On doit à la belle initiative de Carole Roth d'avoir fondé le Festival des Volques durant la période de la crise sanitaire. Empruntant son intitulé au peuple de culture celtique et ibérique qui occupait l'actuel Languedoc avant la conquête romaine, le Festival prend ses quartiers à Nîmes, ancienne Nemausus et capitale du peuple des Volques. La manifestation propose sur plusieurs jours une programmation dédiée à la musique de chambre et mettant en dialogue un compositeur d'aujourd'hui avec une figure musicale du passé. Des noms aussi prestigieux que ceux de Philippe Manoury, Helmut Lachenmann ou Betsy Jolas se sont succédés dans les premières éditions, couplés respectivement avec Beethoven, Schubert et Schumann. Les concerts ont lieu dans différents lieux culturels de Nîmes, depuis le Carré d'art jouxtant la célèbre Maison carrée jusqu'au Théâtre Christian Liger, la cathédrale, le lycée Alphonse Daudet jusqu'au récent Musée de la Romanité. Avec l'ancrage local comme objectif, le Festival se tourne vers tous les profils avec une approche pédagogique et vivante consistant à mettre en relation le public avec les compositeurs actuels invités à présenter leur parcours aux jeunes des écoles élémentaires et les élèves du Conservatoire de Nîmes.
Pour sa quatrième édition, c'est le couple George Benjamin – Wolfgang Amadeus Mozart qui est à l'honneur avec un récital du pianiste Pierre-Laurent Aimard donné dans le hall d'accueil du Carré d'art avec la Maison carrée et les phares des automobiles en guise de fond de scène. La délicate écriture canonique des Shadowlines (2003) trouve sous les doigts du dédicadaire une expression chromatique qui allie plusieurs formes assez courtes et contrastées, faites d'une étonnante polyphonie de gestes et de structures qui dialoguent de feçon surprenante avec l'andante en fa majeur pour un petit orgue mécanique K. 616, courte pièce pour la collection d'orgues mécaniques du comte Joseph Deym von Stržitež. Sur le même modèle d'une facilité d'exécution en trompe l'œil suivent les Piano figures (2004), dix pièces simples pour piano solo dont les noms évocateurs dessinent parfaitement les contours expressifs (Spell, Knots, In the Mirror, Interruptions, Song, Hammers, Alone, Mosaic, Around the Corner, Whirling). Le clair-obscur de la Fantaisie KV 475 déroule idéalement le mystère de ses formules harmoniques à la Fantasy on iambic rythm (1985), pièce contruite autour d'une unique cellule rythmique brève-longue qui se développe et se juxtapose rapidement à une large palette de climats. La mélodie s'interrompt pour faire entendre l'ampleur de la résonance qui sert d'assise à toute la conclusion. L'Adagio K 540 referme la soirée sur la rare et douce-amère tonalité de si mineur qu'on retrouvera le lendemain soir dans le mouvement lent du Quatuor avec flûte no 1 KV 285.
On aura auparavant assisté au concert réunissant autour du pianiste Jean-François Heisser plusieurs solistes, parmi lesquels des membres de l'orchestre des Siècles de François-Xavier Roth. Après un très sobre Rondo no 3 KV 511 joué très droit, le programme enchaîne avec la rare Sonate pour violon et piano de Benjamin. Cette œuvre offre un fascinant aperçu du talent d'un jeune homme de 17 ans tout juste sorti de ses études de composition avant de rejoindre la classe d'Olivier Messiaen au conservatoire de Paris. La partition opère un voyage intérieur dans ce qui semble être une construction faite de volumes abstraits dont la matité des surfaces dans le mouvement lent contraste avec des interactions plus dynamiques dans la conclusion. L'œuvre fait passer au second plan une sonate KV 332 qui sonnerait presque affectée et privée de couleurs. Le Quintette avec clarinette K 581 conclut le programme avec la belle sonorité de la clarinette de François Miquel comme guide spirituel dans les mélismes et les charmes de l'écriture. Les lignes étales du larghetto soulignent les qualités de ligne et d'expression du soliste alternant avec la respiration à peine vibrée des cordes.
Le concert du soir met en valeur l'orgue de la cathédrale, construit en 1643 par les frères Gaspard et André Eustache et récemment restauré. Placé sous les doigts de Thomas Lacôte et Adam Bernadac, l'instrument donne à la rare Fantaisie no 2 en fa mineur K.608 à quatre mains, un caractère et des volumes de belle ampleur avec lesquels les Quatuors avec flûte K 285 peinent à rivaliser vraiment, faute d'une ligne de chant suffisamment variée par la flûte de Gionata Sgambaro et un accompagnement à fleur de notes. On retrouvera motif à satisfaction avec Upon Silence (1990), interprété sans les violes de gambe prévues à l'origine, mais porté avec conviction par la mezzo Sharon Carty et la direction aérienne d'Alphonse Cemin dans une dramaturgie bâtie autour de trois récits imaginaires réunissant les figures de Jules César, Hélène de Troie et Michel-Ange. Le sommet de la soirée est indubitablement ces trois Miniatures pour violon seul (2001) interprétées par la fabuleuse Isabelle Faust et dont la répétition publique avait permis le matin au public nîmois d'avoir un avant-goût de la rigueur avec laquelle le compositeur et la violoniste abordait cette pièce. L'auditeur est trompé par l'abord relativement simple de cette suite mélodique terminée en sons harmoniques joués flautando. L'énergique "Canon for Sally" fait éclater le modèle rythmique en une pluie d'accords qui exigent une impressionnante maîtrise d'archet et une respiration qu'on retrouve dans "Lauer Lied" croisant des lignes pizzicati aux deux mains d'une complexité qui augmente d'un cran quand la mélodie surgit en legato tel un moderne et double fantôme du couple Eusebius/Florestan. Une étrangeté à laquelle l'Adagio et fugue K 546 en do majeur vient offrir le faux-fuyant aspect d'une sarabande qui se dissipe dans les fureurs et les émolliences dissonantes de la fugue.
Donné dans un Théâtre municipal plein à craquer, le concert de clôture débute par une modeste et très pâle Sonate n°11 K.301 sous les doigts de Cédric Tiberghien dont le manque d'inspiration contraste radicalement avec l'audace des Shadowlines déjà entendues l'avant-veille. On notera également la Meditation on Haydn's Name (1982) et Relativity Rag (1984) – deux pièces de jeunesse pour piano seul jouées avec esprit et humour par un Jean-François Heisser attentif à détacher dans la première les notes qui forment le motif harmonique du célèbre modèle et dans la seconde cette variations d'accords et cette ligne mélodique qui se déconstruit au fur et à mesure. La musique pour ensemble reprend ses droits avec un Quintette à deux altos K 406 qui n'a ni la rigueur ni la justesse du Quatuor avec piano en mi bémol majeur K.493 avec les interventions somptueuses d'Isabelle Faust, l'alto de Carole et Roth et le violoncelle de Nadine Pierre soutenant la ligne de chant du piano de Jean-François Heisser. Rendez-vous la saison prochaine pour un surprenant double portrait consacré à Dvořák et le jeune compositeur Ondřej Adámek…