Pour s’adapter à différents lieux dont certains de taille modeste, la version réorchestrée par Jonathan Dove pour seize musiciens a été choisie ; une excellente idée, car son équilibre est parfait et le jeu des timbres instrumentaux s’en trouve renforcé sans que la musique semble souffrir d’anémie ou d’excès de minceur. Il est vrai que la direction vivante et lyrique de Laurent Cuniot fait briller ses couleurs et les membres de l’ensemble orchestral TM+ s’en donnent à cœur joie.
Autre atout : une distribution homogène de solistes triés sur le volet qui forment une équipe soudée, dont le plaisir de jouer et de chanter est visible et communicatif. Quelques-uns s’en détachent, ne serait-ce que par l’ampleur de leur(s) rôle(s), mais tous sont épatants. En tête, le Garde-Chasse bourru mais au grand cœur de Laurent Bourdeaux, le Curé et le Vagabond de Philippe Cantor, qu’on a longtemps connu dans le répertoire baroque, la Femme du garde-chasse de Françoise Masset, dont on aime la drôlerie et la finesse musicale, le Renard entreprenant de Caroline Meng et bien sûr la Bystrouska de Noriko Urata, voix claire, brillante et charnue habilement conduite.
Tous sont d’autant plus remarquables que le spectacle conçu par Louise Moaty leur demande une implication sans réserve. Car il ne s’agit pas, ici, d’une représentation théâtrale classique. Le plateau est utilisé (et celui de l’Athénée est relativement réduit, obligeant les surtitrages à se réfugier sur les côtés) mais aussi un écran à mi hauteur, sur lequel sont projetées des films vidéo réalisée en direct ; les personnages, que l’on voit sur les planches, s’y retrouvent en gros plans, pour des effets amusants qui soulignent leur caractère. Les mondes animal et humain s’y côtoient en images colorées et séduisantes, évoquant les projections de lanternes magiques ou les premiers temps du cinématographe ; et les spectateurs participent à la fête, brandissant des dessins d’yeux d’animaux pendant la scène du mariage de Bystrouska. On pourrait parler de performance, mais le mot serait trop restrictif. Louise Moaty et ses complices ont réussi à donner de la profondeur au conte moral de Janacek – le compositeur a écrit lui-même le livret d’après le roman imagé de Rudolf Tensnohlidek, bande dessinée avant l’heure. Qui plus est, les films réalisés à chaque séance sont téléchargeables après la représentation. Comment mieux proclamer le règne de la fantaisie, et faire de l’opéra un art d’aujourd’hui ?