La version dite « Malibran » d'I Puritani, remaniée pour Naples l'année même de sa mort par Bellini, n'a jamais été donnée en raison de la terrible épidémie qui frappa la cité de Campanie. Il fallut attendre 1986 pour que cette version en deux actes, étoffée notamment au 1er acte par un trio et par une extension du duo final, baissée pour convenir à la voix de mezzo de la célèbre cantatrice et surtout réécrite pour deux ténors – le rôle de Riccardo n'étant plus tenu par un baryton – voit enfin le jour, avec Katia Ricciarelli et Chris Merritt dans les rôles principaux.
Le Festival Radio France Occitanie Montpellier a eu la bonne idée de confier à Karine Deshayes, brillante Armida rossinienne cette saison à l'Opéra Comédie et bientôt Semiramide à St Etienne, cette Elvira à la tessiture plus centrale, nouveau défi largement relevé par notre championne lyrique française. Malgré quelques ajouts et une orchestration plus travaillée, le livret de Carlo Pepoli, bancal, conserve ses anachronismes et son manque de crédibilité, mais le travail tout en finesse du jeune chef Jader Bignamini, sa direction nerveuse au tempo soutenu et aux couleurs saturées, a permis d'atténuer ces imperfections formelles.
Bride sur le cou jusque que dans les grand moments d'élégie où Bellini demeure l'empereur de la cantilène, l'Orchestre national Montpellier Occitanie ainsi maté n'a pas faibli, offrant le meilleur de lui-même dans un répertoire délicat. A côté de Chiara Amaru respectable Enrichetta, Nicola Ulivieri honorable Giorgio, Dmitry Ivanchey (Bruno) et Kihwan Sim (Gualtiero) impeccables comprimari, la prestation du jeune ténor René Barbera (Riccardo) n'est pas passée inaperçue : timbre mâle, technique rigoureuse, vaillance et extension dans l'aigu le promettent à un brillant avenir. Il incarnera d'ailleurs l'an prochain Il Conte Almaviva à la Bastille. C'est à lui que revenait naturellement le rôle virtuose et solaire d'Arturo, mais la direction du Festival a préféré inviter l'espagnol Celso Albelo qui venait d'interpréter sans grand succès Il Duca di Mantova dans Rigoletto à Orange. Las, son ténor serré et monocorde s'est bien vite époumoner, faute d'ampleur et de ressources, au lieu de planer en toute liberté sur les hauteurs d'Arturo, écrites rappelons-le pour le fameux Rubini…
Karine Deshayes se situe sans surprise à des années lumières de là. On ne sait qu'admirer le plus de cette technique renversante qui lui permet toutes les audaces (de l'entêtante Polonaise « Son vergin vezzosa », à la flamboyante cabalette « Ah sento o mio bell'angelo » en passant par la suave scène de folie), de ce phrasé sculpté en plein pâte, de cette ligne souple et irisée, ou de cette vélocité à la fois intense et recherchée, car tout dans son interprétation est en place, précis, élégant et caractérisé avec soin. Qui dit mieux ?