Programme

Ravel, Le Tombeau de Couperin
Beethoven, Symphonie n°7 en la majeur, op. 92

Orchestre de Paris
Klaus Mäkelä, direction

 

Philharmonie de Paris, Grande salle Pierre Boulez, le 9 juillet 2020

Quelques jours après l’annonce de sa désignation comme futur directeur de l’Orchestre de Pari (à la rentrée 2022, après deux années de transition durant lesquelles il officiera comme conseiller musical), Klaus Mäkelä avait les honneurs d’un concert ajouté pour déconfiner symboliquement une Philharmonie recluse depuis mars. Tout, bien sûr, devait y être soumis au contexte sanitaire : jauge réduite, disposition orchestrale adaptée, programme d’une heure et d’un seul tenant, plus ou moins à l’image de ce qui s’est pratiqué ces dernières semaines en Autriche et en Allemagne. L’événement, plaisant en lui-même, permet de vérifier le talent déjà bien établi du chef de vingt-quatre ans, et que sa future phalange ne paraît pas souffrir du manque d’activité. Il restera surtout l’un des points de départ de nouvelles ères, pour l’orchestre, son lieu de résidence, et pour notre vie musicale en général : perspectives à l’aune desquelles les responsabilités pesant sur Klaus Mäkelä sont lourdes. Que penser, d’ailleurs, de ce pari de la jeunesse, tendance de plus en plus affirmée des grandes institutions ?

Klaus Mäkelä

Quelques concerts filmés récemment – pas dans un petit répertoire – ont presque suffi à établir la réputation de Mäkelä sur la scène internationale. Ses passages sur les podiums parisiens (de l’OP la saison passée, à Radio-France juste avant le confinement) ont également convaincu bien des mélomanes, et surtout les musiciens résidents de la Philharmonie qu’ils tenaient leur prodige finlandais à eux (puisqu’il est presque de bon ton d’avoir le sien : mais on reviendra sur cet aspect). Si le répertoire de prédilection du prodige n’est pas encore bien défini, ses points forts paraissent d’autant plus évidents qu’ils une portée générale. Ils tiennent, au fond, en un mot : le calme. C’est ce qui frappe chez lui, comme chef de vingt-quatre ans, mais au fond comme interprète tout court. Si son apparence physique est à l’exacte opposée de Mikko Franck, son aîné de quinze ans formé aux mêmes classes, l’Orchestre de Paris et le Philharmonique de Radio-France auront en commun d’avoir des directeurs musicaux flegmatiques, ressentant profondément la nécessité de ne pas être conduits par l’orchestre, et de ne surtout pas produire un spectacle ornemental d’illustration des sons. On pourrait arrêter ici la comparaison, car il est vraisemblable que le rapport au discours, au son et au rythme des deux chefs soient extrêmement différents. Ils laissent néanmoins voir une quête commune assez évidente dans le répertoire romantique, celle d'un discours se construisant sans effets ni didactisme, et surtout d’une plénitude de respiration de la scène sonore, la conception claire d’un son profond, mais pas lourd.

De ce point de vue, celui qui dirige l’orchestre résident de la Philharmonie part avec une bonne longueur d’avance sur celui installé à la Maison de la Radio. Pas tant du fait des aptitudes très comparables des deux formations, mais de celui des possibilités acoustiques. Et c’est sans doute un des chantiers les plus excitants des années à venir. Si Paavo Järvi, durant la transition Pleyel-Philharmonie, avait eu le grand mérite de reconstituer un outil fiable et motivé à partir de ruines, et Daniel Harding celui de maintenir, aux côtés des invités réguliers, une exigence technique idoine, et que les deux ont contribué à élargir le répertoire, l’OP rénové attend désormais le directeur musical qui saura imprimer une véritable signature sonore et stylistique, autant que possible en phase avec les multiples possibilités ouvertes par son bel outil de travail. Et pour cela, Mäkelä pourrait bien avoir été le bon choix, car si le travail de modelage d'un son d'orchestre en lien avec les propriétés d'une salle sont normalement l'apanage des chefs expérimentés, la première des conditions est de démontrer un intérêt pour la question.

