Armide (1777)

Drame héroïque en cinq actes de Christoph Willibald Gluck (1714–1787) créé à l’Académie royale de musique le 23 septembre 1777 d'après un livret de Philippe Quinault


Lilo Baur : Mise en scène
Christophe Rousset : Direction musicale

Bruno de Lavenère : Décors
Alain Blanchot : Costumes
Laurent Castaingt : Lumières

Véronique Gens (Armide)
Ian Bostridge (Renaud)
Edwin Crossley-Mercer (Hidraot)
Anaïk Morel (La Haine)
Enguerrand de Hys (Artémidore / Le Chevalier danois)
Philippe Estèphe (Aronte / Ubalde)
Apolline Raï-Westphal (Phénice / Lucinde / Un Plaisir / Une Naïade)
Florie Valiquette (Sidonie / Mélisse / La Bergère)

Chœur Les Eléments
Joël Suhubiette (Chef de chœur)

Les Talens lyriques

Paris, Opéra-Comique le 13 novembre 2022 à 20h

Boudée par les plus grandes maisons d’opéra, l’Armide de Gluck a enfin droit de cité dans la capitale. A l’occasion de ce retour en grâce, la direction de l’Opéra-Comique a fait appel à la metteuse en scène Lilo Baur, au chef Christophe Rousset et à notre tragédienne française numéro un Véronique Gens. Si cette résurrection n’a pas été totalement concluante, nous ne pouvons que saluer le courage dont a fait preuve une nouvelle fois cette institution.

Véronique Gens (Armide), Florie Valiquette (Sidonie), Apolline Raï-Westphal (Phénice),

Moins bien cotée que d’autres titres de Gluck (Iphigénie en Tauride, Alceste, Orphée et Eurydice), Armide fait enfin son retour à Paris, à l’Opéra-Comique, dirigée par Christophe Rousset dans une mise en scène de Lilo Baur – à qui l’on doit une Lakmé présentée en 2014 à l’Opéra-Comique. Cette tragédie lyrique en cinq actes, librement adaptée de La Jérusalem délivrée du Tasse, par Philippe Quinault, composée en 1777, est le quatrième opéra de la « période parisienne » du compositeur, très exactement situé entre Alceste et Iphigénie en Tauride. Dans une Syrie fantasmée, au temps des croisades, la reine et magicienne Armide capture les chevaliers chrétiens en les envoûtant. Alors que Renaud, le plus valeureux d’entre eux, décide de libérer ses compagnons, l’enchanteresse damascène s’en éprend contre toute attente en lui jetant un sort, mettant ainsi en péril sa propre vie et son royaume. Ce magnifique portrait de femme puissante et fragile, mis en musique dès le XVIIème siècle par Lully et Jommelli ne pouvait laisser Gluck insensible, lui si friand d’héroïnes hissées par la force des drames au rang de tragédiennes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Christophe Rousset et Véronique Gens, compagnon de longue date, ont conçu il y a quelques années un remarquable projet musical qui réunissait sous le même titre « Tragédiennes », quelques-unes des plus belles pages du répertoire français chez Virgin, sur près de près de trois siècles.

Connue pour son art de la déclamation, la clarté de sa diction et l’amplitude de son registre, Véronique Gens était très attendue dans le rôle-titre, surtout après s’être illustrée avec autant d’éclat à Paris dans Alceste (avec Olivier Py) et Iphigénie en Tauride (mise en scène par l’iconoclaste Krysztof Warlikowski). Sa prise de rôle méritait sans doute mieux que ce spectacle hésitant et répétitif, tout entier tourné vers une scénographie élégante mais réductrice, où tout est dit dans les trois premiers actes, les deux derniers reprenant sans le moindre renouvellement les mêmes éléments, les mêmes effets, les mêmes principes scéniques et dramatiques.

Un décor hybride de palais avec son moucharabieh futuriste, puis un arbre tantôt ceint de feuillage ou découpé sur un ciel zébré servent d’écrin stylisé à ce conte merveilleux et cruel, où l’amour d’une femme est mis à rude épreuve. Si quelques tableaux habilement éclairés offrent un commentaire visuel capable de soutenir l’attention, la plupart du temps l’action ronronne, tandis que les ballets frisent le ridicule, les chœurs sans grâce devant se déplacer dans une confusion malaisante, ou ramper telles des larves autour de Renaud ou à l’annonce d’un danger.

Ian Bostridge (Renaud), choeur les éléments

A côté de l’Hidraot chanté avec une calme assurance par Edwin Crossley-Mercer, de Florie Valiquette (Sidonie, Mélisse, Bergère) et Apolline Raï-Westphal (Phénice, Lucinde, Plaisir et Naïade) qui campent avec justesse leurs différents personnages, Philippe Estèphe Aronte, Ublade) et Enguerrant de Hys (Artémidore, Le chevalier danois) sont parfaitement crédibles, alors qu’Anaïk Morel faute d’une voix insuffisamment creusée et d’accents effrayants passe totalement à côté de la Haine ; impossible d’oublier la géniale incarnation d’Ewa Podles dans l’intégrale de Marc Minkowski illuminée par Mireille Delunsch (Archiv 1999).

La présence de Ian Bostridge pour incarner Renaud laisse perplexe. Pour quelle raison Lilo Baur et Christophe Rousset ont fait appel au ténor britannique dont la diction confuse et le phrasé aux encorbellement sinueux condamnent son personnage à une telle préciosité ? Et que dire à l’écoute de cet instrument étroit qui s’étrangle à plusieurs reprises sur une ligne escarpée qu’il n’a plus les moyens de tenir.

Véronique Gens est heureusement là pour redresser la barre. Le chant est puissant, l’expression altière et le portrait habité avec fougue. Tout chez la soprano est concis, ordonné, exposé au fil des actes avec minutie, la tragédienne gardant pour le final ses plus belles imprécation après avoir subi l’affront du départ de Renaud. Quel dommage qu’elle n’ait pas eu la chance d’être dirigée ! La voir se débattre en vain sans pouvoir se raccrocher à quoi que ce soit, contrainte à demeurer les bras en l’air sans jamais les redescendre, rend plus flagrante encore l’absence d’une direction d’acteur digne de ce nom et ce ne sont pas le affreux costumes d’Alain Blanchot qui peuvent faire oublier ces manques. Christophe Rousset n’atteint pas les cimes de Riccardo Muti à la Scala de Milan en 1996, avec la magistrale Anna Caterina Antonacci, mais sa direction a tout pour séduire ; intensité des cuivres, chatoiements des cordes, équilibre des tempi, le drame couve comme un feu mal éteint que de fallacieux sortilèges voudraient dissiper. Moins possédée que la version laissée par Marc Minkowski, indispensable cerveau baroque, celle de Rousset obtenue d’un Concert Spirituel rompu au langage gluckiste, la talonne, notamment par la qualité du Chœur Les éléments.

Véronique Gens (Armide)
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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement
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