La série "Richard Wagner für Kinder" est une sorte de festival off, lancé il y a 10 ans tout juste par Bayreuther Festspiele Medien (BF Medien), une création signée Katharina Wagner. Un premier cycle avait réuni les dix opéras donnés (Ring compris) dans ce qu'on aurait envie d'appeler l'édition pour enfants du Festival. Un second est en cours, avec cette année Die Meistersinger von Nürnberg et l'an prochain Tristan und Isolde. Le principe reste inchangé : le spectacle a lieu dans un espace en proximité immédiate du Festspielhaus, un espace de répétition (Probebühne) qui accueille en un peu plus d'une heure de temps une version raccourcie d'un opéra de Wagner. L'équipe de conception comprend un metteur en scène, un scénographe, un décorateur, un costumier, un chef éclairagiste et une adaptation du livret signée Katharina Wagner et Markus Latsch.
L'idée est de réaliser un spectacle sur mesure pour un public entre 8 et 12 ans mais sans concession aucune concernant le niveau artistique, avec des chanteurs qui se produisent pour l'essentiel dans le Festival, une partition et un livret réduits astucieusement dans l'idée de conserver les principaux airs et le schéma narratif de l'œuvre initiale. Le résultat se fait entendre, avant et après le spectacle, par un tumulte enthousiaste qui contraste avec la concentration silencieuse pendant la représentation. L'entreprise est également pédagogique, avec ces cahiers volumineux qu'on distribue aux enfants à la sortie. Ils y retrouvent sous forme de jeux, devinettes, mots croisés et atelier dessins, une palette d'activités en lien avec l'opéra qu'ils viennent de voir.
Ivan Ivanov a conçu pour ces Meistersinger un décor plutôt traditionnel, qui fonctionne en deux parties pivotantes qui s'assemblent pour représenter les différents lieux dans lesquels se déroule l'action, depuis la cathédrale avec ses vitraux médiévaux, jusqu'à la salle où le concours de chant a lieu en passant par des intérieurs plus réduits comme l'atelier de Sachs. Un orchestre à l'effectif réduit (une grosse vingtaine de musiciens) est situé derrière ce décor, ce qui contraint les chanteurs à fixer discrètement les moniteurs durant toute la représentation. La mise en scène de Dirk Girschik ne s'embarrasse pas de prétentions pour camper avec beaucoup d'humour une intrigue dont le caractère universel peut se résumer de la façon suivante : un noble aristocrate sans le sou, un cœur à prendre, un coup de foudre et une série d'obstacles à surmonter pour parvenir à ses fins.
Walther von Stolzing a tout d'un chevalier un peu benêt sorti d'un dessin animé de Tex Avery ; il faut voir comment le héros mélomane fait rire les enfants avec sa fausse crinière et ses airs innocents quand ses yeux tombent pour la première fois sur une Eva, aussi blonde que ronde et désirable. Cette dernière passe son temps à dessiner des fleurs sur le pourtour d'une fenêtre qui ressemble à un donjon. Magdalene et David surgissent pour séparer les deux amoureux, rappelant à l'une à ses devoirs de moralité et instruisant l'autre des conditions qu'il devra remplir pour espérer devenir un maître chanteur et partant, conquérir le cœur de sa bien-aimée.
Walther en est encore à consulter les centaines de feuilles volantes sur lesquelles sont inscrites les règles du chant, quand l'austère communauté fait irruption dans le petit espace qu'on dégage à la va-vite pour les accueillir. Les costumes de Ina Kromphardt rappellent furieusement les modèles très classiques de Klaus Bruns dans la version Barrie Kosky. Mention spéciale à Kunz Vogelgesang (Michael Gniffke) avec ses favoris roux et sa veste panthère, ou bien à Balthasar Zorn le nez dans une chope de bière. Veit Pogner arbore des atours de notable, avec de somptueuses fourrures, dont on observe les variantes chez Fritz Kothner ou Konrad Nachtigall. La scénographie fait de Hans Sachs un vieux sage débonnaire, celui qu'on va volontiers consulter dans les films d'action qui mettent en scène de jeunes héros inexpérimentés. Par contraste, Sixtus Beckmesser a tout du fonctionnaire raide et étroit, avec sa coupe au bol et son bouc noir façon Shérif de Nottingham. Sa mise est exagérément apprêtée et le public n'est pas dupe de la manière assez docte et pédante avec laquelle il corrige le jeune Walther lors de sa première prestation.
Les choses se compliquent un peu lorsqu'il s'agit de faire comprendre au public la confusion des sentiments qui saisit Sachs au moment de choisir entre Eva et son rôle de tuteur du jeune prétendant. De la même manière, les enfants percevront certainement le ridicule de la prestation de Beckmesser dans le concours de chant, mais sans doute pas (ou mal) les tribulations qui font voyager le poème dicté par Walther et subtilisé par son rival. Le quintette est tout juste esquissé qu'il s'agit de réveiller des maîtres abrutis de fatigue et gisant au sol après la bataille du deuxième acte.
Ce rare moment d'interaction entre les chanteurs et le jeune public donne lieu à un concours de décibel pour lancer le plus fort possible le célèbre "Wach auf". Tous tremblent d'effroi et s'agitent comiquement, à la grande joie des enfants. Sans surprise, Walther triomphera des épreuves et emportera le cœur d'Eva. Tout est bien qui finit bien, il serre la main de Beckmesser, sans trop insister sur ses hésitations à intégrer la société des maîtres à la dernière minute. Les portes de la salle s'ouvrent et le jour pénètre dans la salle, tandis que l'orchestre s'ébroue joliment et que les voix forment une magnifique treille vocale célébrant le message d'un art allemand vibrant d'humanité.
Ce Kinderoper fonctionne comme un laboratoire miniature où les chanteurs peuvent s'exercer dans des prises de rôles qui laissent entendre des potentiels très forts, quand il ne s'agit pas tout simplement de voix déjà présentes dans plusieurs opéras du Festival. C'est le cas par exemple pour le Pogner sonore et poignant de Timo Riihonen, éternel abonné aux seconds rôles et qui trouve dans cet opéra pour enfant une carrure vocale qui peut laisser espérer de futurs succès.
Le Sachs de Werner van Mechelen lui emprunte le pas, avec une émission saine et de belles couleurs. Christiane Kohl est une habituée de Bayreuth, voix épanouie affichant un beau timbre, elle est accompagnée par la somptueuse Magdalene de Simone Schröder, autre valeur sûre de la Colline. Le David de Stefan Heibach a une noblesse et une projection qui manquent malheureusement au Walther engorgé et revêche de Vincent Wolfsteiner, seul point faible de la production.
Nous réserverons une place particulière au Beckmesser d'Armin Kolarczyk (Nachtigall dans la production Kosky), impeccable de mordant et d'abattage. Mention spéciale également pour Paul Kaufmann et Andreas Hörl (Balthasar Zorn et Hans Schwarz) qui assurent ici la version miniature de leurs rôles dans la production "pour adultes".
Azis Sadikovic dirige tête baissée un Brandenburgisches Staatsorchester Frankfurt qui fait mentir son petit effectif et produit une prestation absolument remarquable de précision et de volume. On se réjouit à l'idée que ce rendez-vous pour jeune public prenne davantage d'ampleur et devienne un incontournable du public "officiel". Rappelons, si besoin était que les anciennes productions ont fait l'objet de parutions DVD à découvrir sur le site de BF Medien.