Andermatt Music Autumn Festival 2019

Jeudi 24 octobre 2019 :
Récital
Gabriela Montero, piano

Wolfgang Amadeus Mozart – Sonate pour piano n° 10 en ut majeur, K. 330
Ludwig van Beethoven – Piano Sonata n°21 en ut majeur op. 53, Waldstein

Johannes Brahms – Trois Intermezzos, op. 117
Gabriela Montero – Improvisations

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Vendredi 25 octobre 2019 :
Concert de musique de chambre

Wolfgang Amadeus Mozart – Quatuor pour piano n°2 in mi bémol majeur, K. 493
Gustav Mahler – Quatuor pour piano en la mineur

Johannes Brahms – Quatuor pour piano n°1 en sol mineur op. 25

Benjamin Grosvenor – Piano
Raphael Christ – Violin
Raphael Sachs – Viola
Jens Peter Maintz – Cello

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Samedi 26 octobre 2019 :
Concert Symphonique

Antonín Leopold Dvořák – Danses slaves, op. 72

Johannes Brahms – Symphonie n°2 in ré majeur, op. 73 

Chamber Orchestra of Europe
Daniel Harding – Direction musicale

Andermatt, Auditorium, Andermatt Music Autumn Festival 24, 25, 26 octobre 2019

Un nouveau festival, l’Andermatt Music Festival dans une nouvelle salle, au cœur des Alpes suisses, au cœur du massif du Saint Gothard où Rhin et Rhône prennent leur source et donc au cœur de l’Europe c’est assez excitant pour faire le voyage des cimes.
Andermatt est à l’aplomb du tunnel routier et du tunnel ferroviaire, et à la faveur d’un plan d’aménagement nouveau de la station fameuse pour ses pistes, son train des montagnes, au carrefour du Canton d’Uri fondateur de la Suisse, du canton des Grisons  canton du Tessin, avec nouveau quartier et nouveaux hôtels de luxe, c’est la culture qui a été privilégiée avec la construction d’un auditorium de 500 places environ inauguré en juin dernier par un concert des Berliner Philharmoniker.

Cette édition d’automne de trois jours du 24 au 26 février, avant une édition hivernale, établie en collaboration avec le Lucerne Festival comprenait un récital de piano de Gabriela Montero, une soirée de musique de chambre avec des quatuors pour piano de Mozart, Mahler Brahms par des musiciens du Lucerne Festival Orchestra et le pianiste Benjamin Grosvenor, et enfin un concert du Chamber Orchestra of Europe en résidence au Lucerne Festival sous la direction de Daniel Harding. 

 

Andermatt

Pourquoi Andermatt ?

C’est quand même un sacré pari de lancer un Festival de musique dans une station de sports d’hiver, avec plusieurs éditions annuelles, et celle d’automne n’est pas forcément la plus aisée à remplir à cause de la saison entre chien et loup, aux températures fantasques entre pluie et soleil, aux frontières des premières neiges sur un plateau qui en hiver n’en manque pas. On a l’exemple de Verbier, mais en été, au milieu des grands festivals, et avec une structure d’accueil développée et de multiples lieux musicaux. Mais Gstaad et Crans Montana ont suivi l’exemple et Andermatt n’est donc pas un cas unique.
C’est qu’Andermatt réfléchit à son histoire, à son rôle, à sa situation géographique au centre de la Suisse et au carrefour historique des grandes routes qui traversent l’Europe d’Est en Ouest et du Sud au Nord, au carrefour  de plusieurs langues et de deux fleuves parmi les plus importants du continent. Ce plateau, coincé entre trois cols, Gothard, Furka, Oberalp, et bouché par un canyon (Göschenen) au nord, est un endroit où très tôt s’installèrent des populations…
Et puis Goethe y séjourna, et s’y trouva bien, et s’intéressa aux traditions régionales, aux histoires, dont l’histoire pendant longtemps très locale de Guillaume Tell dont son ami Schiller s’empara en écrivant son drame Guillaume Tell, que Goethe lui-même mit en scène à la création, puis Rossini pour l'opéra que l'on sait, et qui de légende locale devint légende nationale, l’emblème d’un pays tout entier, puis par la grâce de Goethe, Schiller et Rossini un mythe international, favorisé par les luttes des nations pour leur indépendance du XIXe.
Andermatt au XIXe devint aussi une grande station de villégiature, l’une des premières, mise en valeur par la construction de la route du Gothard qui raccourcit considérablement les distances et mise au goût du jour par la naissante agence de tourisme britannique Thomas Cook (aujourd’hui en faillite) parce que la reine Victoria la fréquentait. On commença à construire de beaux hôtels de luxe, dès le XIXe, comme le Grand Hôtel Bellevue, inauguré en 1872, point de rencontre des grandes familles bourgeoises et aristocratiques de l’Europe germanique, et des familles royales ou impériales, russes ou britanniques, aujourd’hui monumental bâtiment en restauration depuis plusieurs années qui trône à l’entrée nord du village.
Mais Andermatt souffrit beaucoup de la construction du tunnel ferroviaire, alors le plus long du monde (17km) qui fit que le monde des mobilités zappa la prestigieuse station. Mais peu à peu, après avoir servi de lieu d'accueil militaire, à la faveur de l’âge du ski, Andermatt changea de profil.
Aujourd’hui, elle est aussi carrefour ferroviaire, entre ouest et est, entre la ligne ferroviaire qui lie Zermatt au pied de Cervin à St Moritz ou Davos et celle qui monte de Göschenen, où les lignes à voie étroite croisent les lignes internationales et régionales à voie normale.

