Vidéo : https://operavision.eu/en/library/performances/operas/violanta-teatro-regio-torino#
Alors que la Bayerische Staatsoper affichait fièrement en décembre dernier le premier Paul de Jonas Kaufmann, signe que Die Tote Stadt fait encore recette et continue d’intéresser les grands noms du chant, le Regio di Torino tentait courageusement de redonner sa chance à la première œuvre lyrique de Korngold alors âgé de 16 ans, représentée sous forme d’un diptyque en 1916, conjointement au Ring des Polykrates. Confiée à Pier Luigi Pizzi pour la partie scénique (décors, costumes et mise en scène) et à Pinchas Steinberg pour la partie musicale, cette Violanta accessible en streaming sur Operavision, avait de quoi séduire ; car s’il existe un enregistrement discographique, celui de Marek Janowski avec Eva Marton, Siegfried Jerusalem et Walter Berry (CBS puis Sony 1980), l’ouvrage n’est que très rarement proposé au public.
D’une intrigue construite sur la vengeance de l’héroïne qui conçoit, pendant le Carnaval de Venise, de faire tuer par son mari, le séducteur de sa sœur et responsable de son suicide, le fougueux Korngold ne peut cacher son admiration pour Wagner et Strauss tant sa musique profuse en est inspirée. Sa vision d’une sérénissime vénéneuse, sensuelle et mystérieuse se traduit par des atmosphères lourdes de sens où la riche orchestration fait alterner harpes aux accents célestes (dès le superbe prélude), flots de cordes vaporeuses et envoutantes et tutti straussiens, solidement arrimés à un discours continu d’environ 1h30. Habile orchestrateur, Korngold veut avant tout se faire remarquer et épater son monde, ne refusant aucun effet, aucune surenchère et faire étalage d’un style post-romantique débridé qui finit parfois par lui nuire. A la tête de l’orchestre du Teatro Regio, Pinchas Steinberg tente de mener le navire à bon port, à limiter les excès d’une partition qui peut paraître tapageuse, sans parvenir véritablement à structurer son propos et à faire la démonstration que l’architecture est solide ou seulement noyée sous un torrentiel flux musical. Les amateurs de déflagrations sonores et de paroxysmes orchestraux hérités de l’auteur d’Elektra, mais également de Zandonai (comment ne pas penser à Francesca da Rimini), ou de son professeur et maitre Zemlinski, seront heureux d’ajouter ce trophée à leur collection. Les autres resteront sur leur faim pour revenir à leurs chères Salomé ou Frau ohne schatten autrement plus jouissives.
Dans le rôle de Violanta, la soprano Annemarie Kremer que l’on avait pu découvrir il y a quelques années dans l’Elisabeth de Tannhäuser donné à Monte-Carlo, malmène son instrument pour soutenir une tessiture de soprano dramatique que l’on imagine exténuante. De ce personnage marqué par la douleur et la rancune envers celui qu’elle considère comme le meurtrier de sa sœur, la cantatrice néerlandaise proche vocalement d’Eva Marton et de Carol Neblett, se laisse envahir pour restituer toute l’ambiguïté de sa démarche dans un duo enflammé où elle affronte l’homme qu’elle veut voir mourir, mais pour lequel elle finira par se sacrifier en recevant à sa place le coup de couteau fatal… Mais si Annemarie Kremer vient à bout de cette partition assassine, ce n’est pas sans effort, sa voix sombre aux accents gutturaux ne laissant que rarement passer la lumière, élément indispensable à ce type d’écriture. Le baryton allemand Michael Kupfer-Radecky interprète assez dignement le rôle du capitaine de la république vénitienne Simone Trovai, choisi par son épouse pour accomplir un geste qu’elle n’oserait réaliser elle-même, tandis que le ténor américain Normann Reinhardt, prouve qu’il est capable de passer sans encombre du répertoire baroque (il faisait partie de la résurrection d’Ecuba de Manfroce à Martina Franca l’été dernier) à celui du vingtième, en endossant avec une belle assurance celui du séducteur Alfonso, fils illégitime du roi de Naples, d’une voix ferme et limpide aux aigus avantageux. Le reste de la distribution permet de découvrir la Barbara de la mezzo Anna-Maria Chiuri, nourrice de Violanta ainsi que Peter Sonn en Giovanni Bracca.
Pour évoquer les fastes du Palais vénitien du couple Trovai en temps de Carnaval, lieu unique où s’enracine cette étrange affaire, Pizzi a opté pour un décor très théâtral où tout, du sol au canapé, en passant par l’immense rideau de scène tombant des cintres est rouge, avec en fond de scène un large oculus donnant sur la lagune. Créateur de très beaux costumes, le metteur en scène s’avère comme à son habitude élégant mais un peu superficiel dès qu’il s’agit de diriger les acteurs qui, sans démériter, semblent un peu abandonnés sur ce vaste plateau. Fort heureusement la réalisation vidéo très soignée de Matteo Richetti vient en partie corriger cette lacune, grâce à de multiples prises de vue et à un montage bienvenu.
Vidéo : https://operavision.eu/en/library/performances/operas/violanta-teatro-regio-torino#