En attendant le lancement de la saison lyrique qui débutera en janvier prochain, le Teatro Comunale di Ferrara propose depuis le mois de septembre une riche série de concerts où se croisent formations symphoniques et solistes venus de toute l’Europe. Quelques jours après avoir reçu Sol Gabetta et Nelson Goerner, le Comunale accueillait ainsi un second duo de musiciens : la violoniste et soliste du Chamber Orchestra of Europe depuis 2008, Lorenza Borrani et le pianiste et chef principal de l’Orchestra del Teatro Olimpico di Vicenza avec lequel il également soliste, Alexander Lonquich. Au programme, des sonates de Schubert, Janáček et Schumann spécialement choisies pour leur appartenance et leur lien au romantisme. Les quatre mouvements de la sonate n°4 de Schubert composée en 1817, malgré la fermeté de leur écriture et la sureté de leur style, marquent le retour de l’auteur sur le devant de la scène viennoise après un an d’interruption et de retour au professorat. Soutenu par le grand mécène Esterhazy, le jeune musicien sait qu’il prend des risques et qu’il va lui falloir plaire à ce public exigeant et friand en particulier de nouveauté. Si la mélancolie sourd tout au long de ce splendide morceau notamment pendant le mouvement lent (andantino) où l’on retrouve tout l’art de Schubert adepte de ces longues plages cantabile qui rappellent quel exceptionnel auteur de lieder il sera, ce dernier demande également à ses interprètes une technique suffisamment aguerrie pour faire face à de nombreux traits virtuoses. Complices, pianiste et violoniste n’ont ici aucune difficulté à restituer les atmosphères décrites dans ces pages et leur dialogue conserve à tout moment le même degré de profondeur. Leur écoute mutuelle, leur respiration commune et leur grande sensibilité permettent de varier les paysages sonores et de souligner avec un authentique brio et une parfaite justesse de ton, les douces réminiscences de danses populaire présentes dans l’allegro vivace finale.
Le passage à Janáček est saisissant. Dernière et unique sonate conservée du compositeur tchèque, les quatre mouvements de cette pièce issus de plusieurs versions écrites entre 1913 et 1921, sont bien entendu marqués par de nombreux événements tragiques survenus pendant cette période tourmentée. Homme passionné, féru de politique,Janáček se montre ici l’héritier du romantisme et se plaît à en jouer les dernières cartes, rendant hommage à ses pairs tout en insufflant à sa musique un irrépressible vent de modernité. L’inquiétude, l’incertitude et le désespoir occupent immédiatement l’espace de ce premier mouvement « Con moto », où les deux solistes unis dans un même concept, n’hésitent pas à évoquer l’agitation du compositeur en insistant sur chaque dissonance inscrites dans la partition. Dans le second mouvement « Ballada », tendu et lyrique, même si la mélancolie et le mystère rôdent continûment, le discours des deux musiciens est très structuré et pour autant d’une grande liberté d’expression, leurs attaques possèdent une belle nervosité, les moments d’élégie une vraie pureté tandis que les thèmes chantants de l’adagio, contrebalancés par de vifs coups d’archet, provoquent de superbes décharges électriques.
Avec la sonate n°2 de Schumann composée en 1851, Lorenza Borrani et Alexander Lonquich reviennent au cœur du courant romantique. L’œuvre revêt dès le 1er mouvement un caractère sombre, l’attention de l’auditeur étant instantanément captée par la lenteur majestueuse contenue dans l’introduction. Le duo n’a sans doute pas le toucher et la grâce ineffable du couple formé au disque par la regrettée Brigitte Engerer et son acolyte Olivier Charlier dans leur remarquable album publié en 1992 (Harmonia Mundi), mais leur dialogue reste constamment passionnant par le jeu des entrelacs contrapuntiques et des réponses canoniques légèrement différées qu’ils mettent en place. Cette « Grande sonate » qui révèle l’ambition du compositeur qui prétend donner à la postérité le meilleur de sa production, est magnifiquement portée par ces artistes qui parviennent à se montrer unis jusqu’au bout, le retour à la tonalité initiale de l’œuvre en ré mineur et la prépondérance du piano sur celle du violon ne compromettant jamais l’entente et la qualité de leur interprétation.
Le 1er mouvement de la délicieuse sonate en la mineur de Schubert, donné en bis, véritable retour au calme, permettait de retrouver un duo de musiciens inspirés, avantageusement pris dans les rets d’un tourbillon mélodique d’une éblouissante fraîcheur.