceptionnelle », expression ad hoc censée appâter le chaland mieux que ne le ferait l’appellation plus adéquate d’ « accrochage temporaire ». Le caractère exceptionnel vient sans doute du simple fait que ce qui est d’habitude présenté au deuxième étage se trouve cette fois au sous-sol. Le MNAAG a l’habitude de montrer par roulement une sélection d’œuvres prélevées dans son importante collection d’estampes japonaises, dans les vitrines et sur les murs du niveau supérieur de la fameuse rotonde où Mata-Hari se donna jadis en spectacle dans ses danses prétendument orientales. Comme telles, ces présentations s’intègrent d’ordinaire au parcours de visite, sans donner lieu à une tarification spéciale par rapport à l’entrée du musée. Mais en ce post-confinement, le Musée Guimet a repoussé à novembre la grande exposition consacrée au photographe Marc Riboud qui aurait dû avoir lieu à partir d’avril dans ses salles du niveau ‑1. L’espace se trouvant inoccupé, l’accrochage temporaire d’estampes prévu pour l’été a été descendu et pompeusement gratifié du nom de « présentation exceptionnelle ».

A ce premier caveat, on en ajoutera un second. Pandémie oblige, il semble bien que l’on ait fortement réduit la voilure par rapport aux ambitions initialement affichées par Sophie Makariou, présidente de l’établissement et commissaire de ce qui, on le rappelle, n’est pas une exposition. Dans une interview accordée en janvier au Journal du Japon (https://www.journaldujapon.com/2020/01/12/musee-guimet-des-arts-asiatiques-et-contemporains/), celle-ci avait déclaré vouloir suggérer divers rapprochements tout à fait pertinents du point de vue l’histoire de l’art : « Une petite mise en perspective sera effectuée avec le travail des impressionnistes, d’autres grands créateurs. Citons les Meules et la série des Cathédrale de Rouen de Monet, mais aussi la façade de l’église de Moret-sur-Loing de Sisley peinte à plusieurs moments de la journée. C’est le mont Fuji qui a été le premier objet que l’on a peint à plusieurs moments de la journée ou de la nuit, avec des phénomènes climatiques différents, par temps de neige, un matin clair, avec de la foudre… » Objectif ô combien louable, mais sans doute contrarié par la difficulté de négocier le genre de prêt nécessaire ; ni Monet ni Sisley ne sont finalement au rendez-vous, pas plus qu’aucun autre peintre français. Autre promesse qu’il n’a, semble-t-il, pas été possible de tenir entièrement : « La création contemporaine sera représentée avec des noren de Samiro Yunoki, des rideaux japonais fendus qui représentent le mont Fuji ». Un seul de ces rideaux est exposé. On en arrive ainsi à une présentation réunissant une soixantaine d’objets, en écrasante majorité des estampes, plus quelques photographies, quatre céramiques et un tissu imprimé (les grandes expositions de Guimet rassemblent en général au moins le double de pièces, jusqu’à 225 pour « Meiji, splendeurs du Japon impérial » en 2018). Beaucoup de murs ont été laissés nus, et les cartels ont été développés pour « meubler » un peu, avec des rappels sur l’histoire du Japon, du shogunat jusqu’à la période Meiji, ou des explications techniques sur la fabrication des estampes.

Hokusai (1760–1859), Fuji rouge, vent frais par matin clair, Trente six vues du Mont Fuji, 

Tout cela étant précisé, on sait bien que la collection japonaise du Musée Guimet est riche, et qu’il y a amplement matière à y puiser de quoi exposer. Malgré tout, la part du mont Fuji proprement dit s’avère relativement réduite, et il a bien fallu élargir le sujet à la représentation de la neige pour atteindre la masse critique. Plutôt que « Fuji », cette présentation aurait donc pu aussi bien s’appeler « Yuki », qui n’est pas seulement un nom de "chienchien à sa mémère", mais qui veut d’abord dire « neige » en japonais (et s’applique donc de préférence aux canidés de couleur blanche, on peut le supposer).

Hiroshige (1797–1858), Hara, Cinquante-trois vues du Tokaido 

S’il va du XVIIe siècle (une peinture de la déesse Asama no Okami censée habiter le mont Fuji, selon la religion shinto) jusqu’au début du nôtre (le noren susmentionné), le parcours fait évidemment la part belle aux maîtres de l’estampe paysagère que sont Hokusai et Hiroshige. Néanmoins, avant que la représentation de la nature devienne un sujet à part entière – ce fut seulement le cas à partir des premières décennies du XIXe siècle –, il était déjà possible d’inclure la forme triangulaire, stylisée du mont culminant à 3376 mètres, en guise de simple arrière-plan ou de détail introduit comme par jeu. Dans les Femmes riant d’Utamaro (1798), le Fuji n’est pas ce qu’on voit par la fenêtre, mais une image montée dans un cadre sur pied ;

Une courtisane de la maison Asahimaruya ‑Série Présentation des nouveaux motifs à la mode –  Koryusai (1735–1790)(actif de 1764–1788) Ère d’Edo, 1775–1781 – Estampe nishiki‑e MNAAG, legs Raymond Koechlin, 1932

chez Koryusai, deux jeunes filles endormies rêvent de pèlerins visitant la montagne, ou une courtisane se fait montrer par deux vendeuses un tissu sur lequel le Fuji est imprimé (vers 1780).

De Hokusai, le MNAAG présente quatre superbes tirages, avec variantes, parmi ses Trente-six Vues du mont Fuji, publiées entre 1831 et 1833 (d’autres images tirées de ce cycle, suspendues aux murs voisins, ont hélas perdu de leurs couleurs) ; le musée possède aussi des esquisses, tracées en noir et rouge, pour certaines estampes monochromes, de plus petit format, destinées aux deux volumes de ses Cent Vues du mont Fuji (1834–40). Souvent, le sommet du volcan touche le bord de l’image, ou dépasse même le cadre.

Hiroshige (1797–1858) – Ère d’Edo, 1857, Le pont Taiko et la colline Yuhi à Meguro Série des Cent vues célèbres d’Edo –Estampe nishiki‑e – MNAAG, legs Isaac de Camondo, 1911

De Hiroshige, sont présentées plusieurs images dont certaines, comme pour Hokusai plus loin, n’ont aucun rapport avec le Fuji, mais sont de magnifiques scènes de neige : de fait, à un peu moins de la mi-parcours, le projet s’affranchit de son titre principal pour s’attacher à la représentation de la neige dans l’estampe. Retour en arrière, vers le milieu du XVIIIe siècle, avec l’un des tout premiers grands maîtres, Harunobu, dont les œuvres, qui privilégient les personnages, tolèrent néanmoins les ombrelles saupoudrées d’une bonne couche de neige ou les empreintes laissées au sol par les sandales qui foulent l’épais tapis blanc. L’exposition, pardon, la présentation exceptionnelle a aussi le grand mérite de ne pas s’arrêter avec les derniers artistes « classiques », car elle pousse au-delà de Kuniyoshi (mort en 1861) pour évoquer la fin du XIXe siècle et jusqu’au milieu du suivant, avec des artistes moins connus en Occident : Toshikata (1866–1908) et ses Episodes de la guerre sino-japonaise (1895), qui reprennent la forme traditionnelle du triptyque, mais qui traitent leur sujet militaire de manière presque totalement indépendante des conventions graphiques japonaises,

Hasui (1883 – 1957), Neige sur le temple Zojoji 

ou surtout Hasui (1883–1957), dont la Neige sur le temple Zojoji, avec sa ligne claire, ne déparerait pas dans un album de Tintin ou dans un volume de manga. Ou en couverture d’un roman de Kawabata, auquel est empruntée l’expression « Pays de neige », justement.

Catalogue :
Fuji, Pays de neige
Français
88 pages / 60 illustrations
Coédition RMN-Grand Palais avec le musée national des arts asiatiques – Guimet
13,50 €

(Couverture : Hokusai (1760–1849), Fuji bleu, vent frais par matin clair)

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
Crédits photo : © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Harry Bréjat (Koryusai/Hiroshige)
© RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier (Hasui)
© RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Michel Urtado (Hokusai)

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