Gaetano Donizetti (1797–1948)
Chiara e Serafina (1822)
Melodramma semiserio in due atti di Felice Romani
Création à Milan, Teatro alla Scala, le le 26 octobre 1822
Édition à partir du manuscrit autographe de Alberto Sonzogni, ©Fondazione Teatro Donizetti

Direction musicale  Sesto Quatrini
Mise en scène, décors et costumes  Gianluca Falaschi
Chorégraphie Andrea Pizzalis
Lumières Emanuele Agliati
Dramaturgie Mattia Palma

Don Meschino Giuseppe De Luca
e con i solisti dell’Accademia di perfezionamento
per cantanti lirici del Teatro alla Scala :
Don Alvaro / Don Fernando Matías Moncada
Serafina  Fan Zhou
Chiara Greta Doveri,
Don Ramiro Hyun-Seo Davide Park
Picaro Sung-Hwan Damien Park
Lisetta Valentina Pluzhnikova
Agnese Mara Gaudenzi
Spalatro Andrea Tanzillo
Gennaro Giuseppe De Luca

Orchestra Gli Originali
Coro dell’Accademia Teatro alla Scala
Chef des chœurs Salvo Sgrò

Nouvelle production de la Fondazione Teatro Donizetti en collaboration avec l’Accademia Teatro alla Scala

Bergamo, Teatro Sociale, Samedi 18 novembre,20h

Trois titres à chaque édition du Festival Donizetti, dont une rareté. Cette année, c’est le tour de Chiara et Serafina, son premier opéra pour la Scala de Milan, qui fut un échec cuisant
Pour cette première représentation moderne, le Festival Donizetti a choisi le cadre plus intime du Teatro Sociale, au cœur de la vieille ville de Bergame (Bergamo alta).
Au-delà de la qualité intrinsèque de l’opéra, il est toujours intéressant de couvrir les opéras de jeunesse de Donizetti. Sans le Festival, aurait-on pu entendre
Il Pigmalione sa première œuvre, Il Falegname di Livonia ossia Pietro Il Grande ou Il Borgomastro di Saardam ? Cette édition 2022 permet d’entendre d’ailleurs deux titres de sa première période, puisque le troisième opéra au programme est L’Aio nell’imabrazzo, un peu plus connu, qui date de 1824.
C’est une représentation vive et fraiche qu’il nous été donné de voir, avec un cast totalement composé d’élèves de l’Accademia del Teatro alla Scala, le centre de formation du théâtre milanais qui a ainsi retrouvé à deux cents ans de distance, une œuvre qu’il avait bien oublié

 

