Armide (1686) tragédie en musique en 5 actes et un prologue de Jean-Baptiste Lully (1632–1687)

Livret de Philippe Quinault, d’après La Jérusalem délivrée, du Tasse

Création à Paris, au Théâtre du Palais Royal, le 15 février 1686

Jean-Baptiste Lully

Mise en scène et scénographie : Dominique Pitoiset

Direction musicale : Vincent Dumestre

Chorégraphie : Bruno Benne

Lumières : Christophe Pitoiset

Costumes : Nadia Fabrizio

Vidéo Emmanuelle Vié le Sage

Armide : Stéphanie d’Oustrac

Renaud : Cyril Auvity

Hidraot : Tomislav Lavoie

La sagesse / Phénice / Mélisse : Marie Perbost

La gloire / Sidonie / Lucinde : Eva Zaïcik

Artémidore / La haine : Timothée Varon

Le chevalier danois / un amant fortuné : David Tricou

Aronte / Ubalde : Virgile Ancely

Deux bergères : Anouk Defontenay, Jeanne Lefort

Danseurs la Compagnie Beaux-Champs

Chœur de l’Opéra de Dijon

Le Poème Harmonique

Dijon, Opéra, mardi 25 avril 2023, 20h.

Armide est sans conteste la plus fréquemment montée des tragédies de Lully. Pour sa production dijonnaise bientôt visible à Versailles, Dominique Pitoiset se débarrasse de (presque) toute référence au siècle de Louis XIV pour inscrire l’intrigue dans notre modernité, en recourant notamment à ces casques de réalité virtuelle qui risquent de devenir l’un des poncifs de la mise en scène d’opéra…

1. Prologue. Debout : Marie Perbost (la sagesse), Eva Zaïcik (la gloire) ; assis au premier rang : Tomislav Lavoie (Hidraot), Virgile Ancely (Aronte), David Tricou (le chevalier danois), Bruno Benne (chorégraphe et danseur)

Depuis quelque temps déjà, le Grand Théâtre de Dijon est en travaux. Une première tranche a rendu plus présentable les loges des artistes, une deuxième mettra aux normes le plateau, et une dernière devrait permettre aux spectateurs d’apprécier la musique plus confortablement. Précisons que ce « Grand » théâtre à l’italienne, dans le centre historique de la ville, ne peut accueillir que 600 personnes, contre 1600 places dans le beaucoup plus récent Auditorium. Peut-on espérer qu’une fois les travaux achevés, le Grand Théâtre sera la destination évidente du répertoire pré-mozartien ? D’un point de vue artistique (mais peut-être pas financier), ce serait un choix évident, tant les œuvres des XVIIe et XVIIIe siècles se perdent dans la salle de l’Auditorium, au gigantisme évoquant Bastille. Même avec un orchestre aussi fourni que l’était semble-t-il celui de l’Académie royale de musique, il est bien difficile de faire sonner ces partitions dans un espace aussi vaste, sur une scène aussi démesurée. S’il est bon que les tragédies lyriques de Lully soient à l’affiche dans des lieux « normaux », pour montrer au public que ces œuvres-là ont toute leur place dans la programmation, on ne peut s’empêcher de regretter d’un autre côté qu’elles n’aient pas droit à un cadre un peu plus propice.

Stéphanie d’Oustrac (Armide), Cyril Auvity (Renaud)