L’existence du nouveau tunnel ferroviaire du Gothard qui lie Altdorf au nord et Biasca au Sud (53 km) raréfie les passages des trains internationaux à Göschenen, mais Andermatt n'est pas si loin de Zürich, le plus grand aéroport de Suisse, et s’est équipée pour l’hiver avec un très beau domaine skiable qui s’étend d’Andermatt à l’Oberalp, mais aussi de belles occasions de randonnées l’été dans un paysage il faut bien le dire, enchanteur.
Alors la station s’étoffe, restauration du Bellevue, inauguration en 2013 d’un hôtel d’hyperluxe, le Chedi, et ouverture récente au bord du Canyon nord, d’un Radisson Blu au cœur d'un quartier nouveau, Reussen, pas encore complètement achevé.
Un ensemble de projets stimulé par les financements de l’égyptien Samih Sawiris, membre de la communauté copte : déjà à la fin de l'Empire romain une légion copte venue d'Egypte défendit le christianisme qui s'installait en Suisse et y sacrifia sa vie.  Tombé amoureux du lieu, il contribua à y développer le domaine skiable, l’une des plus grands d’Europe, et son cortège d’hôtels et d’infrastructures.

Vue extérieure de l'auditorium

Et justement, le complexe abrite un auditorium de belle facture architecturale, construit par le studio britannique Seilern car les promoteurs de la station sont persuadés de l’importance d’une offre culturelle de haut niveau. C’est ainsi qu’est né l’Andermatt Music Festival, un festival en plusieurs sessions, animé par trois jeunes britanniques (reste de l’histoire du tourisme local ?), le directeur artistique, jeune chef d’orchestre, Maximilian Fane, Roger Granville pour la création et Frankie Parham pour la gestion, fondateurs du New Generation Festival à Florence (Palazzo Corsini al Prato) dont le but est de promouvoir une nouvelle génération d’artistes. Même esprit à Andermatt, mais avec le partenariat du Lucerne Festival, le grand voisin qui a inspiré la programmation très calibrée de cette première session, qui sera suivie d’une session hivernale du 15 au 18 janvier 2020, toute dédiée à Beethoven, ouverte par un concert de Daniel Barenboim.
Alors cette session d’automne proposait trois concerts à la dramaturgie différente :

  • Un récital de la pianiste vénézuélienne Gabriela Montero
  • Un concert de chambre avec des musiciens du LFO et le pianiste Benjamin Grosvenor
  • Un concert du Chamber Orchestra of Europe dirigé par Daniel Harding, qui a conclu ce premier Festival d’automne.

