Jean-Louis Grinda et José Cura cherchaient un titre original pour se retrouver après le succès de Stiffelio en 2013 : le ténor ayant abandonné son projet d’interpréter un jour Parsifal, a finalement accepté de chanter Wagner mais en français, une langue familière à la différence de l’allemand. Cet étonnant Tannhäuser était donc présenté il y a peu Salle Garnier. Rien à voir avec la mauvaise tradition subie par nos parents et grands-parents, longtemps contraints d’écouter Wagner en français dans des traductions aléatoires et pompeuses, car ce qui frappe d’emblée c’est la limpidité et la qualité du texte ; travaillés pour coller parfaitement à la musique, les mots sont justes et ne dénaturent jamais la partition.
Confier à la contralto Nathalie Stutzmann la direction d’un tel ouvrage avait de quoi surprendre. C’était sans compter sur le professionnalisme de cette artiste qui a pris sa mission très au sérieux. Et le moins que l’on puisse dire est qu’elle sait où elle va, dès l’ouverture, où le Philharmonique de Monte-Carlo traduit le trouble, la tension et l’extrême sensualité qui conduisent tout naturellement vers cette Bacchanale aux effluves provocants. Vivante et contrastée, ample et détaillée, sa direction passionnée est avant tout un modèle d’équilibre narratif et théâtral, d’une réelle solidité discursive, qui ne s’interdit pas les grands emportements, notamment au cours du final du second acte, techniquement très en place.
Au plateau, la mise en scène de Jean-Louis Grinda manque d’audace, trop sage et trop illustrative malgré un premier acte qui tente de transposer en images les effets de l’opium sur le cerveau de Tannhäuser. L’absence d’un ballet digne de ce nom est regrettable, d’autant que les vidéos psychédéliques de Gabriel Grinda qui défilent sur un cyclorama semi-circulaire, font un peu datées. Marqué par son statisme et plombé par ce décor de chapelle médiévale aux couleurs criardes, le second acte se laisse davantage écouter que regarder ; il faut dont patienter jusqu’au dernier pour goûter enfin aux lumières raffinées et subtilement associées aux images, projetées sur cette voûte aux allures de ciel étoilé, dues au scénographe et éclairagiste Laurent Castaingt. Avec ces arbres givrés suspendus par le tronc, ce sol enneigé et cette pluie d’étoiles, la célèbre romance de Wolfram est une authentique réussite visuelle dont nous conserverons longtemps le souvenir.
Force de la nature, José Cura, malgré un français parfois cotonneux, vient à bout de ce rôle écrasant qui exige intensité du verbe et endurance des accents. Imprévisible et impulsif, son personnage partagé entre passion dévorante (Vénus) et amour conventionnel (Elisabeth), incapable de choisir son camp, en font la victime idéale. La voix encore solide, l’émission toujours large et l’aigu peu altéré lui autorisent cette incursion dans un répertoire exigeant, vaillamment assurée jusqu’au récit de Rome, chanté sans fatigue apparente et avec un bel aplomb. Avec un physique très avenant, la mezzo-soprano Aude Extrémo (Vénus) n’a aucun mal à faire croire à son ascendant sur Tannhäuser qu’elle retient par ses charmes, mais également par la drogue qu’elle lui administre. La voix sonore et profonde fait d’abord illusion, mais les limites de cette tessiture hybride contraignent rapidement la cantatrice à forcer sur ses moyens et à tendre ses aigus.
Dans le rôle d’Elisabeth, Annemarie Kremer est une belle surprise, soprano engagée, au matériau vocal riche et timbré, très à l’aise durant tout le second acte, malheureusement moins inspirée dans sa grande prière du 3. Pour sa première tentative dans le répertoire wagnérien, Jean-Francois Lapointe réalise un sans-faute, magnifique de naturel, l’élégance et de style, sa ligne de chant atteignant de véritables sommets lors de la Romance à l’étoile ; Steven Humes possède l’autorité et la profondeur propres aux meilleurs Landgrave, Roger Joakim est un honnête Biterolf et William Joyner un correct Walther, tandis qu'Anaïs Constans possède la fraîcheur du Pâtre, les chœurs de l’opéra relevant avec brio le défi lié à ces délicates interventions en coulisses et sur scène.