Wolfgang Amadeus Mozart (1756–1791)
Grande messe en ut mineur KV 427 (1783)
Version complétée par Helmut Eder

Ana Maria Labin (soprano)
Ambroisine Bré (messo-soprano)
Stanislas de Barbeyrac (ténor)
Norman Patzke (basse)

Chœur :
Sopranos : Constance Malta Bey, Léa Frouté, Sophie Garbisu
Altos : Owen Willets, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur
Ténors : François Pardailhé, Lisandro Nesis
Basses : Antoine Foulon, Sydney Fierro

 

Les Musiciens du Louvre
Direction musicale : Marc Minkowski

1 CD Pentatone – 48’28

Enregistré à l’auditorium de la MC2 de Grenoble en décembre 2018

Voilà un enregistrement qui vient s’ajouter à une discographie déjà dense de la Messe en ut KV 427 de Mozart, mais en propose une lecture plus intimiste que ce que l’auditeur peut avoir l’habitude d’entendre. Marc Minkowski et les Musiciens du Louvre s’entourent d’un chœur en très petit effectif et d’une distribution vocale équilibrée et convaincante. L’interprétation est claire, lisible, et en vient à manquer d’un peu d’épaisseur et de densité. L’enregistrement confirme en tout cas Ana Maria Labin et Ambroisine Bré comme des interprètes de choix dans le répertoire mozartien.

On savait Mozart compositeur prolifique et capable de composer avec une rapidité déconcertante – conséquence de son génie, mais aussi de la nécessité de produire beaucoup pour gagner sa vie ; cela ne l’a malheureusement pas empêché de laisser sa fameuse Messe en ut mineur KV 427 inachevée et de léguer un manuscrit fragmentaire à la postérité.
Si les Kyrie et Gloria nous sont parvenus de manière complète, on ne trouve dans la partition originale qu’un début de Credo ainsi qu’un Sanctus et un Benedictus non totalement orchestrés. Quant à l’Agnus Dei… aucune trace : sans doute Mozart ne l’a‑t‑il jamais composé et a‑t‑il utilisé une page d’une de ses précédentes messes lors de l’exécution de l’œuvre le 26 octobre 1783 à l’abbaye Saint Pierre de Salzbourg. Le compositeur rendait alors visite à son père afin de lui présenter sa femme Constanze, épousée à Vienne en août 1782 ; la petite histoire veut d’ailleurs que Mozart ait fait le serment, alors que sa fiancée était malade, de composer une messe d’action de grâce si elle se remettait de sa maladie et qu’il pouvait l’épouser : la Messe en ut mineur serait née ainsi, bien qu’on n’en ait pas de preuve certaine. Constanze Mozart tenait en tout cas l’une des parties de soprano solo lorsque l’œuvre fut créée.
Il peut paraître étrange que cette messe ait connu une telle postérité et soit devenue l’une des pièces sacrées les plus célèbres du compositeur en dépit de son caractère inachevé, même si plusieurs musicologues se sont attelés à la lourde tâche de reconstituer et compléter la partition. Cet album paru chez Pentatone sous la direction de Marc Minkowski (et dans la version complétée par Helmut Eder en 1985) s’inscrit ainsi dans une lignée assez dense d’enregistrements, et en propose une lecture résolument intimiste à laquelle on n’était pas habitués.
Première surprise : le chœur est réduit à neuf chanteurs (trois sopranos, deux altos, deux ténors et deux basses). Le choix est à double tranchant : s’il permet une exécution extrêmement lisible des passages fugués, les pages exigeant un double chœur semblent bien légères en termes d’effectif ; si on apprécie que le Kyrie ne soit pas dramatisé avec excès, on aurait bien voulu plus de densité dans le Qui tollis d’autant plus que les choristes, même lorsqu’ils sont un par pupitre, ne chantent pas avec autant de présence que des solistes. On peut en tout cas remarquer les qualités individuelles de ces chanteurs et entendre avec plus d’acuité que jamais l’art du contrepoint dont fait preuve Mozart, résurgence de sa formation auprès du Padre Martini à Bologne pendant son adolescence et de sa découverte toute récente de Bach.
La direction de Marc Minkowski souligne en tout cas particulièrement l’empreinte baroque qui pèse sur la Messe en ut mineur : l’orgue et les timbales bien audibles, des rythmes pointés très soulignés, les interventions brèves mais percutantes des cuivres… Le Gloria en semblerait presque échappé du Messie de Haendel ! A l’écoute des Musiciens du Louvre, on apprécie l’intimité, le caractère chambriste de l’interprétation, la clarté du son. Mais on aurait apprécié aussi une lecture par moments moins nette peut-être, mais plus immédiatement expressive, avec davantage d’effets de matière et plus de densité : car à partir du Laudamus Te, l’orchestre a tendance à disparaître un peu au profit des chanteurs. On ne cachera pas en revanche notre plaisir dans les passages lents et lorsque la parole est laissée aux flûte, hautbois et bassons (dans le Credo et l’Et incarnatus est), pupitres qui livrent une interprétation d’une grande qualité.
Marc Minkowski surprend également en choisissant la soprano Ana Maria Labin pour la partie de soprano I, alors que la discographie nous a habitués à des voix plus légères. Combien d’Et incarnatus est éthérés et aux aigus aériens a‑t‑on entendus ! Ana Maria Labin possède au contraire une voix dense et relativement sombre qui convient bien au répertoire sacré, et accompagnée d’une élégance dans la ligne et l’ornement. Mais si elle donne aux solos une forme de recueillement tout à fait bienvenu et s’accommode parfaitement des vocalises mozartiennes, on ne peut s’empêcher de penser que l’Et incarnatus est aurait pu être plus suspendu, plus « désincarné », comme un moment hors du temps au milieu de la partition.
Ambroisine Bré apparaît tout à fait à son avantage dans la partie de soprano II et à l’aise dans une tessiture pourtant assez tendue. Le timbre rappelle parfois Anne Sofie von Otter (dans le Laudamus Te), et la mezzo-soprano fait preuve d’une vraie maîtrise du trille, tout en donnant un beau relief aux vocalises et ornements qui parcourent l’œuvre. Les voix d’Ana Maria Labin et Ambroisine Bré se mêlent également étonnamment dans le Domine Deus, les timbres se ressemblant parfois de manière frappante : l’effet d’entrelacement des voix n’en est que plus troublant.
Côté masculin, Mozart a été assez peu généreux avec les solistes : le ténor Stanislas de Barbeyrac réussit malgré tout à s’affirmer dans le Quoniam où il soutient fermement et avec conviction ses collègues sans se laisser écraser par les autres voix. Quant à Norman Patzke, il laisse entrevoir un beau timbre de basse et de jolis phrasés qui viennent compléter un quatuor vocal convaincant et équilibré.

Cet enregistrement de la Messe en ut mineur possède donc des qualités indéniables, et on apprécie d’en entendre une lecture intimiste. Si elle ne restera sans doute pas un jalon majeur de la discographie, elle aura du moins le mérite d’intéresser les auditeurs familiers de l’œuvre et de confirmer ces interprètes dans le répertoire mozartien.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

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