En déployant un langage allégorique aux proportions presque minimalistes, Castellucci réinvente en images un mythe bien usé, tant sa force est la plupart du temps réduite à un topos rebattu. Dans les mains de Castellucci, Salomé en vient à être une puissante allégorie de la perte de l’innocence et de la nécessité d’explorer de nouveaux horizons. Salomé apparaît comme une jeune fille à la pureté virginale avant même que ne commence la musique. La lune présente à chaque scène, marque toute la dramaturgie. Les références à la religion, en particulier au christianisme, sont constantes. Ce n’est pas un hasard bien sûr que de voir une tête de cheval, dans une Felsenreitschule qui est un ancien manège.
Les murs même de la salle, percés dans la montagne, paraissent s’approprier la représentation, dans la Danse des sept voiles justement, qui n’est pas mouvement, mais statisme, avec une Salomé littéralement pétrifiée.
Pour ses débuts à Salzbourg, Romeo Castellucci a osé défier l’évidence, transgresser les conventions sans tomber dans la provocation. Tout au contraire, son propos se jette sans filet dans un défi intellectuel, cherchant à raviver une tension perdue et réactualiser un mythe qui nous parle encore. Le résultat en est un travail intelligent, d’une clarté intellectuelle incroyable, profonde et suggestive. Verdict du public unanime : succès retentissant.
Dans le rôle-titre, la lituanienne Asmik Grigorian – que nous avons récemment entendue au Liceu de Barcelone – a la puissance, mais non sans tensions aux limites d’une voix robuste pour son âge, mais avec quelques sons aigres et moins à l’aise qu’exigé à l’aigu. Sa performance est dans tous les cas prodigieuse, illustrant totalement la conception proposée par Castellucci.
A ses côtés, un splendide Jochanaan, en la personne de Gábor Bretz à la voix ronde, sonore, incroyablement agile à l’aigu pour une voix de basse. Il chantera Sarastro à Bruxelles, toujours avec Castellucci.
John Daszak se montre un Herodes excellent professionnel comme d’habitude, s’adaptant parfaitement à la dramaturgie de Castellucci, avec une voix irréprochable. Anna Maria Chiuri à ses côtés est une agréable surprise en Herodias, avec une voix énorme et une projection exceptionnelle. Fantastique également le Narrabioth lyrique de Julian Prégardien à la fragilité très suggestive.
L’approche musicale de Franz Welser-Möst frôle la brutalité, on ne sait si c’est par incapacité à proposer une version plus voluptueuse ou plus subtile, d’un érotisme plus raffiné, en cohérence avec le travail vaporeux proposé par Castellucci, ou par décision personnelle, la direction du chef autrichien proposant à coups de décibels, un discours peu contemplatif, où l’agressivité étouffe l’évocation.
Les Wiener Philharmoniker sont une armée implacable, parfois trop brillante et trop métallique ; cet orchestre est capable de tout, selon qu’il a un cavalier qui l’excite ou le restreint, comme Andris Nelsons le faisait remarquer dans une récente interview. En ce sens, Welser-Möst a semblé exciter plutôt que retenir et le résultat fut une Salomé grandiose, presque triomphaliste, sans moirures de beauté et de mystère.