Franz Joseph Haydn (1732–1809)
La Creazione (1798)
Oratorio su libretto di Gottfried van Swieten Hob. XXI:2
Versione in italiano di Dario Del Corno rivista da Filippo Del Corno
Direttore Fabio Luisi
Regia Fabio Ceresa
Scene Tiziano Santi
Costumi Gianluca Falaschi, Gianmaria Sposito
Coreografo Mattia Agatiello
Luci Pasquale Mari
Scenografo collaboratore Alessia Colosso
Gabriele Rosalia Cid
Uriele Vassily Solodkyy
Raffaele Alessio Arduini
Adamo Jan Antem
Eva Sabrina Sanza
Orchestra del Teatro Petruzzelli di Bari
Coro Ghislieri

Fattoria Vittadini
Alessandra Bordino, Danilo Calabrese, Enzina Cappelli, Maura Di Vietri,
Riccardo Esposito, Samuel Moretti, Maria Giulia Serantoni, Valentina Squarzoni
Martina Franca, Cortile del Palazzo Ducale, 17 juillet 2021, 21h

„Fiat Lux“ était le motto de l’édition 2021 du Festival della Valle d’Itria qui retournait à la normale, et donc à la lumière après l’année terrible que fut 2020. Pour une manifestation dont la spécialité est d’exhumer des œuvres disparues, c’est une expression plus que bienvenue, d’autant que parmi les trois opéras présentés, deux, Griselda de Scarlatti, et L’Angelica de Porpora étaient d’authentiques remises en lumière et que la production d’ouverture La Creazione de Haydn en version italienne est évidemment en phase totale avec la thématique choisie. C’était là l’occasion de revenir dans un des lieux les plus enchanteurs de la péninsule.

 

« Fiat Lux » est la thématique du Festival de la Valle d’Itria 2021 en référence à la Génèse (I,3) où Dieu crée la lumière pour faire sortir l’univers des ténèbres. Après l’année noire qui a vu annuler presque tous les Festivals, l’appel à la lumière incite aux retrouvailles avec la vie et avec l’art. Et cette édition a été composée pour offrir en cette année de reprise d’activité trois œuvres emblématiques de cette renaissance à la lumière, d’abord, une version théâtrale de Die Schöpfung de Haydn, mise en scène de Fabio Ceresa dans une édition chantée en italien et dirigée par Fabio Luisi, avec en fosse l’orchestre du Teatro Petruzzelli de Bari. Puis, dans la tradition bien établie du Festival, ont été proposée la remise en lumière de deux œuvres enfouies depuis leur création, et d’abord Griselda de Scarlatti (Rome 1721), dont nous avons rendu compte, dans une nouvelle édition aux soins de « La Lira di Orfeo », l’ensemble fondé par le contreténor Raffaele Pe, et du musicologue Luca Della Libera. « La Lira di Orfeo » est l’orchestre des deux productions remises au jour. Au pupitre de Griselda le chef grec Georges Petrou, avec une mise en scène assurée par Rosella Cucchi.
La troisième œuvre révélée au public du XXIème siècle, est L’Angelica de Nicola Porpora, sur livret de Métastase issu des aventures des héros de Ludovico Ariosto Angelica et Medoro. Wanderer en a aussi rendu compte (voir les liens vers les articles dans notre partie, « Pour compléter la lecture ») L’orchestre est dirigé par Francesco Maria Sardelli et la mise en scène assurée par Gianluca Falaschi, très connu comme costumier en Italie. En proposant Porpora, le Festival revient évidemment à sa tradition première, l’opéra napolitain dont Porpora est l’un des plus grands représentants. Mais il propose une forme plus légère, la serenata qui convient à des représentations privées puisque la création à Naples en 1720 a eu lieu dans le Palais de Antonio Carmine Caracciolo à l’occasion de l’anniversaire de l’impératrice Elisabeth Christine d’Autriche. Ce furent les débuts d’un jeune homme d’une quinzaine d’années de Carlo Maria Michele Angelo Broschi, plus connu sous le nom de Farinelli.

Il était logique que Die Schöpfung de Haydn ouvre le festival, un titre hautement symbolique vu le thème de cette année et l’idée d’un nouveau commencement. Et conformément à la tradition du XVIIIe, l’oratorio est traduit scéniquement en une dramaturgie qui se veut ici inondée de joie et de sourire. La traduction italienne vise sans doute à élargir la compréhension du public et surtout populariser une œuvre rarement donnée malgré sa célébrité. L'oratorio de Haydn a bénéficié dès le départ d'une vaste gloire internationale et dès le XIXe l’œuvre fut traduite partout en Europe, et aussi en Italie puisque Rossini lui-même la dirigea dans la version de Giuseppe Carpani, lplus plus fréquente jusqu'ici.
Enfin, ce n’est pas la première fois que La Création est présentée en version italienne à Martina Franca, elle l’avait déjà été pendant la période où Rodolfo Celletti en était le directeur artistique et la traduction en avait été confiée à Dario Del Corno. Son fils Filippo Del Corno a repris le travail paternel en le modifiant aux marges. La proposition de cette année est donc motivée par plusieurs éléments historiques et symboliques qui répondent parfaitement au sens du festival. Il reste qu'aujourd'hui, avec les systèmes de surtitrage la question des versions "rythmiques" traduites est moins prégnante et qu'une version originale anglaise (ou allemande) aurai été admises. c'est donc bien l'idée de replonger dans l'histoire du Festival, pour la prolonger et l'enrichir, qui a présidé à cette remise sur le métier d'une version qui se limitera probablement à Martina Franca.