La relative neutralité de caractérisation est certainement plus dommageable dans le Tombeau de Couperin, où se cumulent les exigences de pièce dans le style ancien et celles d’une signature d’orchestration ravélienne. Mais on voit cependant quelles qualités cette direction aspire à déployer : au travers de la retenue gestuelle, c’est la décontraction des musiciens qu’elle vise, et il est clair que dans la suite du Tombeau, cette composante est essentielle pour faire jaillir la lumière et le scorrevole naturels de la partition, et surtout du prélude. Mais l’œuvre a aussi besoin de rebond rythmique pour ne pas être que glissement, et de ce point de vue, le peu d’interventionnisme de cette direction ne va pas sans une légère mollesse, qu’une très grande clarté ne compense pas tout à fait. La petite harmonie offre dans le prélude une prestation à cette image, propre et sage. La forlane pousse plus loin la logique d’une élégance débonnaire, en étant vraiment prise allegretto (ce qui est assez rare, et à l’orchestre du moins tend à annuler le caractère folklorique). Là encore, le soin et la précision apportés à l’accent et aux textures sont appréciables, mais exclusifs d’un ton plus spirituel, et de toute alacrité. Les deux derniers mouvements sont plus fermement tenus, une grande réussite étant le déploiement d’une arche expressive de long terme dans le menuet, qui va de loin à loin.

Dans Ravel comme dans Beethoven, Mäkelä opte pour un effectif intermédiaire, tout terrain (14–12–11–8‑6, si l’individuation des pupitres ne nous a pas trompé), mais qu’il fait sonner comme plus vaste. On pourrait s’inquiéter, ici comme ailleurs, des conséquences immédiates de la désunion des pupitres de cordes provoquée par les précautions sanitaires. Si l’on n’a pu juger du résultat sur d’autres orchestres (Mäkelä dirigeait le Philharmonique de Munich avec la même contrainte quelques jours plus tôt), ce qu’on entend ici est rassurant. Le défaut d’unité et de réactivité que l’on pouvait craindre, au moins aux violons, est indécelable. Mäkelä opte (cela ne semble pas systématique chez lui) pour la disposition des contrebasses en alignement au fond, un choix qui déçoit rarement et n’a presque que des avantages : la spatialisation accrue de l’équilibre harmonique du quintette, la séparation souvent utile pour l’intelligibilité d’avec les violoncelles, et l’approfondissement de la scène sonore. Il n’est pas besoin de s’étendre sur les gains évidents pour l’expression et l’excitation qui se vérifient dans le crescendo du menuet du Tombeau, et bien sûr dans les préparations de codas des mouvements extrêmes de la symphonie. Dans celle du finale, la spatialisation offre même un accroissement réjouissant de continuité rythmique, révélant comme en négatif un aspect très particulier de ce passage si célèbre : ici, Beethoven construit le sommet de tension par la raréfaction du matériau de danse (réduit par sa découpe à des interjections entre pupitres) qui donnait au mouvement son caractère et son intensité. Le rythme fondamental du mouvement apparaît alors, durant trente mesures, non plus comme le tournoiement flamboyant du thème, mais comme la sombre et râpeuse oscillation chromatique de la basse. Ce n'est pas franchement une découverte, bien sûr, mais cet aspect à la fois primitif et sombre du mouvement est ici rendu avec une belle clairvoyance (qui rappelle d'ailleurs un peu Salonen dans le même passage, également avec l'OP il y a dix ans… mais avec plus de sérénité).

Sonore et stylistique. Un chef de 24 ans peut-il avoir un style ? Sans doute pas entièrement, mais il n’est pas faux qu’une personnalité interprétative, en instrument comme en direction d’orchestre, puisse naître d’une conception du son couplée à des vertus élémentaires, comme la tempérance et la patience dans la construction. Mais il faudra sans doute le mûrissement des deux saisons de transition à venir pour, on l’espère, voire se développer cette personnalité. Il y a, potentiellement, une touche vintage dans la direction de Mäkelä. Plutôt qu’une neutralité prudente, ses choix d’effectifs, d’équilibres, de tempos et d’articulation dénotent autant dans Ravel que dans Beethoven une intemporalité. Mäkelä (comme Franck, d’ailleurs) est trop jeune pour être sensible aux querelles de chapelles et ne sent pas tenu de s’approprier une identité beethovénienne assimilable à un clan esthétique, au contraire de la génération deux fois plus âgée (avec les Thielemann et Gatti d’un côté, Järvi, Jurowski ou Hengelbrock de l’autre). Il met ses pas dans un chemin déjà largement tracé. A l’instar des propositions de Jansons, Salonen, Honeck ou Petrenko ces dernières années, Mäkelä suit sans doute la voie d’un dépassement de cette ère de la confrontation des idéaux, lui qui est appelé à porter l’étendard d’une génération pour laquelle Furtwängler et Harnoncourt, Karajan et Gardiner font partie d’une même grande histoire de l’interprétation beethovénienne, consommée avant sa naissance.