Auditorium, vue intérieure

L’auditorium est une salle chaleureuse de capacité moyenne, qui peut aller jusqu’à 650 places places, avec un dispositif de gradins fixes en galerie, et un dispositif de sièges mobiles au niveau de l’orchestre, qui peuvent être structurés en tribune modulable, ou autour du podium, ou devant, selon les besoins. De manière surprenante pour un auditorium, la partie supérieure est vitrée, ouvrant sur la montagne et sur les bâtiments environnants, permettant aussi au promeneur de jeter un œil sur la salle, avec de jolis jeux de reflets et au spectateur de jeter un oeil sur le soleil couchant.

Nature, culture, reflets

Pareille salle ne peut à cause de ses dimensions accueillir d’énormes formations, d’autant qu’elle doit aussi servir à des congrès et que les parties de travail (loges, salles de vestiaire pour l’orchestre) se trouvent distribuées sur deux niveaux, l’orchestre par exemple doit aux entractes croiser les spectateurs qui sortent s’égailler un peu. La salle est partiellement auditorium, partiellement salle de réunion ou de congrès. Elle est l’œuvre de Christine Seilern, du Studio d’architecture Seilern Architects.

Auditorium vu en coupe

L’acoustique est une question importante, on a pu le constater durant ces trois jours, si importante qu’elle a été confiée au prestigieux studio bruxellois, Kahle Acoustics, qui est intervenu entre autres sur le Grand Théâtre de Genève et sur la Philharmonie de Paris. Le studio était présent pendant les trois jours, pour régler les questions acoustiques posées par trois concerts au format différent. Work in progress donc.
Tout cela pour préciser le sérieux et l’importance de l’entreprise : il était donc très stimulant de voir un festival naissant, dans un espace en transformation, et dans une salle toute neuve inaugurée en juin 2019 par un concert des Berliner Philharmoniker dirigé par Constantinos Carydis.
Sans doute la vocation du festival est-elle d’offrir un cadre à des concerts proposant des artistes internationaux susceptibles d’accueillir un public nombreux, en villégiature à Andermatt ou habitant une large zone centrale allant du Tessin à Lucerne avec extension dans les Grisons : les distances en elles-mêmes ne sont pas énormes, quelques dizaines de kilomètres, mais la configuration du terrain est tout de même difficile…

En tous cas, un tel événement montre à la fois le dynamisme économique d’une station qui est en train de reconquérir une place de prestige parmi les stations suisses, peu éloignée de Zurich (l’aéroport le plus proche), de Lucerne (le lieu musical de très grand prestige mondial), et même à deux heures à peine de Milan par l'autoroute. Bon vent !

 

Du point de vue artistique et dans des genres très différents, cette session du festival fut de haut niveau, proposant à un public encore à construire (installer une nouvelle proposition artistique et enraciner un festival prend du temps), mais tout de même présent, chaleureux et compétent, des concerts vraiment de nature à attirer dans le futur un vaste public, avec un sens de l’accueil et de l’hospitalité exemplaires.

24 octobre, Gabriela Montero, piano

Jeudi 24 octobre 2019 :
Récital
Gabriela Montero, piano

Wolfgang Amadeus Mozart – Sonate pour piano n° 10 en ut majeur, K. 330
Ludwig van Beethoven – Sonate pour piano n°21 en ut majeur op. 53, Waldstein

Johannes Brahms – Trois Intermezzos, op. 117
Gabriela Montero – Improvisations

Gabriela Montero s’est faite connaître par des improvisations personnelles sur Bach et a imposé ce genre, stimulée par les encouragements de Martha Argerich et ainsi, on le verra ci-après son concert s’est conclu par des improvisations. Mais c’est d’abord une pianiste classique et elle a proposé ici avant d’improviser une sonate de Mozart, et une de Beethoven et l’op.117 de Brahms.
La sonate pour piano n°10 de Mozart K 330 a été composée en 1783, alors que Mozart a 27 ans. C’est l’une des plus populaires.

Gabriela Montero, piano

Le piano de Gabriela Montero est souvent plein de feu et particulièrement virtuose, voire un peu trop « marqué » mais il apparaît ici dans la sonate de Mozart plutôt naturel, sans effets inutiles, sans même user trop de la pédale. Il est vrai que la salle aux dimensions réduites, le public distribué autour du podium permet d’éviter une trop grande réverbération ; la fluidité du piano de Gabriela Montero frappe, sans recherche d’effets (dans ce Mozart en particulier). Au départ, dans l’allegro moderato, le toucher est délicat, fluide, sans maniérismes, le deuxième mouvement, andante cantabile, est en soi un chef d’œuvre de délicatesse mais aussi de mélancolie, voire de tristesse. Gabriela Montero n’est pas ici une interprète des méandres de la psychè ou une interprète métaphysique : elle garde dans son discours une singulière simplicité, avec une certaine respiration soignant la couleur, avec des moments de suspens particulièrement bienvenus.
Le dernier mouvement allegretto, marque une libération moins littérale et plus imaginative avec une virtuosité virevoltante, mais sans effets de surjeu, rempli de passages au rythme rapide qui sollicite particulièrement la main droite. Montero, qui joue souvent ce programme le domine complètement et ce dernier mouvement très joyeux, voire primesautier, de forme sonate comme le premier auquel il se réfère d’ailleurs, et Montero fait montre d’une maîtrise technique impressionnante tout en restant d’une rare simplicité d’exécution.

Elle couple souvent cette sonate de Mozart avec la fameuse sonate Waldstein de Beethoven, beaucoup plus démonstrative où Beethoven qui venait de recevoir un nouveau piano Erard s’essayait à des abimes ou des extrêmes nouveaux. Le début du premier mouvement allegro con brio est à ce titre singulier, et Gabriela Montero s’y montre tout aussi concentrée que dans Mozart, mais peut-être donne plus de relief en rendant son interprétation particulièrement (un peu trop ?) spectaculaire, avec des crescendo ahurissants, dans un univers sonore complètement neuf, alors que deux décennies séparent l’œuvre de Mozart et celle de Beethoven :  le toucher est plus marqué, les envolées plus rapides, les ruptures plus heurtées et plus marquées, une rapidité extrême se heurtant à des ralentissements, avec des jeux subtils sur les volumes, dans une salle où la musique est très proche – le spectateur est presque dedans, et c’est même un tantinet fort.
Contraste avec le mouvement lent à la touche légère, plus mélancolique, mais toujours joué avec une virtuosité extrême, le jeu est affirmé, le crescendo de volume marqué on va vers le forte et le troisième mouvement d’une manière sensible et scandée, que Beethoven a réécrit pour en faire une sorte d’introduction au troisième mouvement qui s’enchaîne . C’est donc un chemin qui s’ouvre sur un court mouvement lent (28 mesures). Le final somptueux, rythmé, coloré, là aussi un peu fort (est-ce l’acoustique ?) clôt cette partie du concert par un réel succès du public.

Le concert reprend par une autre pièce favorite de Gabriela Montero, les Trois intermezzi op 117 de Brahms, une pièce écrite en 1892, cinq ans avant sa mort, et donc considérée comme des pièces de la vieillesse, mais Brahms né en 1833 n’a en réalité que 59 ans…
Ce sont des pièces mélancoliques, très introverties, que l’on appelait « berceuses de ma douleur ». C’est peut-être ici que le piano de Gabriela Montero est le plus senti, le plus sensible, le plus personnel même. On y retrouve la simplicité du Mozart initial, ce jeu presque ascétique. Le premier intermezzo est précédé de deux vers d’une berceuse écossaise citée par Herder dans ses Stimmen der Völker in Liedern :
Balow, my babe, lie still and sleep !
It grieves me sore to see thee weep.

Gabriela Montero travaille ici dans l’évocation, plutôt délicate, avec un toucher léger et une belle fluidité naturelle, et elle essaie de transmettre une charge émotionnelle particulière qui transpire plus sans doute que dans la première partie. Il y a évidemment une connivence entre cette œuvre qu’elle joue très souvent et sa personnalité. Sans doute le meilleur moment de la soirée, qui se termine comme toujours par une séance d’improvisation.

Gabriela Montero avant ses improvisations

S’adressant au public, elle lui demande de lui suggérer des musiques connues (musiques de film, hits de la musique classique) : elle reproduit la mélodie au clavier, le public approuve ou suggère une modification, et elle se lance dans un exercice impressionnant de style thème et variations, qui créé avec le public toujours un peu compassé du classique un rapport plus vécu, plus direct . S’inspirant de jeux d’improvisation de salon au temps de Mozart et Beethoven, et donc inscrivant sa démarche dans une histoire de la musique classique au temps où elle était la musique tout simplement, elle crée une ambiance particulière et une véritable osmose entre le public, qui a même entonné un chant suisse (Vo Luzern Uf Weggis Zue) pour lui indiquer la mélodie, démontrant ainsi que ce public était très local. Et évidemment, la soirée se terminer dans la joie et le triomphe.

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25 octobre, musique de chambre, Raphael Christ (violon), Banjamin Grosvenor (piano), Jens Peter Maintz (violoncelle), Raphael Sachs (alto)

Vendredi 25 octobre 2019 :

Concert de musique de chambre

Wolfgang Amadeus Mozart – Quatuor pour piano n°2 in mi bémol majeur, K. 493
Gustav Mahler – Quatuor pour piano en la mineur–
Johannes Brahms – Quatuor pour piano n°1 en sol mineur op. 25

Benjamin Grosvenor – Piano
Raphael Christ – Violin
Raphael Sachs – Viola
Jens Peter Maintz – Cello

 

Deuxième format, le concert de musique de chambre, avec une soirée dédiée à trois quatuors pour piano, parmi les pièces les plus célèbres.
Pour les interpréter, le jeune pianiste très doué Benjamin Grosvenor et trois musiciens du LFO qui sont des références, le premier violon Raphael Christ, le premier violoncelle solo Jens Peter Maintz, et l’alto Raphael Sachs. Des musiciens qui ont l’habitude de jouer ensemble. On se souvient d’un des credos du Lucerne Festival Orchestra d’Abbado était de proposer des concerts de musique de chambre à côté des concerts symphoniques pour que les musiciens créent l’habitude de faire de la musique ensemble (« Zusammenmusizieren »).

Raphael Christ (violon), Jens Peter Maintz (violoncelle), Banjamin Grosvenor (piano), , Raphael Sachs (alto)

Ce qui frappe c’est à la fois la cohésion de l’ensemble et notamment un piano jamais vedette mais part du groupe, non pas discret, bien présent au contraire, mais à sa juste place. L’extrême qualité de chacun, au premier rang desquels le violon extraordinaire de Raphael Christ, violoniste d’exception et évidemment enfant de la balle puis qu’il est le fils des Altistes Wolfram et Tania Christ, ex-Berliner Philharmoniker et membres du LFO depuis les origines. Raphael Christ est actuellement violon solo au Bochumer Symphoniker, tandis que le merveilleux violoncelliste Jens Peter Maintz, ex-violoncelle solo du Deutsche Symphonie Orchester Berlin et actuellement professeur de violoncelle à l’Universität der Künste Berlin, est depuis 2006, premier violoncelle solo du Lucerne Festival Orchestra. C’est une des grandes références du violoncelle en Allemagne.
Raphael Sachs formé à Bâle et à Freiburg auprès de Wolfram Christ, titulaire d’une bourse Karajan au Berliner Philharmoniker où il a été aussi élève de Wilfried Strehle, ex alto solo des Berliner Philharmoniker, est second alto solo au SWR Symphonieorchester (actuellement dirigé par Teodor Currentzis) et membre du LFO depuis 2006.

Benjamin Grosvenor, né en 1992, est l’un des jeunes pianistes les plus en vue du marché classique aujourd’hui, dont les enregistrements ont été plusieurs fois primés d’un Diapason d’Or ou d’un Gramophone Award. Le Times a dit de lui « le jeune pianiste le plus ensorcelant apparu en Grande-Bretagne ces dernières décennies. »
C’est donc quatre musiciens exceptionnels qui ont été réunis ce soir pour l’exécution de ces trois quatuors, dont le très rare quatuor de Mahler, le quatuor avec piano étant une forme moins développée que d’autres.

Le Quatuor pour piano n°2 in mi bémol majeur, K. 493 est l’un des deux quatuors écrits par Mozart, composé en 1786, l’année des Nozze di Figaro qui est l’œuvre qui le précède au catalogue (K.492) . Il fut composé exactement un an après le quatuor n°1 (K.478), trouvé trop difficile paraît-il (ce n’est pas attesté) si bien que Mozart fut libéré de son contrat (il lui en avait été commandé trois), et que Mozart le fit publier par Artaria en 1787. Il se différencie du premier par une atmosphère harmonieuse et plutôt apaisée. En trois mouvements, Allegro (en mi bémol majeur), larghetto (en la bémol majeur) allegretto (en mi bémol majeur).
Notons d’abord la délicatesse de l’approche de Grosvenor et l’extrême osmose sonore entre les cordes et le piano, notamment dans le larghetto, d’une rare délicatesse (l’allegro initial plus énergique) : un de ces moments suspendus avec un violoncelle d’une présence à la fois nette et presque évanescente, tandis que le violon de Christ est un peu plus incisif. Ce qui frappe c’est la perfection des interactions avec le piano et la fluidité des enchainements, notamment dans les derniers moments du larghetto particulièrement mélancoliques, précédant le rondo final initié par Grosvenor avec une simplicité évacuant tout effet et particulièrement délicat. Le troisième mouvement allegretto est plus vif, alternant moments de tranquillité et de joie avec quelques moments un peu plus sombre, donnant une couleur légèrement plus dramatique parfaitement mis en scène ici par l’ensemble, qui ont su créer un univers fait de lumière et de joie simple ombré par quelques nuages : une sérénité maîtrisée et consciente des nuages. Absolument magnifique, l’exécution de ce quatuor installe les quatre musiciens dans la perfection du « faire de la musique ensemble ».
Beaucoup plus rare, et même singulier, le Quatuor pour piano en la mineur de Mahler, une œuvre de Mahler en mouvement continu sans doute inachevée, sa seule tentative chambriste sans la voix soliste, composée sans doute autour de 1876 et redécouverte au début des années soixante et jouée pour la première fois à l’ère moderne en 1964. C’est donc de l’œuvre d’un tout jeune élève en formation qu’il s’agit, influencée par Brahms, et en même temps singulière par une atmosphère tendue exécutée avec un rare engagement par les quatre solistes, dont trois sont des familiers de l’univers mahlérien qu’ils fréquentent assidument au LFO, aussi bien avec Claudio Abbado que Riccardo Chailly avec cette fois-ci une note particulière pour le violoncelle de Jens Peter Maintz.

Le quatuor pour piano n°1 en sol mineur op.25 de Brahms est au contraire une œuvre de référence de Brahms, notamment pour son mouvement final « rondo alla zingarese », si connu qu’il a même été orchestré par Schönberg en 1938. C’est une œuvre évidemment adaptée pour être le morceau final d’un concert. Le premier mouvement initié par le piano très fluide et sans effet de Benjamin Grosvenor, décidément splendide par la simplicité d’exécution, suivi des autres instruments dans une même couleur sans effets de soulignement, mais bientôt évoluant vers quelque chose de plus articulé, plus dansant, plein de relief et d’énergie, de sève et de jeunesse. Merveilleux moment qui produit une indicible poésie, développée par un second mouvement noté intermezzo presque délicat en forme de scherzo, avec notamment un dialogue piano et violoncelle à la fois rythmé et fluide, avec un violoncelle somptueux en sourdine. Une dialectique énergie-apaisement en surgit, où il faut noter le piano encore discret et particulièrement délié de Grosvenor, et une construction presque dramatique et contrastée de l’ensemble.
Le troisième mouvement, andante, est le mouvement le plus lent de l’œuvre, avec un lyrisme marqué (beaux moments au violon de Raphael Christ et magnifique piano, si suave, si léger, si naturel de Benjamin Grosvenor) qui contraste par son lyrisme au dernier mouvement, particulièrement virtuose, très rapide, d’une très grande difficulté d’exécution duquel le quatuor (et notamment le violon de Raphael Christ) se sort avec un engagement et une stupéfiante maîtrise instrumentale, avec outre le violon, le piano est phénoménal. Ce mouvement, l’un des plus difficiles de Brahms est aussi l’un des plus spectaculaires, ce qui fait sans doute de l’ensemble de la soirée  le sommet musical de ces trois jours.