Chiara e Serafina : dispositif scénique

Le Festival Donizetti a un long avenir assuré dans la mesure où son compositeur d’élection a écrit plus de soixante-dix opéras, qui garantit plusieurs décennies de redécouvertes et bien du travail aux éditeurs. La situation de telles institutions est toujours plus solide si elles sont installées dans une ville qui possède des structures théâtrales actives. Bergame, avec Brescia, sera en 2023 capitale italienne de la culture, et il est probable qu’on mettra les petits plats dans les grands. Mais cela ne signifie pas pérennité, car on connaît la situation fragile du spectacle en Italie, il suffit de constater comment en quelques décennies les saisons ordinaires des théâtres lyriques se sont appauvries.
Même si Bergame vient de rouvrir son Teatro Donizetti, son fleuron du XIXe (situé donc à Bergamo Bassa, la ville du XIXe), ce n’est pas une structure de production mais d’accueil, ce qui signifie que le Festival doit mobiliser des forces extérieures nombreuses pour présenter en même temps trois opéras (dans un pays habitué au système stagione où tout est concentré la plupart du temps sur un seul titre dans une période donnée). Trois opéras, cela suppose outre les investissements, une logistique importante en termes de salles de répétition pour l’orchestre, le chœur, de disponibilités des scènes ou de lieux pour les répéitions des chanteurs et des mises en scène. Il n’est pas certain qu’une ville consente des investissements importants pour des espaces de travail qu’on utilise grosso modo un mois par an, à moins que la saison lyrique bergamasque ne s’étoffe et que le Teatro Donizetti ne devienne aussi un théâtre de production alors qu’il n’est que théâtre d’accueil tout au long de l’année, ce qui n’est probablement pas à l’ordre du jour.
Les trois titres au programme se divisent donc entre les deux théâtres de la ville, le Donizetti et le Teatro Sociale, réservé à la prose et à la danse le reste de l’année.
En Allemagne, les théâtres dans les villes drainent une public d’abonnés sur un nombre de spectacles respectable avec un public généralement attaché à ses forces locales, orchestre, troupe de chanteurs et de comédiens, chœur, éventuellement ballet.
Rien de tel en Italie tout comme en France où le nombre de représentations est grandement inférieur, et va en diminuant, occasionnant par là-même une perte de public.
Tout cela pour souligner le côté méritoire d’une entreprise qui mobilise beaucoup de forces sur une période relativement courte, mais on n’observe pas du côté des institutions citadines un engagement si net pour améliorer la logistique.
L’accès à Bergamo Alta est limité, les transports publics pas vraiment renforcésà pour accéder au théâtre (à peu près 500 spectateurs), et pour des œuvres longues, comme c’est le cas de Chiara et Serafina les bus s’arrêtent à minuit, ne laissant pas le temps aux spectateurs de s’attarder après la représentation (d’ailleurs la plupart des restaurants ferment leurs cuisines après 22h30.)
Or on sait que lors d’un Festival, les festivaliers aiment à prolonger la soirée pour discuter autour d’un verre ou d’un plat. C’est difficile à Bergame, ce qui signifie simplement que la question du Festival, qui a des retombées positives en termes de tourisme, n’est pas encore bien prise en compte par les édiles.

Il reste que le Festival Donizetti est une manifestation agréable, dans une ville qui ne l’est pas moins, un des joyaux de la Lombardie.

Pour répondre aux questions d’organisation et aux questions financières dont il était question plus haut, si les productions sont en général bien défendues, et les moyens à disposition suffisants (aucune des trois productions n’est faite à l’économie), on fait appel à des distributions de jeunes chanteurs, moins coûteuses, pour deux titres sur trois, et dans le cas de Chiara et Serafina, la collaboration avec l’Accademia della Scala permet que tout le travail de préparation du chœur et des solistes soit fait à Milan, limitant la présence des artistes aux seules répétitions scéniques. Des trois titres au programme, seule La Favorite a une distribution entièrement composée de professionnels. C’est ainsi que le Festival peut limiter les frais de plateau. Tout est une question d’équilibre.

Dans le cas d’un opéra totalement inconnu, il est toujours difficile de trouver des professionnels en carrière disposés à apprendre un rôle qu’ils risquent de ne plus jamais chanter. Avec des élèves en formation, c’est bien plus facile puisqu’on ne leur demande pas de choisir, et que l’opéra fait partie de leur cursus. En l’occurrence, seul Pietro Spagnoli la basse bien connue, était affiché dans Don Meschino mais le Covid passa et le 19 novembre, il dut être remplacé par sa couverture (indispensable pour des œuvres si rares), Giuseppe De Luca, lui aussi élève à l’Accademia et donc tles participants de la soirée étaient issus de l’institution milanaise.
Chiara et Serafina représentait un bien plus gros enjeu pour Donizetti que pour le librettiste déjà fameux Felice Romani. Alors qu’il devait remettre le livret en septembre 1822, il le remit début octobre, réduisant le temps de répétition à une dizaine de jours.
La trame est inspirée d’une pièce de Guilbert de Pixérécourt La Citerne, créée en 1809,  « Mélodrame en quatre actes, en prose et à grand spectacle ». Le titre lui-même laisse penser à une pièce à rebondissements, à changements d’espaces, à nombreux personnages…
Il s’agissait de concentrer en deux actes, dont le premier est plus long et plus complexe que le second.  En effet, une des raisons sans doute de l’insuccès fut la confusion née du livret, assez touffus, que nous allons tenter de résumer au mieux.
Nous sommes à Majorque. Don Alvaro et sa fille Chiara ont été faits prisonniers par les algériens, tandis que le seconde fille Serafina .(dont on prépare les noces avec Don Ramiro) a été confiée au perfide Don Fernando qui n’a de cesse de vouloir mettre la main sur les biens de Don Alvaro et qui en plus a des vues sur Serafina. Il fait donc accuser Alvaro de trahison.
Mais voilà que suite à une tempête, Alvaro et Chiara débarquent sur une plage de Majorque et sont recueillis par Don Meschino, au nom évidemment prédestiné, Lisetta et sa mère Agnese, qui les abritent au château délabré de Belmonte.
Peu après, débarquent aussi des pirates, dont Picaro, ex-serviteur de Don Fernando, qui fait un pacte avec lui pour empêcher le mariage de Serafina avec Ramiro. Comme par hasard, les pirates font de la citerne du château de Belmonte leur refuge, pour se cacher et surtout cacher Serafina qu’ils doivent enlever.
tous se retrouvent dans la citerne du château et Picaro (dont le nom nous fait fortement penser à Figaro) change de camp et décide d’aider non le méchant Don Fernandoi, mais Serafina et Chiara.
A la fin, tous sera résolu, Serafina pourra épouser Ramiro, quant à Don Alvaro, il pourra brandir les preuves de son innocence et retrouver son honneur bafoué.

Sur la table, Picaro (Sung-Hwan Damien Park)

Si la trame est confuse, elle traduit une concentration de traditions différentes de la littérature théâtrale du temps. Il y a bien sûr le souvenir de Rossini, avec ce Picaro-Figaro, mais pas seulement, il y a aussi des moments plus sombres, notamment autour du destin du père, Alvaro, avec des ingrédients qui rappellent aussi les opéras de Cherubini, les pièces à sauvetage (le château où tout le monde est enfermé…), la multiplicité des personnages éléments perturbateurs ou adjuvants, fait aussi le grand spectacle. L’œuvre n’est aps qualifiée de melodramma  giocoso mais semiserio. Le serio étant donc plus ou moins dominant, on se trouve donc devant une sorte de patchwork de situations bouffes, sérieuses, lyriques, dramatiques. Cette multiplicité de styles, qui permet à Donizetti de montrer tout ce qu’il sait faire musicalement, est source de confusion pour le spectateur, qui se trouve un peu perdu dans les 3h30 de spectacle (entracte compris). Exercice de style aux styles divers d’un jeune compositeur de 25 ans qui fait son entrée à la Scala, il passe à côté du succès, par la nature même du produit présenté.

Serafina (Fan Zhou)

C’est pourquoi le choix de Gianluca Falaschi pour la mise en scène est plutôt heureux parce qu’il unifie la couleur générale de l’œuvre en lui donnant un style visuel, qui est celui du Théâtre de tréteaux, de théâtre dans le théâtre et de la Commedia dell’arte, avec des masques mais pas trop, avec des costumes riches (Falaschi est un grand créateur de costumes, qui est son métier d’origine avec des couleurs, des plumes et du clinquant), et il réussit à donner néanmoins l’impression d’un grand spectacle parce qu’il occupe tout l’espace scénique sur deux niveaux, ce qui permet de placer le chœur, important dans l’opéra, avec des éclairages assez réussis (Emanuele Agliati).dont l’ambiance est essentiellement nocturne,
Pour résumer l’impression générale, nous sommes dans une ambiance commedia dell’arte mais dans un style revue de music-hall (c’est net dans certains monologues) ou mieux, un style d’opérette, un style commedia dell’arte à la sauce Offenbach – un Offenbach qui adorait Donizetti, dans lequel il puisait à loisir, tout autant que dans Rossini. On est plus dans un style visuel que dans une direction d’acteurs très précise sur chaque individu, mais avec une bonne gestion des groupes et des mouvements. Falaschi a sous la main des jeunes, assez neufs dans le travail théâtral et qui s’en sortent plutôt bien, notamment par exemple le Picaro de Sung-Hwan Damien Park, ou la Lisetta bien plantée de Valentina Pluzhnikova. Voilà donc un spectacle bien réglé, agréable à voir, et plutôt séduisant, construit comme des numéros, et ainsi évitant le danger des confusions et des méandres d’une trame compliquée.

Du point de vue vocal, pas de couverte de la nouvelle Callas ni du nouvelAlfredo Kraus, mais un ensemble vocal homogène avec pour tous de réelles qualités de diction, très claire et très appliquée, souvent aussi de phrasé avec pour quelques-uns de belles qualités d’émission.

Valentina Pluzhnikova (Lisetta), Greta Doveri (Chiara)

Pas de très grandes voix, sinon peut-être la Lisetta de Valentina Pluzhnikova à la voix large mais aussi profonde avec de beaux graves sonores Le Picaro de  Sung-Hwan Damien Park, qui allie agilité scénique et un jolie grain vocal, expressif et vif. Convaincante également avec sa jolie voix lyrique, la Serafina de Fan Zhou, moins convaincante et plus instable la Chiara de Greta Doveri notamment dans son air final, plutôt terne.

Greta Doveri (Chiara)

Quant à Giuseppe De Luca, il a remplacé Pietro Spagnoli au pied levé le matin même de la représentation, et il n’a évidemment pas l’assise ni l’aisance de son aîné. Il se glisse dans la mise en scène avec aisance, même si la présence vocale, la projection et l’expressivité font un peu défaut, mais on ne peut lui en tenir rigueur, c’est au contraire une belle performance, quand on considère les circonstances. Pour tous les autres, la prestation est plutôt honorable.
S’il y a un point vraiment problématique dans la soirée, c’est du côté de la fosse qu’il faut le chercher. L’orchestre Gli Originali est plutôt souvent séduisant dans ces œuvres inconnues ou rares sur les scènes, avec de belles qualités dans l’accompagnement si attentif à la philologie et aux styles de ces œuvres. Mais pas ici, et ce n’est pas forcément de son fait.
C’est d’autant plus intéressant dans une œuvre où la multiplicité des styles et des sources musicales. La musique trouve ses échos chez Rossini et Cherubini, mais aussi un peu chez Mozart, Gluck et Spontini, toute la lignée des compositeurs qui marquent les premières années du XIXe siècle. L’orchestre devrait montrer cet enchevêtrement de références musicales. On s’attendrait donc à des couleurs différentes, à des variations de style et de pâte sonore, et même de rythmes entre des crescendos à la Rossini et des ensembles plus massifs qui rappellent Gluck.
Las, au lieu de couleurs, de ciselures, de transparence, le chef Sesto Quatrini dirige cette œuvre avec indifférence, donnant à l’orchestre des couleurs assez ternes,  ou pas de couleurs du tout, avec un son opaque qui sort à peine de la fosse. Une sorte de routine pour une œuvre qui sort de la routine. Le chef ne fait aucun effort pour donner du relief à la partition, du rythme à l’accompagnement du plateau. Bref, on a l’impression d’entendre des notes mais jamais de la musique, la direction musicale aplatit ce qui devrait être à sauts et gambades. Il enterre définitivement l’œuvre en ne lui donnant aucune chance.

On apprécie dans ce Festival l’appel à des chefs divers, représentant les nouvelles générations de chefs italiens. Avec Sesto Quatrini, c’est vraiment un échec.
Il est probable que cet œuvre retournera dans les rayons des archives et dans l’oubli de nouveau, c’est pourquoi on est malgré tout heureux d’avoir assisté à cette exhumation, mais on comprend évidemment l’échec à la Scala et l’absence totale de reprises depuis 1822.  Le Festival Donizetti a réussi à proposer une production intéressante, mais il ne disposait pas du chef ad-hoc pour sauver la musique, sans aucune envie de la défendre et c’est très dommage. Occasion manquée.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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