Ce qui est à incarner charnellement n’est plus un idéal stylistique identifié, mais le sédiment de couches d’idéaux sur lesquelles doivent émerger de nouvelles textures, de nouvelles verdeurs, des accents réinventés. Sans doute avec moins de schémas tout faits, avec moins d’ostentation, de procédés en forme de manifestes. L’interprétation du répertoire classique et préromantique en général, terrain d’une guerre de tranchées esthétiques de quarante ans (stérile depuis vingt), n’a besoin de rien tant que de finesse. Elle a besoin que le développement continu de la virtuosité individuelle et collective corresponde à des lectures plus subtiles et approfondies des partitions, et pas seulement à des réalisations plus démonstratives et spectaculaires. Elle a besoin que la familiarité croissante des musiciens et du public avec la musique du XXe et du XXIe siècles serve à enrichir la compréhension de celle de 1800, plutôt que d’être tenue de répondre à la question de si elle doit sonner comme en 1800 ou comme en 1950. Et s’il y a bien une chose qui ressort positivement du goût de Mäkelä pour une forme de sous-direction (en particulier des climax), c’est le refus du spectacle, non seulement visuel, mais sonore, et la recherche d’une élaboration progressive de la tension. La progressivité de sa conduite dans le développement de l'allegro est à cet égard impeccable, et l'énergie restant disponible pour la récapitulation centrale (ci-dessous) appréciable, d'autant que c'est un des rares endroits, stratégiques à souhait, où Mäkelä appuie une option interprétative (le détachement accentué des appoggiatures, d'un bel effet). C'est d'autant plus vrai que cela se produit après une introduction majestueuse et patiente, intelligemment articulée, et surtout une répétition réussie de l'exposition, un peu passée de mode et prudemment évitée par les chefs qui arrivent à la barre de reprise en ayant déjà consommé la moitié de la batterie.

La question presque triviale que pose la découverte d’un très jeune chef dans les piliers du répertoire classico-romantique est celle de son sens de la forme. Peut-être que, par paresse, on tend à mal la poser, en l’intellectualisant inutilement. Car, quand on observe in vivo ce qui semble causer le manque de cohérence formelle dans l’interprétation d’une symphonie de Beethoven, que ce soit chez des chefs jeunes ou chevronnés, on le trouve dans des attitudes, des gestes et partis pris très concrets, l’un faisant tomber une transition à plat, l’autre échouant à conduire une progression dynamique cohérente, ou à donner une unité de phrasé d’un pupitre à l’autre, et ainsi de suite. Comme pour un soliste, ce qu’on appelle le sens de la (grande) forme n’est que marginalement une affaire d’acuité cérébrale et de maturité personnelle. Mäkelä fait partie de ceux qui se sont d'emblée facilité la tâche, par son refus structurel de la vaine agitation, et son goût pour une clarté non démonstrative, obtenue par la décontraction des pupitres. Par son économie gestuelle dédiée à ces objectifs, et sa grande taille dont il sait déjà jouer, c'est à Blomstedt, son ainé de trois-quarts de siècle, qu'il fait le plus penser. Mais c'est vrai aussi, pour partie, dans le style interprétatif, fondé sur des choix de tempos dans la moyenne, voire la moyenne lente, mais couplés avec un souci de gradations lentes et d'aération sans effets de zoom de la polyphonie. Et si ce n'est pas immédiatement séduisant ou excitant, on peut trouver bien des vertus à ce qu'un chef déjà vedettisé de cet âge offre, au fond, un Beethoven de kappelmeister, car ce n'est pas ce à quoi on est habitué avec les baguettes les plus précoces. La contrepartie est, sans surprise, un certain manque de caractère des mouvements centraux, qui réclament un peu plus d'interventionnisme. La comparaison ici serait cruelle si l'on pensait trop à la dernière audition de la 7e par l'OP, sous la baguette de Dohnanyi. Mais comparer qui que ce soit aujourd'hui au drive rythmique et au sens de la continuité insurpassables de cet autre nonagénaire serait cruel pour n'importe qui. Le sens de la forme, Mäkelä l'a, parce qu'il a la simplicité de conception de ces vieux sages : il lui reste à acquérir leur science des grandes forces, de la pulsation de long terme. Et aussi, le lien subtil entre texture et rythme, par exemple en veillant à la subtilité (généralement synonyme d'efficacité) du jeu de timbales.

