Carmen à toutes les sauces, revue et corrigée, passée à la moulinette, Carmen kitsch, Carmen dépouillée, Carmen sous Franco ou dans un bunker, brune ou blonde, en nuisette, en guenille, en tailleur Chanel ou en robe du soir, le public d’ici et d’ailleurs a eu droit à toutes les extravagances, aux relectures le plus farfelues jusqu’aux plus respectueuses : à lui de trouver la sienne dans ce vaste cirque opératique qui n’a pas fini sa course.
Depuis sa création à la salle Favart en 1875, la mythique scène parisienne remet régulièrement à l’affiche le chef‑d’œuvre de Bizet comme si cet éternel retour aux origines pouvait garantir la réussite de production confiée à des metteurs en scène tout émus de faire resurgir d’antiques fantômes. Andrea Homoki ne fait pas exception : il a sans doute pris l’entreprise à cœur, eu le temps de croiser quelques esprits du passé, mais ce qu’il nous propose est loin de nous bouleverser. Sa grande idée se résume en quelques phrases : un homme d’aujourd’hui, légèrement ahuri, débarque sur un plateau d’opéra vide, avant que n’apparaissent en costumes d’époque les personnages principaux qui se préparent à jouer Carmen. Pris dans ce tourbillon, l’homme va devenir Don José et faire à son tour partie de cette représentation, le chœur étant chanté par des bourgeois du XIXème siècle spectateurs de cet opéra présenté Salle Favart…
Les scènes vont ainsi se succéder, rythmées par d’incessants levers et baissers de rideaux, unique décor de ce spectacle au propos minimaliste qui suit son train de sénateur et laisse somnoler son public. Certes les costumes et les époques vont évoluer au fil des actes (quelle trouvaille !) et la cigarière finira en chignon et robe de soirée couture, mais la direction d’acteur, les lumières, la dramaturgie, l’unité et la cohésion du propos sont aux abonnés absents.
En clamant haut et fort que Carmen n’est pas un opéra espagnol mais un opéra français, en évitant toute référence à la nouvelle de Mérimée pour ne pas sombrer dans une Espagne de carte postale, Andreas Homoki donne le sentiment de ne jamais traiter son sujet, focalisé sur le besoin d’éliminer le folklore qui entoure l’ouvrage mais en le rendant finalement d’une fadeur – pour ne pas dire d’une niaiserie – totale.
Bien sûr que l’histoire de Carmen n’est pas réaliste, mais pourquoi donc insister si lourdement sur sa construction fragile, son absence de continuité narrative, ses ruptures de ton et cet enchaînement de numéros pas toujours bien agencés, si ce n’est pour la desservir.
Une fois de plus une version de concert nous aurait largement contenté surtout lorsque la direction musicale est confiée à un chef tel que Louis Langrée. Sous sa battue, l’Orchestre des Champs-Elysées répond avec une belle assurance, une nervosité et un sens des contrastes parfaitement adaptés aux situations. Si l’on est en droit de regretter quelques tempi exagérément ralentis (Habanera, Tringles et Trio des cartes), on apprécie l’ajout de plusieurs passages parlés et chantés censés lier certaines scènes les unes aux autres, et plus globalement la vision du maestro plus riche que celle, réductrice, du metteur en scène. Il y a fort à parier que dans pareil contexte scénique Gaelle Arquez ne se soit pas sentie très inspirée, elle que nous avions applaudie il y a peu sur la scène de la Bastille, envoutante, face au Don José de Michael Spyres, dans la désormais célèbre production de Calixto Bieito. Distante, peu concernée et hautaine, se réfugiant faute de proposition dans une posture et une élocution de dame de la haute, souvent ridicule, la cantatrice livre une bien décevante prestation théâtrale tout juste rehaussée par une voix souple à la diction précise, mais bien monotone. Malgré ses efforts, Frédéric Antoun ne semble pas s’épanouir lui non plus dans le personnage de Don José. Son jeu est satisfaisant mais son interprétation vocale souffre d’une voix au timbre engorgé et de sonorités dans les joues qui perturbent son émission. Elbenita Kajtazi se jette à corps perdu dans le rôle de Micaela qu’elle maitrise avec une rare générosité, à l’image de ses consœurs Alienor Feix (Mercédès) et Norma Nahoun (Frasquita). Jean-Fernand Setti manque de nuance en Escamillo, François Lis (Zuniga), Jean-Christophe Lanièce (Moralès), Matthieu Walendzik (Le Dancaïre) et Paco Garcia (Le Remendado) campant chacun dignement leurs personnages.
Une Carmen inutile.
Concernant la Carmen de l’opéra comique, l’idée de « jouer « don José n’est pas nouvelle, Tcherniakov à Aix s’en était autrement approprié ( et avec quelle réussite !) l’idée..
Bien à vous. Gérard