André Grétry (1741–1813)
Richard Cœur de Lion (1784)
Opéra-comique en trois actes
Livret de Michel-Jean Sedaine, créé à la Comédie Italienne le 21 octobre 1784

Direction musicale : Hervé Niquet 
Mise en scène : Marshall Pynkoski
Chorégraphie : Jeannette Lajeunesse Zingg
Décors : Antoine Fontaine
Costumes : Camille Assaf
Lumières : Hervé Gary

 

Rémy Mathieu (Blondel)
Pierre Derhet (Richard)
Melody Louledjian (Laurette)
Marie Perbost (Antonio, La Comtesse)
Geoffroy Buffière (Sir Williams)
Jean-Gabriel Saint-Martin (Urbain, Florestan, Mathurin)
François Pardailhé (Guillot, Charles)
Cécile Achille (Madame Mathurin)
Charles Barbier (Sénéchal)
Laura Jarrell (Colette)
Virginie Lefèvre (Béatrix)
François Joron (un paysan)

Le Ballet de l’Opéra Royal
Chœur du Concert Spirituel
Orchestre Le Concert Spirituel

 

Opéra Royal de Versailles, le 12 novembre 2021 à 20h

Œuvre phare des années pré-révolutionnaires, Richard Cœur de Lion avait renoué avec la scène en 2019 à l’occasion des 250 ans de l’Opéra Royal de Versailles, servi par une superbe mise en scène de Marshall Pynkoski accompagné d’Hervé Niquet et de son Concert Spirituel. Repris avec une distribution quasi identique et tout à fait convaincante, le spectacle séduit par la plongée qu’il propose dans l’esthétique du XVIIIème siècle qui, loin de sembler passée et vieillie, y gagne un charme évident en plus de l’intérêt historique et musical incontestable que la production représente.

Rémy Mathieu (Blondel) et le chœur du Concert Spirituel

Créé en 2019 à l’occasion des 250 ans de l’Opéra Royal de Versailles, ce Richard Cœur de Lion mis en scène par Marshall Pynkoski avait fait événement en ramenant à la scène l’une des œuvres emblématiques de la fin du XVIIIème siècle, et dont le succès dépassa largement les frontières françaises.

S’il fut l’un des compositeurs favoris de Marie-Antoinette, Grétry n’aurait sans doute pas imaginé que son Richard Cœur de Lion, et plus particulièrement l’air « O Richard, ô mon Roi » deviendrait un signe de ralliement royaliste durant la Révolution. Il n’aurait pu imaginer non plus que Beethoven, Mozart, Tchaïkovski ou Offenbach citeraient son opéra, dont les mélodies sont restées bien connues en Europe tout au long du XIXème siècle ; mais voilà comme souvent que l’œuvre finit par disparaître des scènes, ne trouvant sans doute plus la faveur du public.

La faire revivre en 2019 puis en 2021 représentait un défi, car derrière la curiosité musicale et historique que cette production pouvait susciter, la partition ne manque pas de sembler un peu désuète. Mais c’est là que la mise en scène de Marshall Pynkoski remporte le pari : plutôt que de se battre avec l’œuvre pour la tirer vers une modernité factice, il l’assume telle qu’elle est, et cette désuétude acquiert finalement un charme évident. Seule entorse au livret : ce n’est plus au Moyen-Age, mais à l’époque des Lumières que se situe l’action. Pour le reste, les décors d’Antoine Fontaine constituent une véritable plongée dans l’opéra du XVIIIème siècle avec ses toiles peintes, représentant tantôt l’extérieur ou l’intérieur de la forteresse ou encore la maison de Sir Williams, tout juste complétés par quelques bancs, des chaises, une table. Le théâtre montre ici ses ficelles, avec ses changements à vue, mais aussi avec la proximité des chanteurs avec le public : si les solistes s’avancent parfois devant la fosse d’orchestre, au plus près des spectateurs, le chœur final est chanté depuis les loges. Marshall Pynkoski rappelle de cette manière que la salle de l’Opéra Royal est elle-même un théâtre ; il joue de l’artificialité essentielle de la représentation, qu’il habille de superbes costumes et des très élégantes chorégraphies de Jeannette Lajeunesse Zingg, et cette œuvre nous apparaît joliment surannée – drôle aussi, grâce à l’humour que distille par touches le livret de Michel-Jean Sedaine.