* *

A présent, quelques réflexions plus générales. Un concert, de surcroît dans un contexte particulier à tous égards, est insuffisant pour se faire une idée claire de la pertinence du choix fait par l’OP, si sensiblement stratégique dans le contexte de déséquilibre, sinon de précarisation généralisée de la vie musicale. On peut gloser (un peu) sur la généralisation somme tout récente de Wunderkinder de la direction d’orchestre, chefs promus à peine trentenaires à la tête de certains des vingt ou trente meilleurs orchestres du monde. Il y a au moins deux lectures possibles du phénomène, contradictoires en apparence seulement. La première est consiste à dire qu’il n’y a rien de très nouveau sous le soleil, et que de tous temps la profession a confié des postes prestigieux tantôt à de quasi débutants, tantôt à des chefs ayant patiemment mûri leur savoir-faire. Certains ont appris le métier en même temps que leur instrument au conservatoire, d’autres après dix, vingt ou quarante ans de carrière soliste ou de musicien du rang. D’aucuns ont tout de suite commencé à diriger les grandes symphonies du répertoire avec des orchestres de prestige tandis que les autres apprenaient à la dure le métier dans des fosses d’opéra provinciaux – cursus défendu encore, non sans arguments, comme le meilleur possible.

Et justement, un autre point de vue possible est que ce n’est pas la patine artistique ou la seule crédibilité de l’âge qui manquent aux derniers jeunes loups des podiums, mais tout simplement le métier, sa dimension artisanale : en-deçà de la facilité technique, des dons analytiques et d’oreille, de la virtuosité naturelle, on a pu avoir le sentiment que ce qui avait le plus manqué aux Dudamel, Harding, Bringuier ou Nelsons (tous surdoués de la battue et de la communication musicale) était une forme d’exigence noblement prosaïque, de goût de la simplicité quant à la mise en place et aux équilibres : carence qui peut rendre tout le reste (l’expression, les transitions, le sentiment de la forme) plus difficile à obtenir. Il n'est sans doute pas faux que l'extraordinaire profusion de créatures sorties des classes de Jorma Panula a aussi en partie rebattu les standards de la formation, notamment en adossant l'exigence de virtuosité aux besoins de la musique d'aujourd'hui.

Il faut souligner que l'attraction exercée par les très jeunes baguettes se constate depuis au moins un siècle, en restant davantage l’exception que la règle et étant à relativiser : s’il y a toujours eu des musiciens pour se frotter à la baguette dès la sortie du conservatoire, et parfois tout de suite face à des formations de premier plan, des débuts très précoces ne débouchaient pas (hormis des cas exceptionnels comme celui d’un Szell promu directeur du Philharmonique de Strasbourg, alors très prestigieux, à 20 ans, ou Kubelik, Karajan et Mehta) sur la nomination à un poste important avant plus d’une décennie de progression. Tous considérés comme Wunderkinder dans des périodes et des pays différents, Monteux, Maazel, Haitink, Muti, Walter, Abbado, Levine ou Gergiev n’ont obtenu leur premier grand engagement que vers 35 ans ou plus tard (dans une maison d’opéra pour les quatre derniers nommés). La liste transgénérationnelle des chefs d’un prestige identique ayant usé leurs fonds de culottes dans les fosses à apprendre tout le répertoire lyrique (y compris le plus ingrat) avant le symphonique serait, elle, beaucoup plus longue.