Armide doit donc s’accommoder de ce plateau immense, qu’il faut bien meubler. Le décor, qui ne changera guère, à part les vidéos projetées en fond de scène, se compose de gradins, de bancs et des tables blancs, comme dans un amphithéâtre universitaire flambant neuf, ou une assemblée législative dernier cri. Le point de départ de la production signée par Dominique Pitoiset est d’ailleurs une séance d’un mystérieux « Ordre » qui décide de proposer un « jeu » retraçant les amours de Renaud et d’Armide. Vers la fin du prologue-séance à la Chambre, les vainqueurs du conflit opposant les croisés aux Sarrasins font apparaître la magicienne, comme on présente Lulu dans la ménagerie du prologue de l’opéra de Berg. Commence alors, plutôt qu’un drame en cinq actes, une série en cinq épisodes qui nous montre Armide au temps où elle avait encore le dessus, en présidente de superpuissance, avec ses prisonniers de guerre exhibé dans une sorte de vitrine (vidéos parfaitement intégrées au décor). La dirigeante revêt bientôt une tenue de vamp hollywoodienne des années 1940, mousseline et lamé, pour aller séduire l’indomptable Renaud. Long manteau et hoodie à la Assassin’s Creed, celui-ci arrive bientôt mais les enchantements dont il est victime resteront invisibles du public puisque leur fascination relève de la réalité virtuelle vue grâce à un casque – accessoire désormais à la mode sur les scènes d’opéra, Phia Menard ayant ouvert le bal avec ses Enfants terribles. L’invocation de la Haine ne débouche pas sur grand-choses théâtralement parlant, le quatrième acte recourt à nouveau à cette facilité que sont les casques pour les hallucinations infligées à Ubalde et au chevalier Danois. Au cinquième acte, la passacaille inspire un peu plus le metteur en scène, qui prend au pied de la lettre le refrain « Les plaisirs ont choisi pour asile ce séjour agréable et tranquille » : c’est en effet un asile de vieillards qui surgit tout à coup, avec personnel soignant, patients atteints de pathologies variées, sans oublier un crooner en smoking à paillettes et ses six Claudettes habillées par Courrèges. Renaud semble atterré car il tient le test de grossesse – positif – indiquant qu’Armide est dans une situation intéressante. Une fois abandonnée, celle-ci n’aura pour consolation que sa grossesse, alors même qu’elle appelle à la destruction de son palais. Six danseuses et un danseur de la Compagnie Beaux-Champs se chargent des moments de ballet ; la chorégraphie de Bruno Benn, assez raide pour le prologue, où elle veut évoquer la danse baroque, avec ses mouvements de poignets caractéristiques, s’affranchit ensuite de toute référence au Grand Siècle, sauf peut-être dans le cas du chographe lui-même qui arbore finalement culotte et souliers à talons rouges associés à un blouson doré.

Timothée Varon (la Haine), Stéphanie d’Oustrac (Armide), Cyril Auvity (Renaud)

A la tête de son Poème Harmonique en formation suffisamment étoffée pour remplir la très large et très profonde fosse, Vincent Dumestre parvient à dompter l’acoustique des lieux, sa direction souple et vive restituant tous les contrastes de l’œuvre. Il est également bien secondé par le Chœur de l’Opéra de Dijon, apparemment très à l’aise dans ce répertoire dont les formations attachées au théâtre ne sont pourtant pas toujours familières ; c’est du chœur que se détachent deux sopranos, Anouck Defontenay et Jeanne Lefort, pour le divertissement du deuxième acte.

C’est aussi une belle distribution qui est réunie sur le plateau, jusque dans les petits rôles, où l’on reconnaît des habitués de cette musique, comme David Tricou ou Virgile Ancely, à la diction limpide et au jeu scénique percutant. Nouveau-venu, Timothée Varon possède un riche timbre grave, et l’on regrette que le personnage de la Haine n’ait pas bénéficié d’une direction d’acteur plus affûtée. Tomislav Lavoie se montre tout à fait convaincant dans le bref rôle d’Hidraot. En suivantes d’Armide, Marie Perbost et Eva Zaïcik se complètent par leurs couleurs vocales bien différenciées ; on mesure à quel point l’acoustique de la salle est peu favorable à cette musique en constatant que ces deux artistes, dont on on connaît pourtant la netteté d’articulation, doivent ici se battre (avec succès) pour projeter leur texte.

Le temps semble n’avoir pas de prise sur Cyril Auvity, dont le timbre a toujours la même fraîcheur. Son chant clair et droit prête à Renaud une franchise qui convient parfaitement au héros, qui a finalement assez peu à chanter. Face à lui, Stéphanie d’Oustrac retrouve un rôle dans lequel elle s’était illustrée dans la production montée en 2008 par Robert Carsen au Théâtre des Champs-Elysées. Le talent de l’artiste a eu le temps de mûrir pour proposer cette fois une incarnation impressionnante de vie dramatique : la chanteuse ne craint pas de donner de la voix, jusqu’au cri parfois, ni surtout de faire un sort à certaines répliques qu’elle déclame avec une expressivité admirablement travaillée. Face à cette Armide volcanique, on comprend le désir exprimé par la mezzo, d’aborder un autre grand rôle de tragédienne : la Médée de Charpentier, dont on imagine aisément qu’il lui irait comme un gant.

Du 11 au 14 mai, le spectacle sera présenté à l’Opéra royal de Versailles, où l’encombrant décor devra être quasiment réduit de moitié en largeur, ce qui contribuera sans doute à resserrer l’action.

David Tricou (le chevalier danois), Virgile Ancely (Ubalde)
Avatar photo
Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici