Exécuter une œuvre aussi singulière que The Bassarids de Henze dans un théâtre d'une histoire et d'une dimension aussi particulières était un geste fort et bien pensé, avec lequel Kosky a cherché à attirer l'attention, et il y a sans aucun doute réussi. Créée au Festival de Salzbourg à l'été 1966, cette imposante partition de Hans Werner Henze présente un livret en anglais de W. H. Auden et Chester Kallman, d'après Les Bacchantes d'Euripide. La musique du compositeur allemand – conçue en quatre mouvements, comme s'il s'agissait d'une symphonie – possède une intensité et une force constantes, à peine ébranlée par des moments d'un lyrisme inquiétant. La partition cherche à déchaîner les passions et donc à heurter le public, d'une manière très efficace et violente.
L'orchestration vigoureuse et débordante de cette partition a en fait forcé les murs de la Komische Oper. Ainsi, la solution scénique adoptée par Barrie Kosky a fait de nécessité vertu, résolvant la scénographie (œuvre de Katrin Lea Tag) avec un grand escalier (mimétisme d'un amphithéâtre classique), où était disposé une partie de l'orchestre et du chœur (en mouvement), en impliquant l'ensemble de la salle de théâtre dans le processus même de la représentation, laissant en fait les lumières presque entièrement allumées tout au long de la soirée, à l'exception des dernières minutes au fondu noir total.
Il y a quelque chose d'austère et d'inquiétant dans la production du metteur en scène australien. Tant le jeu chromatique (essentiellement en noir et blanc) que l'éclairage (presque excessif, tout est devant nos yeux) laissent entrevoir un tissu de tensions latentes et d'impulsions contenues, prêtes à se déchaîner d'un moment à l'autre, comme c'est effectivement le cas. Et il y a aussi des moments débridés de transe dionysiaque et de détermination fatale, comme si le devenir de l'action était incontrôlable, surtout dans la seconde moitié du spectacle, lorsque la vengeance de Dionysos se déclare. Le travail de Kosky réussit à être clair, poétique et spectaculaire, sans avoir recours à une grande ingéniosité technique ou à des solutions scénographiques inattendues. C’est faire plus avec moins, surtout quand les accents sont bien placés et que l'essentiel est souligné.
Ce spectacle n'aurait pas été du tout le même sans l'admirable prestation du chœur de la Komische Oper, au magnifique travail à tous points de vue. Et pas seulement parce que les choristes chantent une partition diabolique avec une fermeté et une conviction étonnantes. Le travail de ses membres est marqué par son caractère plastique, soulignant la force et l'intensité visuelle de leurs interventions, et c’est fondamental pour suivre l'évolution de l'action, où Kosky évoque le rôle originel du chœur dans la tragédie grecque, coordonné comme un seul homme, qui monte et descend ce grand escalier comme une masse uniforme et irrépressible. Tout aussi fondamentale est la contribution au spectacle du corps de ballet, une douzaine de danseurs qui portent sur leurs épaules la responsabilité d'évoquer ces rituels débridés des bacchantes, comme le raconte Euripide dans sa tragédie du même nom. Les forces de la Komische Oper méritent d'être saluées pour la manière dont elles se sont acquitté de leur mission.
La distribution pour l'occasion a été sans reproche, où l’on retrouve certains des solistes qui avaient déjà participé aux représentations de Salzbourg l'été 2018, comme le ténor Sean Panikkar, la mezzo-soprano Tanja Ariane Baumgartner ou la soprano Vera-Lotte Böcker. La carrière du ténor américain Sean Panikkar (Pennsylvanie, 1981) doit être suivie de près. D'origine indienne, sa voix lyrique sonne facilement au moins dans une salle de la taille de la Komische Oper à Berlin. Son adaptation au style de Henze, son articulation impeccable et précise du texte anglais et surtout son travail acharné sur scène complètent une performance exceptionnelle. Le même engagement interprétatif, le même niveau d'implication dans le spectacle ont été remarqués dans les voix mentionnées ci-dessus de Baumgartner et Böcker.
La première d'entre elles, qui chante Agave, dessine un tableau puissant et effrayant, lorsqu'elle apparaît dans la sanglante scène où elle descend les escaliers avec la tête de son fils dans ses mains. À noter également le bon travail de Günther Papendell dans le rôle de Penthée, avec un timbre ferme et une détermination insolente sur scène, surtout lorsqu'il doit apparaître habillé en femme. Fantastique aussi la basse Jens Larsen dans le petit rôle (mais important) de Cadmus, et les reste de la distribution est à la hauteur avec les voix d'Ivan Tursic (Tirésias), Margarita Nekrasova (Beroe) et Tom Erik Lie, avec une mention particulière sur l'histrionisme raffiné du premier qui ouvre la représentation.
La direction musicale de Vladimir Jurowski, futur directeur musical titulaire de la Bayerische Staatsoper à Munich, s'impose par son autorité et sa fermeté. Le maître russe synchronise la fosse et la scène avec une précision d’horloge, ce qui n'est pas facile car de nombreux moments de l'action se déroulent derrière son dos, dans une sorte de défilé au milieu des fauteuils d’orchestre, avec des interventions également dans quelques loges. Jurowski a fait sonner l'orchestre titulaire du théâtre, une formation accomplie mais qui ne compte pas parmi les meilleures formations berlinoises, comme un orchestre du plus haut niveau. Sa maîtrise de la partition est écrasante, réussissant aussi à doter cette musique d'une théâtralité qui paraîtrait presque naturelle.
Avec cette production, Barrie Kosky semble avoir décidé de retrouver l'esprit originel de la tragédie, qui n'était autre que de secouer la conscience des spectateurs, de les choquer, de sorte que d'une manière ou d'une autre ils ne puissent plus être les mêmes en sortant du théâtre. Sa Komische Oper est aujourd'hui un espace, et pas seulement grâce à cette production, capable de s'ériger en scène entièrement dédiée à cette entreprise cathartique du spectateur, que ce soit par la tragédie ou la comédie.
A Salzburg Warlikovski n avait jamais dépassé le décoratif dépassé par l oeuvre et le felsenreitschule.
Kosky retrouve l essence même de la tragédie grecque. Panikkar à Salzburg etait seul et isolé.
A Berlin sa confrontation avec Papendell autre chanteur génial propulse l oeuvre à un niveau rarement atteint.