Il reste qu’aucun de ces constats ne sont transparents. D’abord parce que la précocité est mal définie : est-ce plutôt le fait de débuter dans le métier à 20 ans, d’être invité à Vienne ou Berlin à 25, de recevoir un premier mandat, même modeste, avant 30, ou de prendre la direction d’un des dix plus grands orchestres avant 45 ? Ces critères ne se recoupent pas toujours. Celui de l’ancienneté dans le métier est plus intéressant. Il l’est encore davantage s’il est pondéré de l’expérience comme musicien d’orchestre, ou comme chef lyrique. A ces égards, les parcours d’Andris Nelsons, Vladimir Jurowski ou Mikko Franck démontrent, de façons différentes, une progression plus structurée qu’il n’y paraît. Il n'en demeure pas moins que l'âge moyen auquel des chefs accèdent à de grands postes baisse de façon tendancielle, et que la précocité de Mäkelä, tous critères confondus, demeure rare même à cette aune. On peut alors renverser le problème : plus encore pour un chef sans grande expérience, il conviendra que son employeur lui laisse le temps et l'espace pour développer sa personnalité. Le contrat de départ (2+5 ans) permet de construire quelque chose. Mais seulement à condition que le temps ne sot pas émietté : une partie des critiques que l'on peut former contre les évolutions de Nelsons, Dudamel ou Harding ont un noyau commun, le fait, non pas d'avoir été nommés trop jeunes à un grand poste, mais d'avoir très vite trop dirigé, partout, tout le temps – une logique infernale qu'il est très difficile de renverser, dans un business mondialisé où flux tendus se combinent avec besoin de planifier l'activité (les invitations) à plusieurs années. L'incertitude sanitaire de long terme pourrait d'ailleurs, à l'image des circuits industriels en général, avoir pour intérêt de forcer à repenser ce modèle du All Stars Tour permanent de la vie symphonique internationale.

Il n’échappe à personne que l’image de marque que contribue à façonner le choix d’un directeur musical est plus que jamais un enjeu central des stratégies de recrutement. Mais avant de critiquer par principe le choix d’un jeune et beau gamin (ou d’une séduisante jeune femme), il faut remarquer que ce simple constat implique une concurrence grandissante entre orchestres pour attirer les figures les plus importantes de demain. La notion de pari est donc devenu relative, une partie du pari étant gagné au moment où on arrive à le placer. Mais sur un plan musical, ce dernier énoncé ne devrait pas être loin de la vérité dans le cas Mäkelä : tant d’autres incertitudes planent sur la vie musicale que c’est le moindre des voeux à former. Il est possible qu’à Paris ou ailleurs (encore qu’à Londres, New York ou Philadelphie, les annulations générales courent jusqu’en décembre et même février prochains), un retour à la quasi normale soit le lot des formations résidentes. Mais l’instabilité qui menace les tournées, notamment orchestrales, est destinée à devenir chronique, et peut-être sur une très longue période. Ce seul aspect est de nature à modifier profondément le profil et le sens d’une vie musicale telle que celle de Paris (voire, de Paris entre toutes), massivement structurée par le fait d’être centre névralgique de cette circulation mondiale.

La place des orchestres résidents pourrait redevenir aussi essentielle qu’elle l’a été à l’époque où l’institution moderne du concert symphonique s’est formée, c’est-à-dire entre 1850 et 1900. C’est une perspective stimulante et intimidante, que ce soit sous l’angle de l’exigence de qualité, de celui de la richesse de la programmation et de la création, ou de celui du renouvellement des publics. La Philharmonie et sa Grande Salle P. Boulez ont été conçus d’abord pour fournir un outil adapté à cette concentration d’invités de prestige. Mais la stratégie conjointe de sa direction et de celle de l’OP, qui a mené à la fusion des institutions, pourrait rapidement s’avérer encore plus judicieuse qu’il était possible de le prévoir.  Placé face à ces responsabilités jusqu’en 2027 au moins, Klaus Mäkelä pourrait être presque obligé de rendre aussi importante la perspective pour un Parisien d’assister à un concert de l’OP qu’est son équivalent pour un citoyen de Berlin, Cleveland ou Amsterdam. Il part de loin, mais une portion significative du chemin a été accomplie avant lui. Un facteur de réussite moins important que son talent et son développement, mais non anecdotique, est le désir du public envers une telle perspective. Et un indice encourageant a été fourni par la demi-jauge (1200 personnes) réunie ce 9 juillet  : la très longue – plusieurs minutes – salve d’applaudissements réservés aux musiciens avant l’entrée en scène de Laurent Bayle puis de Mäkelä. Qui n’avait aucune signification esthétique ou politique claire, mais signifiait pourtant un peu plus que le simple fait d’être content d’être là : d’être heureux de retrouver son orchestre. Il est bon que cette attitude soit tangible dans une ville musicalement civilisée.

Avatar photo
Théo Bélaud
Né en 1984 dans le Pas-de-Calais, Théo Bélaud fait ses études de philosophie à Lille, et débute dans la critique musicale en 2007. Collaborateur à Classiqueinfo ou Actu-philosophia, il étudie notamment l’œuvre de Charles Rosen, dont il a traduit et présenté Musique et sentiment & autres essais (Contrechamps, 2020).

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici