Gioachino Rossini (1792–1868)
Le Nozze di Teti e di Peleo (1816)
Cantate
Livret d’Angelo Maria Ricci
Créé au Teatro del Fondo, Naples, le 24 avril 1816

Eleonora Bellocci (Teti)
Mert Süngü (Peleo)
Leonor Bonilla (Cerere)
Joshua Stewart (Giove)
Marina Comparato (Giunone)

Górecki Chamber Choir, Krakow
Virtuosi Brunenses
Direction musicale : Pietro Rizzo

1 CD Naxos 8.574282– 58’02

 

Enregistré à la Trinkhalle de Bad Wildbad les 24 et 26 juillet 2018

Les occasions d’entendre Le Nozze di Teti e di Peleo de Rossini sont rares ; c’est donc avec une certaine curiosité que l’on a vu paraître cet album chez Naxos, enregistré au festival Rossini de Bad Wildbad en juillet 2018. Interprété par cinq jeunes solistes, l’enregistrement peine à susciter l’enthousiasme : il manque sans doute un peu de maturité aux chanteurs, et aussi un orchestre qui offre davantage de nuances et de contrastes. Voilà une parution qui intéressera les curieux ou les spécialistes du répertoire rossinien, mais dont l’interprétation laisse encore à désirer pour rendre justice à l’œuvre.

 

Le Nozze di Teti e di Peleo n’est certainement pas l’œuvre la plus enthousiasmante de Rossini, ni la plus originale – l’auditeur pourra d’ailleurs s’amuser à reconnaître des citations du Barbiere di Siviglia, de La Pietra del Paragone ou deLa Scala di Seta. Elle n’en offre pas moins quelques beaux morceaux de bravoure à ses interprètes et devait être un spectacle splendide lors de sa création en 1816.

Cantate ou azione coro-drammatica, ces noces de Thétis et de Pélée étaient en effet destinées aux célébrations du mariage de Marie-Caroline de Bourbon-Siciles et de Charles-Ferdinand d’Artois, duc de Berry (et fils du futur Charles X) à Parme. La partition de Rossini était accompagnée d’un ballet composé par Gallenberg et aujourd’hui perdu, et bénéficiait de décors fastueux et d’interprètes rossiniens de premier plan : Isabella Colbran, qui deviendra la muse et l’épouse de Rossini, Andrea Nozzari ((Andrea Nozzari participa à la création de neuf opéras de Rossini, créant entre autres les rôles de Leicester (Elisabetta), Otello, Rinaldo (Armida), Rodrigo (La Donna del Lago) ou Antenore (Zelmira) )) ou encore Giovanni David ((Rossini écrira pour Giovanni David les rôles de Rodrigo (Otello), Ricciardo (Ricciardo e Zoraide), Uberto (La Donna del Lago) ou encore Ilo (Zelmira) )). Le récit mythique des noces de la néréide Thétis et du héros Pélée, bénies par les dieux de l’Olympe, constitue ainsi une évocation allégorique du mariage royal et le livret laisse la part belle à Cérès, déesse de la fertilité mais aussi déesse protectrice du royaume des Deux-Siciles. Il ne faut donc pas s’attendre à de grands développements dramatiques, moins encore à quelque forme de psychologie chez les personnages : cette cantate est un divertissement de cour, tout empreint de symboles et louant la victoire de la vertu et de l’amour sur la discorde ; une œuvre de circonstances quelques mois après le retour sur le trône du roi Ferdinand IV, et célébrant l’espoir d’un avenir plus prospère pour le royaume.

Il faut bien avouer que l’œuvre, au disque, a un peu de mal à convaincre. On retiendra certes le virtuose « Giusto cielo » de Peleo et le « Ah non potrian resistere » de Cereo – réécriture du « Cessa di più resistere » du Comte Almaviva dans Il Barbiere di Siviglia – où pyrotechnies vocales et inventivité mélodique se mêlent. Mais pour le reste, les récitatifs aussi bien que les ensembles peinent un peu à capter l’attention lorsqu’on n’a ni mise en scène, ni décors, ni costumes. Il faut avouer également que le livret d’Angelo Maria Ricci réduit l’action à son strict minimum : Peleo, impatient d’épouser sa fiancée, implore les dieux de hâter son mariage. Teti le rejoint et tous les dieux, Giove (Jupiter) en tête, se réjouissent du bonheur du jeune couple. Apparaît soudain Eris, déesse de la discorde, venue semer le trouble mais que Giove parvient à renvoyer vers les Enfers en un rien de temps (Eris ne chante même pas) ; les invités félicitent les mariés, et Cérès leur prédit un avenir radieux. C’est succinct, et un peu léger lorsqu’on joue cette partition sans support scénique. Voilà donc une œuvre à écouter par curiosité ou pour parfaire sa connaissance du répertoire rossinien à moins d’être servie par une distribution exceptionnelle, ce qui n’est malheureusement pas le cas sur cet album.

Le label Naxos a en tout cas le mérite de proposer un enregistrement des Nozze di Teti e di Peleo, capté en juillet 2018 au Festival Rossini de Bad Wildbad. Le live a l’avantage de rendre palpable l’énergie présente sur scène lors de la représentation ; mais la captation a ici le gros inconvénient de faire entendre les bruits venant de la salle pendant l’ouverture, notamment des quintes de toux – et est-ce le chef que l’on entend chantonner ? Voilà des détails qui n’étaient pas indispensables au disque, quand bien même on aurait voulu lui donner une forme de naturel et de spontanéité. De manière générale d’ailleurs, la prise de son laisse à désirer, peu équilibrée en ce qui concerne l’orchestre.

Venons-en aux chanteurs et à la Cerere de Leonor Bonilla, qui possède les pages les plus longues et les plus virtuoses de l’œuvre : si le timbre n’est pas particulièrement flatteur dans l’aigu, la jeune soprano maîtrise sans conteste la grammaire rossinienne et la voix a une belle épaisseur sur l’ensemble de la tessiture qui donne une certaine présence à la déesse Cérès. Leonor Bonilla trouve en tout cas un rôle tout à fait dans ses moyens vocaux.

Mert Süngü offre un Peleo à la voix claire et lumineuse, qui manque par moments de couverture et souffre de quelques sons pris par le bas, mais dont le timbre convient bien à ce répertoire. On apprécie l’attention qu’il porte à la désinence et au dessin mélodique, bien que le legato puisse être encore plus poussé ; la voix manque sans doute simplement encore d’un peu de maturité, car Mert Süngü possède toutes les qualités du ténor belcantiste.

Face à lui, Eleonora Bellocci est une Teti délicate et au chant élégant ; mais Marina Comparato a du mal à s’imposer en Giunone. Le Giove de Joshua Stewart est en revanche plus problématique avec un placement vocal bas, presque engorgé, qui ne permet pas à la voix de se déployer.

La prestation du Gorecki Chamber Choir est bien exécutée mais passe relativement inaperçue, tandis que l’interprétation des Virtuosi Brunensis, placés sous la direction de Pietro Rizzo, est tout à fait dans l’esprit rossinien même si elle souffre de quelques imprécisions concernant les solos aux vents. On aurait pu espérer également davantage de nuances et de contrastes. Voilà qui en fait un enregistrement un peu décevant parce qu’il ne parvient pas à combler les faiblesses relatives de l’œuvre ; pour des noces, l’heure n’est donc pas tout à fait à la fête…

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

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