Ce Richard Cœur de Lion est un superbe spectacle pour les yeux, et l’enthousiasme du public est évident : rarement voit-on une salle non seulement unanimement enthousiaste, mais qui l’exprime avec autant de chaleur. Tout y est beau, élégant, d’un esthétisme sans faille. Sa réussite vient également de solistes jeunes, qui connaissent bien la production puisque la distribution est restée quasi inchangée entre 2019 et 2021 – seul Reinoud van Mechelen manque à l’appel, remplacé par Pierre Derhet dans le rôle-titre. Rémy Mathieu retrouve ainsi le rôle de Blondel qu’il incarne avec une gestuelle démonstrative, une assurance, une énergie indispensables à celui qui est, finalement, le personnage le plus présent dans l’action : la voix est claire, la diction parfaitement compréhensible, l’expressivité constante. Rémy Mathieu est seulement un peu jeune pour que son Blondel soit si souvent traité de vieil homme ! Le roi Richard prend ici, on l’a dit, les traits de Pierre Derhet qui a bien peu d’occasions de briller tant la partition accorde peu de place au personnage. Malgré tout, le ténor fait entendre une voix rayonnante dans « Si l’univers entier m’oublie », qu’il double de l’autorité vocale nécessaire au souverain. La soprano Marie Perbost doit quant à elle interpréter à la fois Antonio et la Comtesse, rôles diamétralement opposés : c’est finalement dans le premier que le jeu est le plus intéressant et qu’elle fait entendre au mieux une voix ronde et assurée, car la Comtesse chante finalement assez peu.

Rémy Mathieu (Blondel) et Melody Louledjian (Laurette)

Melody Louledjian est une Laurette au timbre corsé et à la personnalité vive ; la naïveté de son « Je crains de lui parler la nuit » n’est que passagère, laissant bientôt place à un vrai personnage de comédie qui ne craint pas de s’opposer à son père, incarné ici par Geoffroy Buffière. Si ce dernier manque de projection au premier acte, cela est résolu par la suite et le chanteur incarne admirablement Sir Williams. Enfin, on retiendra particulièrement la prestation de Jean-Gabriel Saint-Martin dans le rôle de Florestan (ainsi que dans les rôles de Mathurin et d’Urbain) : autant le gouverneur est menaçant lorsqu’il chante, autant les dialogues parlés permettent de rendre sa part comique, et Jean-Gabriel Saint-Martin manie aussi bien les deux facettes du personnage.

Jean-Gabriel Saint-Martin (Florestan) et Rémy Mathieu (Blondel)

Le chœur occupe également une place non négligeable dans cette œuvre, et notamment le chœur d’hommes. Les chanteurs du Concert Spirituel possèdent un son efficace, dense, homogène qui convient parfaitement à une partition qui laisse peu de place à la retenue ou au lyrisme pour les choristes. Ils possèdent également une expressivité qui sert parfaitement la mise en scène de Marshall Pynkoski et rend vivants et frappants les divers tableaux d’ensemble, qu’ils soient sur un registre léger avec les paysans ou sur un registre plus dramatique au sein de la forteresse. Au pupitre, Hervé Niquet dirige avec vivacité une partition qui, il faut l’avouer, a ses limites. Mais le chef n’oublie pas de rendre la délicatesse dont certaines pages sont empreintes et l’impact dont l’orchestre fait preuve participe à la réussite d’un spectacle assez grandiose, comme surgi d’un autre temps, mais auquel on souscrit avec plaisir.

Rémy Mathieu (Blondel), Charles Barbier (Sénéchal), Marie Perbost (la Comtesse), Geoffroy Buffière (Sir Williams)
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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

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