La pianiste japonaise Momo Kodama nous donne rendez-vous à la petite église de Église de Saint-Théoffrey pour un récital composé d'après une sélection de 6 pièces parmi les 13 que comporte le Catalogue d'Oiseaux. L'œuvre fascine par la variété de ses climats et l'étonnante liberté de formes et d'accords, donnant autant à l'écoute qu'à l'imagination avec ce large panel de descriptions qui font la part belle au Messiaen "ornithologue et rythmicien" tel qu'il aimait à se définir. Créé par Yvonne Loriod en avril 1959 dans le cadre des concerts du Domaine Musical, l'œuvre rompt avec la forme concertante du Réveil des Oiseaux et des Oiseaux exotiques, pour se concentrer sur le piano seul. L'œuvre est monumentale par sa durée totale (environ 3 heures) et par une écriture dont la trajectoire se prolonge au-delà de la géniale partition des Vingt Regards sur l'Enfant Jésus pour annoncer directement certaines pages de Boulez, Stockhausen ou Xenakis.
Dans sa préface, Messiaen classe les chants d'oiseaux selon trois catégories principales : les cris (rapaces, corvidés, nocturnes, oiseaux marins…), les strophes (chardonneret, pinson, bruants, pouillots, troglodyte, pic-vert, traquets), enfin, des cadenzas et soli pouvant atteindre une demi-heure. L'effort de Messiaen à transcrire fidèlement le chant d'oiseau est à la mesure de la conception qu'il avait de ces "interprètes" et des paysages naturels qui les environnent. Les 77 espèces différentes sont saisies dans un matériau musical dont les modes de couleurs et de timbres s'allient à différents procédés rythmiques qui fonctionnent comme une signature sonore de Messiaen.
Le schéma formel remplace ici les traditionnelles appellations de "thème" ou de "variations" – Messiaen évoquant pour désigner le chant d'oiseau, la notion de "formant" ou encore d'objet sonore capable de synthétiser les éléments de couleurs et de rythmes impossibles à retranscrire. Seule ombre à ce tableau, les commentaires de la plume même de Messiaen, dont le style hésite entre l'illustratif poétique et la leçon de chose propice aux dictées scolaires… L'interprétation de Momo Kodama oppose à cette prose un paysage de gestes techniques éblouissants et une ligne interprétative qui passe du sensible à l'autoritaire en un tournemain (L'Alouette Calandrelle) ? Capable d'enchaîner la séparation et la superposition des plans sonores (la Buse variable), elle souligne dans La Bouscarle la très expressive forme concentrique et l'étonnant maniement sériel en canon rythmique.
Le second concert avait lieu à l'église de la Grave, avec une surprise en forme d'événement en ouverture de soirée : ces trois pièces d'Yvonne Loriod (La Martelée, Gamelhang, La Murmurée) données en création mondiale par les pianistes Florent Boffard et Roger Muraro. Celle dont le patronyme évoquait à Messiaen les "fidèles ailes" qui l'inspiraient tant, demeure plus connue pour ses talents d'interprète que pour de compositrice. Elle a pourtant signé une douzaine de partitions entre les années 1940 et 1950, pour des effectifs allant de la musique de chambre au grand orchestre et chœur, avec parfois la présence d'instruments africains et des ondes Martenot, qui traduisent son attention aux innovations et avant-gardes de son époque.
Découvertes par le musicologue Peter Asimov, ces trois Pièces d'Yvonne Loriod témoignent d'une inventivité remarquable et se présentent sans doute comme les premiers essais européens pour piano préparé. Popularisée plus tard par John Cage, cette technique consiste à placer sur les cordes du piano tout un agencement d'objets allant de morceaux de tissus à la pince à linge, le ressort métallique ou des tiges en plastique pour modifier le timbre et l'impact produit par le marteau actionné par la touche. La présence de ces éléments fait suite au passage du compositeur américain dans la classe de Messiaen en 1949, même s'il est impossible que Loriod ait pu avoir accès à l'époque à ses partitions, pour l'essentiel inédites. Ultra virtuoses et complexes, ces pièces donnent à entendre de la seconde épouse de Messiaen un panel de gestes et de lignes qui jouent avec l'indépendance et l'union rythmique (La Martelée), ou bien des passages très proches des sonorités des chants d'oiseaux (La Murmurée). Gamelhang surprend également par la façon de traiter les résonances comme une matière timbrique à elles seules, laissant la structure générale s'agencer d'elle-même dans le dialogue entre les deux pianos.
Composées pendant l’occupation allemande en 1943, les Visions de l'Amen est la première œuvre pour piano de Messiaen qui s'inspire directement des grands cycles d’orgue d’avant-guerre. La thématique théologique est à la fois essentielle et potentiellement pour l'auditeur d'un abord à la fois plus libre et moins dogmatique : "Amen revêt quatre sens différents : Amen, que cela soit ! L’acte créateur. Amen, je me soumets, j’accepte. Que votre volonté soit faite ! Amen, le souhait, le désir que cela soit, que vous vous donniez à moi et moi à vous ! Amen, cela est, tout est fixé pour toujours, consommé dans le Paradis. En y joignant la vie des créatures qui disent « amen » par le fait même qu’elles existent, j’ai essayé d’exprimer les richesses variées de l’Amen en sept visions musicales." Cette structure autour du chiffre 7 est construite autour du thème cyclique de la Création, un large choral dont Roger Muraro et Florent Boffard capturent l'essence par la variété des intonations et des nuances – alternant la conduite harmonique et thématique avec un premier piano à qui est confié toute la matière virtuose et la vélocité technique, tandis que le second s'approprie l'élément mélodique et thématique