Et si l’impossible et délicieuse histoire de Lakmé n’était que le rêve d’un colon anglais de passage en Inde ? C’est sur ce postulat que Laurent Pelly et ses habituels comparses au décors (Camille Dugas), aux lumières (Joël Adam) et à l’adaptation des dialogues (Agathe Mélinand) semblent avoir voulu raconter cette idylle tout naturellement vouée au drame. La légende de la fille jalousement gardée par un père brahmane dangereusement fanatique, nous est ainsi montrée comme une intrigue nébuleuse sortie de l’imagination d’un être fasciné par les mœurs ancestrales indiennes. Parois de papier déchirées, délicates guirlandes de lanternes, et sol recouvert de lotus jouent ainsi avec les transparences orientales et traduisent la fragilité de l’héroïne, contrainte de vivre dans une cage de bambous, comme un oiseau rare exhibé telle une divinité inaccessible. C’est ce vulnérable papillon prêt à se froisser au moindre mouvement, retenu prisonnier par un père excessif, qui va bouleverser la vie d’un soldat britannique épris au premier regard et convaincu malgré les tabous que son amour est partagé.
La lecture épurée de Laurent Pelly, exempte de tout exotisme, aurait sans doute eu plus d’impact si elle avait été associée à une direction d’acteur plus fouillée ; mais ni les pas de danse minimalistes prêtés à Lakmé, ni les gestes incantatoires du Brahmane, ou ceux bien succincts de Gérald ne permettent aux interprètes d’incarner pleinement leurs personnages. Ne restent pour nous satisfaire que de jolies, mais répétitives, scènes de foule animées et bien réglées, l’air des « Clochettes » attendu par un public en transe, où l’idole perdue sur une carriole dessine en vain des arabesques devant un théâtre d’ombres, ayant fait l’effet d’un pétard mouillé.
Cette production scelle les retrouvailles entre Sabine Devieilhe et Frédéric Antoun. Si la première n’a cessé de faire parler d’elle depuis 2014, le second s’est fait plus discret. Dans le rôle-titre la soprano sort avec les honneurs, les années n’ayant que peu modifié son instrument toujours frêle et délicat. L’exécution purement musicale appelle peu de reproche : les notes sont là, le style est soigné et la diction précise. La voix demeure cristalline, aérienne jusque dans l’extrême aigu mais on ne peut s’empêcher de la trouver trop fine et insuffisamment capiteuse dans les passages plus dramatiques. Appliquée, ne prenant aucun risque, comme si elle n’osait toujours pas se lancer et laisser enfin parler sa personnalité, la cantatrice parait parfois scolaire faute d’engagement et d’urgence, qualité qui lui a toujours fait défaut. Gracieuse dans « Pourquoi dans les grands bois », séduisante dans le duo « C’est le dieu de la jeunesse » avec Gérald, frémissante – enfin ! – dans les ultimes confessions « Tu m’as donné le plus doux rêve » (tiens encore et toujours cette notion de rêve…), où sa voix plane, ses « Clochettes » complaisamment ralenties n’ont pas procuré le frisson, le volume confidentiel n’aidant pas à créer l’effet escompter à la différence de ses aînées. Des réserves qui n’ont pourtant pas eu l’air de préoccuper le public….
Physiquement fringuant et évitant de passer pour un benêt dans le rôle de Gérald, Frédéric Antoun chante avec une certaine élégance, mais si sa prestation demeure soignée, impossible de passer sous silence des phrasés peu souples et des aigus sans substance, ni éclat qui oblitèrent son interprétation. Yeux exorbités, bouche tordue et bras grands ouverts, le Nilakantha de Stéphane Degout, tout en imprécations et en invectives ne fait pas dans la nuance. Outrageusement dépeint, son personnage aurait gagné à souffler moins la vengeance et la mégalomanie dans lesquelles l’on poussé la conception de Laurent Pelly. Quel plaisir de retrouver le baryton à son meilleur dans « Lakmé ton doux regard se voile » où son timbre chaud et la pureté de sa ligne contribuent à faire de cette courte scène un vrai moment de grâce et de poésie.
Ambroisine Bré est une Malika de luxe, comme le très bel Hadji campé par François Rougier, le quatuor constitué par Philippe Estèphe (Frédéric), Elisabeth Boudreault (Ellen), Marielou Jacquard (Rose) et Mireille Delunsch (Mistress Bentson) apportant à l’ensemble une touche de comédie bienvenue. Dans la fosse, Raphaël Pichon à la tête du Chœur et de l’Orchestre Pygmalion, ne semble pas partager grand-chose avec l’esthétique de Delibes. Loin du répertoire baroque qui lui va si bien, le chef lutte en vain pour épouser les linéaments de cette partition subtile, dont les singularités échappent à sa battue tranchante et confèrent à son commentaire orchestral de trop évidentes aspérités.