La mise en scène de Fabio Ceresa mêle théâtre et chorégraphie (par la Fattoria Vittadini et le chorégraphe Mattia Agatiello), mais c'est la chorégraphie qui l'emporte : elle est remplie de légèreté et cherche à refléter l’humanisme illuministe de la période, les Lumières en l’occurrence rejoignent la Lumière (Lux) du thème de l’année en un jeu de mots productif. On ne sera pas étonné de trouver les symboles maçonniques traduits par des symboles géométriques, éléments mobiles essentiels mais signifiants :

l’œuf initial, immense, qui en explosant fait émerger Dieu, une danseuse (Maria Giulia Serantoni) à l’aspect presque enfantin, androgyne, qui semble « créer » de manière capricieuse, comme par jeu pour tromper un ennui qui semble au départ structurel, face aux anges plus adultes Gabriel, Uriel et Raphael. Traduire en images légères les jours de la Création du Monde n'est pas anodin. Sur le même thème nous sommes à l'opposé du gigantisme des spectacles de Stockhausen du début des années 1980.
Il y a de la légèreté, il y a aussi une forte dose d’humanisme, par exemple lorsque Dieu se retrouve à devoir gérer toutes les religions différentes qu’on lui présente sous la forme des livres saints, mais aussi dans la dernière partie, celle du jardin d’Éden, où l’amour est élargi aux tendances du jour et donc aux couples LGBT dans une humeur particulièrement souriante. C’est illustratif, assez vivant, c’est vécu comme un divertissement souriant sans conséquence, alors que les questions sont évidemment sérieuses.

Les compositions des corps qui composent les formes de la création sont aussi séduisantes, fleurs ou arbres comme le pommier d’Eve, un peu à la manière de l’entreprise d’Andreas Kriegenburg dans son Ring Munichois. Il en résulte un spectacle très bien fait, très séduisant qui transcende le sérieux de l’idée de la Création en lui donnant un aspect festif et rassurant. Cette joie inhérente au spectacle reflète aussi la joie du retour à la scène, du retour à la vie. Ce Dieu singulièrement espiègle tombe amoureux de sa création et l'idée qui domine, notamment à la fin, est une sorte d'hymne à l'amour sous toutes ses formes. La lumière extérieure et intérieure inonde ce beau moment de musique.
Très intéressante aussi la partie musicale, malgré le plein air du Palazzo Ducale, toujours un peu délicat pour les instruments et les voix.

Le chœur évidemment important dans une telle œuvre était situé non sur scène, mais isolé dans des espaces latéraux, en hauteur, et regardait l’action en la commentant à la manière des chœurs du théâtre grec. C’est au chœur qu’on doit l’appel initial à la lumière "Fiat Lux" ("e la Luce sia") évidemment essentiel. Le Coro Ghislieri (de Pavie, en Lombardie) s'en sort avec les honneurs, même si le nombre réduit de choristes pourrait étonner dans des "machines musicales" qui dès le XVIIIe appelaient des participants en grand nombre,, mais cela donne aussi une couleur particulière à l'exécution qui n'est pas un hasard.Fabio Luisi à la tête d’un très bon orchestre du Teatro Petruzzelli de Bari propose une exécution très sage, sans aspérités, mais en même temps précise, qui sait bien clarifier les lignes, dans un classicisme rigoureux et rassurant. Fabio Luisi est toujours la garantie d’une exécution élégante, maîtrisée, sans « rien de trop », toujours solide et bien structurée. C’est cette exécution musicale, qui soutient les chanteurs et les accompagne, sans jamais les couvrir, et qui veille aux équilibres : il n’est pas facile de gérer un chœur en hauteur et latéral, distribué des deux côtés de la scène. Mais Luisi réussit à rendre l'ensemble particulièrement homogène.

Les solistes, sans être exceptionnels, sont tous très solides, Rosalia Cid est un Gabriel à la fois juvénile et noble, et la voix claire s'en tire avec tous les honneurs,  et le jeune ténor Vassily Solodkyy (Uriel) affiche un timbre suave et séduisant, et surtout l’excellent Alessio Arduini (Raffaele), le plus expérimenté et affirmé des trois, tandis qu’Adam et Eve étaient confiés à des solistes de l’Accademia Rodolfo Celletti qui forme au chant orné et au Bel Canto, le baryton catalan Jan Antem au beau phrasé et à la technique déjà bien assise, et la jeune Sabrina Sanza, une Eve enjouée au très joli timbre à la fois délicat et lumineux. Au total une soirée de bon niveau bien moins superficielle qu’elle pouvait apparaître au premier abord. En tous cas une soirée d’inauguration parfaitement en phase avec la joie du retour en scène, dans la nuit douce des Pouilles.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
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