Le Festival d’Aix-en-Provence. L’Avant-Scène Opéra

n° 334, mai-juin 2023

Collectif

Éditeur : Premières loges

parution 10/05/2023

EAN : 9782843854248

ISBN : 2843854245

Prix : 28 euros

Après avoir rendu hommage à l’Opéra de Monte-Carlo, l’Avant-Scène Opéra propose en cette saison 2023–24 un deuxième volume de commande, cette fois consacré à la plus prestigieuse des manifestations lyriques estivales de France : le festival d’Aix, fondé en 1948 par Gabriel Dussurget. C’est l’occasion d’en examiner les aspects les plus variés, de l’artistique au technique en passant par le budgétaire.

On imagine sans peine quels débats ont dû déchirer le comité de rédaction de L’Avant-Scène Opéra lorsqu’a sonné l’heure de choisir une illustration de couverture pour le volume célébrant les trois quarts de siècle du festival d’Aix. En effet, que fallait-il privilégier pour cette étape toujours décisive dans l’élaboration d’un numéro ? Un cliché historique en noir et blanc, renvoyant aux premières années de la manifestation ? Une image évoquant les audaces liées à l’arrivée en force de la mise en scène dans les années 1970 ? Une photographie d’un des spectacles « magiques » comme le Midsummer Night’s Dream de Britten, qui continue à faire le tour du monde depuis sa création en 1991 ?
Sur un point, au moins, le consensus a dû se faire très tôt : il fallait quelque chose de mozartien. Comment l’éviter, pour ce qui porta d’abord le nom de Festival Mozart et qui fut imaginé, même sur une échelle initialement modeste, comme une réplique française à Salzbourg ? Du 28 juillet au 1er août 1948, Gabriel Dussurget n’osa pas aller plus loin que Wolfgang – mais proposer Così fan tutte en VO, c’est déjà aller bien loin, pour la France de l’époque – et si la programmation s’élargit très vite, accueillant dès 1950 des œuvres qui, sur scène ou en concert, ouvrirent radicalement le répertoire abordé, Mozart devait rester longtemps le compositeur emblématique d’Aix-en-Provence. L’est-il encore ? Comme le souligne Thierry Santurenne dans son article « Mozart comme lingua franca », le Mozart aixois a bien changé au fil des décennies : si ses opéras de jeunesse y restent rares – à quand un Lucio Silla, pourtant aujourd’hui donné dans bien des théâtres ? À quand une reprise du Schauspieldirektor, dont le coté mise en abyme pourrait séduire nos esprits post-post-modernes ? –, ses titres canoniques reviennent inéluctablement d’année en année, au prisme d’une « prise en considération des questionnements contemporains ». Donc, Mozart, forcément, sans doute, pour la couverture de ce numéro 334, mais pas n’importe lequel : une photographie renvoyant à l’un des spectacles des éditions les plus récentes, et précisément à celle qui ouvrit le mandat de l’actuel directeur, Pierre Audi. Un Mozart différent, puisqu’il ne s’agit pas d’un opéra, mais du Requiem dans sa version théâtralisée par Romeo Castellucci.
Cette image ne va pas sans susciter pourtant quelques interrogations, car que montre-t-elle ? Une jeune femme à qui l’on en a fait littéralement voir de toutes les couleurs (son visage, sa robe blanche et son corps ont été saupoudrés de pigments variés) et qui tient la palme des martyrs. Un esprit malveillant y verrait peut-être une allusion au sort fait à Mozart, mais on remarque surtout que ce personnage a la bouche fermée, et ne chante donc vraisemblablement pas. Etonnant, non, pour un « Festival international d’art lyrique » ? Mais comme le souligne dans son article Timothée Picard, dramaturge et conseiller artistique dudit festival, la réflexion menée aujourd’hui privilégie « Interdisciplinarité et extension du domaine de l’opéra » : cette formule houellebecquienne se veut le prolongement du dialogue entre les arts qui fut presque d’emblée la marque de fabrique d’Aix, où plasticiens et chorégraphes étaient partie prenante des différentes productions.
Et dans « Festival international d’art lyrique », il faut aussi s’arrêter sur le deuxième mot. Dans son désir d’ouverture au vaste monde, et notamment aux rivages méditerranéens, la manifestation aixoise se déleste forcément de certains éléments dont on aurait pu jadis espérer qu’ils occupent une place plus importante. Difficile, en effet, si l’on veut séduire un public venu de loin, de l’attirer avec des titres trop obscurs : Campra, l’enfant du pays, reviendra-t-il jamais au Théâtre de l’Archevêché, qui vit représenter son Carnaval de Venise mis en scène de Jorge Lavelli (1975) ou son Tancrède ? Même Lully n’y a jamais vraiment conquis sa place (rien à part Psyché en 1987), au contraire de Rameau, célébré dès 1956 avec Platée, mais que l’on n’a plus revu depuis Castor et Pollux en 1991. Absent en 2023, le baroque n’est pourtant pas oublié par Aix, Thierry Santurenne nous le rappelle dans un autre article, mais il doit composer avec les multiples autres répertoires accueillis au Grand Théâtre de Provence ou sur les autres plateaux, puisque Wagner, Puccini et même Meyerbeer ont désormais droit de cité.
La couverture castelluccienne renvoie aussi au rôle que joue la mise en scène, à Aix comme dans l’ensemble du monde lyrique : c’est l’objet de l’article d’Isabelle Moindrot, où l’on voit bien que l’on est passé d’une période où l’on retenait surtout le nom des décorateurs (le Don Giovanni de Cassandre plutôt que de Jean Meyer) à une époque où le metteur en scène l’emporte (« l’Elektra de Chéreau » ou « la Carmen de Tcherniakov »), le point de bascule arrivant entre le milieu des années 1970 et la fin de la décennie suivante. Notre temps est celui de « nouvelles grammaires visuelles » qui visent à restituer à l’opéra « sa capacité de raconter notre époque ». Lyrique, le festival d’Aix le reste néanmoins, évidemment. Chantal Cazaux montre que la manifestation fut toujours « une pépinière de voix » qui vit naître bien des étoiles et briller des stars confirmées.
Si l’on peut regretter l’absence d’un tableau récapitulatif de tous les titres à l’affiche depuis 1948 (mais c’est le genre de chose qu’offre désormais sur Internet, de manière bien plus complète qu’un volume imprimé), on trouvera dans cet ASO plusieurs articles complétant l’examen du festival d’Aix sous les angles les plus variés : création lyrique contemporaine (Pierre Rigaudière), programmation orchestrale (François Delécluse, Christian Merlin), engagement politique et environnemental, mais aussi fonctionnement des différentes branches de la manifestation, notamment son Académie. Timothée Picard revient en fin de volume pour offrir ces détails concrets dont certains lecteurs sont particulièrement friands, sur les « rouages parfois inconnus du public » : une édition du festival se prépare plusieurs années en amont, surtout lorsqu’il s’agit d’une commande à un compositeur, et des chiffres précis sont divulgués quant au budget annuel (l’artistique compte pour moins de la moitié des dépenses…) et au coût d’une production. Le tout relevant d’un « art de l’équilibre » aux fragilités de château de cartes, que le désengagement de dernière minute de tel ou tel partenaire peut faire s’écrouler avec fracas. C’est cette formidable mobilisation des énergies les plus diverses que célèbre l’Avant-Scène Opéra, mobilisation sur laquelle on peut compter pour que se prolonge au-delà de ses soixante-quinze premières années, ainsi qu’Ivan Alexandre les résume en ouverture de volume, cette « bacchanale » soumise au « rythme inflexible du réel ».

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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