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26 octobre : Daniel Harding à la tête du Chamber Orchestra of Europe

Samedi 26 octobre 2019 :
Concert Symphonique 

Antonín Leopold Dvořák – Danses slaves, op. 72

Johannes Brahms – Symphonie n°2 in ré majeur, op. 73 

Chamber Orchestra of Europe
Daniel Harding – Direction musicale

Fin de ces trois jours de musique exceptionnels, le concert du Chamber Orchestra of Europe dirigé par Daniel Harding. Le COE-Chamber Orchestra of Europe, fondé en 1981 avec l’aide et le soutien de Claudio Abbado est l’une des phalanges les plus prestigieuses d’Europe, en résidence depuis plusieurs années au Lucerne Festival où Bernard Haitink l’a régulièrement dirigée. C’est dire l’excellence de cette formation.

Daniel Harding, lui aussi soutenu dès ses premiers pas par Claudio Abbado, est aussi l’un des chefs majeurs de sa génération, il vient de laisser l’Orchestre de Paris sans prolonger son contrat, pour se consacrer à partir du printemps 2020 à sa seconde passion, le pilotage.
Le programme choisi comprend une pièce plutôt spectaculaire, les danses slaves de Dvořák, et un des piliers du répertoire symphonique, la symphonie n°2 de Brahms.
C’est peut-être dans ce concert que l’auditorium montre ses limites. Elle peut en théorie accueillir un orchestre de 75 musiciens ; ceux du COE sont une soixantaine et déjà le son apparaît fort, un peu saturé, surtout dans un programme comme les danses de Dvořák données en première partie.
La salle convient sans doute beaucoup mieux à des formations ne dépassant pas une quarantaine de musiciens dans des programmes plutôt choisis (Mozart ? Haydn ? éventuellement quelques symphonies de Beethoven – les premières ?-). Elle ne sera pas sans doute adaptée à de gros programmes symphoniques. Et ce concert au programme pourtant alléchant constituait une limite.
Un son fort, et une énergie à revendre ne facilitaient pas le confort de l’auditeur. Certes, l’orchestre est comme toujours une formation exemplaire par la cohésion et la perfection technique, et Harding un chef aux tempi rapides, aux contrastes vifs, dans une interprétation contrastée, manquant peut-être dans Dvořák d’un peu de subtilité ou de moments un peu plus lyriques, mais c'est le genre qui veut aussi ça et ces danses furent néanmoins très stimulantes à écouter.
La Symphonie n°2 de Brahms a été là aussi objet d’une exécution formellement sans scories, techniquement accomplie (le début est stupéfiant). C’est du côté de l’interprétation qu’on pourrait un peu discuter. Certes, la question du volume sonore pouvait être un obstacle à une expression plus modulée, plus limpide et lisible. Mais Harding, malgré un début très prometteur qui faisait respirer la partition, dirige un Brahms un peu superficiel et rigide, manquant quelque peu de souplesse au fur et à mesure qu’on avance dans l’œuvre. C’était impeccable formellement mais il manquait un discours, une profondeur, pour tout dire une émotion. Il faut lui reconnaître un soin tout particulier à rendre la partition limpide, même si c’est un peu irrégulier. Ce fut une interprétation très digne, mais les problèmes acoustiques conjugués à l’approche du chef ne favorisaient peut-être pas une écoute complètement disponible. Il faut tout de même saluer les bois magnifiques de l’orchestre et certains cuivres (les cors !) que Harding a su mettre en valeur.

Daniel Harding

Au total, ce furent trois jours où dans l’ensemble, l’excellence était au rendez-vous des cimes, et qui constituent une véritable promesse pour ce jeune festival. Il faudra sans doute être attentif à des programmes convenant à une salle encore acoustiquement instable (l’équipe était là, en permanence à l’affût des résultats sonores), et qui ne seront pas forcément les plus populaires…Mais c’est un défi auquel la jeune et dynamique équipe aux commandes peut sans doute répondre. Good Luck !

 

 

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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