Sir Simon Rattle est un grand architecte du son, qu’il met en scène avec un soin tout particulier à chaque concert. Rien n’est jamais laissé au hasard ni à l’inspiration, tout est calibré avec un souci exceptionnel du rendu. Évidemment, la musique de Ravel convient parfaitement à une telle approche : la science rigoureuse de l’orchestration, les raffinements de l’écriture, le fourmillement des détails, tout cela est pain béni pour le chef britannique qui va comme à son habitude, mettre en scène la musique pour produire le son le plus proche possible des effets souhaités.
Il possédait à Berlin une machine musicale parfait. Il y a encore un peu de travail avec le LSO dont le son a un peu perdu de ses qualités traditionnelles, et où quelques pupitres n’emportent peut-être pas la conviction. Mais passons outre parce que l’engagement est grand et que Rattle a comme toujours une force d’entraînement peu commune : c’est un meneur. c'est aussi en quelque sorte un showman très versatile sur le répertoire très large qu’il embrasse, de Rameau à Bernstein, très soucieux d’une mise en théâtre du son, toujours millimétré pour en calculer les effets.
Ainsi le LSO s’est-il présenté dans toute sa splendeur, réunissant musiciens, chœur et solistes, et déjà, dans cette cathédrale qu’est le KKL, l’ensemble de tous ces artistes avait quelque chose d’éminemment théâtral.
Ma mère l’Oye permet de fouiller la partition et d’en exalter les moindres recoins, d’en faire émerger l’orchestration rigoureuse, avec des bois très au point. Il en résulte un ensemble où un soin tout particulier est donné à la couleur, à l’ambiance souvent mystérieuse, voire un peu inquiétante. Le souci du détail permet de produire un ensemble à la fois clair et homogène, sans démonstration, dans un tempo mesuré et même une certaine retenue. Rattle n’appuie jamais, refuse l’insistance, et fait procéder par touches délicates qui soulignent tous les raffinements de cette musique (quel beau violon solo). Il construit un récit à l’architecture rigoureuse, avec un sens des équilibres et une mise en valeur des éléments signifiants (la flûte !). On sent le travail, et en même temps l’auditeur se sent pris, engagé presque magiquement. Force du conte…
Dans Shéhérazade, la couleur « orientale » est immédiatement affichée et on note immédiatement la qualité des bois, et la subtilité de l’approche interprétative. Magdalena Kožená prête sa voix aux couleurs sombres et moirées avec une diction appliquée et donc un français clair. L’acoustique du KKL n’est pas forcément favorable aux voix, mais on entend d’autant plus clairement que Rattle retient l’orchestre, très contrôlé, avec de belles subtilités dans les cordes. Il en rend à la fois la subtilité et le mystère, voire quelquefois la noirceur, sinon la violence rentrée. Kožená est peut-être plus à l’aise dans ces pages délicates que dans L’Enfant et les sortilèges qui va suivre. C’est un vrai moment suspendu, et toute cette première partie laisse percer une indicible poésie. Il faut saluer le souci du chef de dessiner une ambiance, de soigner les couleurs, et de ne jamais verser dans l’excès expressif, mais au contraire de procéder par touches impressionnistes. Vraiment convaincant.
Le clou du concert c’est évidemment l’Enfant et les sortilèges, livret de Colette, pour la première fois représenté au festival de Lucerne. Au regard de la thématique du Festival nous sommes en plein dans le mille. On aurait pu peut-être souhaiter quelquefois une direction plus « légère », même si Rattle soigne la clarté du son et évite (sans toujours y réussir) de couvrir les chanteurs. Les voix sont presque commentées par la musique, un peu comme un dessin animé – cette musique est évidemment complètement cinématographique et Rattle accentue quelquefois les effets en marquant peut-être à l’excès le trait. Mais cela reste une exécution de très haut niveau.
L’ensemble de la distribution est sans reproche, tous ont une diction au moins acceptable sinon excellente, notamment les voix masculines, la basse David Shipley, le baryton Gavan Ring et le ténor Sunnyboy Diadla (très drôle en théière); du côté des femmes Anna Stéphany en chatte, en tasse chinoise en bergère et j’en passe, a une voix de mezzo fraiche très bien posée et qui projette parfaitement, tout comme la soprano Elisabeth Watts (la chouette, une pastourelle, la chauve-souris…). Jane Archibald se joue des colorature et des aigus du rossignol et du feu, et la voix bien projetée aux graves sonores de Patricia Bardon convient très bien notamment à Maman (elle chante aussi la libellule et un Patre)
Magdalena Kožená est l’Enfant, espiègle et têtu. Elle a revêtu pour l’occasion costume et casquette d’un gavroche un peu renfrogné. L’expressivité est au rendez-vous, la diction un peu moins, mais l’ensemble est convaincant, même si la voix apparaît un peu mûre pour le rôle (un Maman final peut-être pas trop réussi). On peut la préférer cependant dans Shéhérazade.
Le chœur du London Symphony Orchestra est au rendez-vous, très bien préparé par Simon Halsey, vieux compagnon de route de Sir Simon Rattle, on notera le beau moment très raffiné des pastourelles et pastoureaux et il faut noter à la fois l’émotion et l’intensité des derniers moments « il est sage…il a pansé la plaie ».
Au total il y a là tous les ingrédients d’une soirée bien réussie, avec un Simon Rattle visiblement ravi de diriger cette musique, qui lui réussit si bien.