Berlioz est chargé par le ministre de l'Intérieur lui-même de composer ce qui sera la Grande Messe des morts en mars 1837. En effet, à cette époque, malgré ses nombreux ennemis et détracteurs, il est consacré « compositeur institutionnel ». Cette œuvre de musique sacrée sur le texte latin du Requiem, non liturgique mais commémorative, était à l'origine destinée à une importante cérémonie officielle d'hommage aux victimes de la révolution de juillet 1830 et d'un attentat terroriste ultérieur. Elle devrait donc être exécutée avant la fin du mois de juillet. Le musicien – qui se contentait de quatre mille francs à condition d'avoir quatre cent cinquante interprètes – se lance tête baissée dans l'œuvre et avance rapidement. Mais à l'approche de la cérémonie, le gouvernement recule, inquiet de l'anxiété sociale généralisée, devant laquelle il ne serait pas prudent de commémorer une révolution, et annule l'événement. Et dans les mains de Berlioz reste l'imposante partition, figée par son propre gigantisme : la remettre en marche nécessiterait une lourde dépense, une église monumentale, et surtout un mort important. Cependant, le destin assiste le musicien, qui amène bientôt un « grand mort ». Quelques mois plus tard en effet, lors de la guerre de conquête coloniale algérienne, le commandant de l'expédition, le maréchal Damrémont, tombe sous les murs de Constantine à la mi-octobre et l'armée française perd cinq cents hommes. En l'honneur des morts, le gouvernement promeut une pompeuse célébration funèbre dans l'église des Invalides, fixée au 5 décembre 1837, avec l'exécution de la Grande Messe des morts. En présence de Tout-Paris, le succès est triomphal.
Cette exécution de Santa Cecilia suggère quelques réflexions : sur la partition elle-même, et sur la pensée musicale d'Hector Berlioz. Compte tenu de la mobilisation d'un nombre immense de participants et des goûts du compositeur, on aurait pu s'attendre à ce qu'un tsunami acoustique, une avalanche de musique visant à plonger le spectateur dans un océan de sons, le plonge dans une dimension surtout grandiloquente. Cela se produit, oui, dans certains épisodes dramatiquement débordants comme le Dies irae – surtout dans le Tuba mirum, avec quatre groupes de cuivres situés dans les quatre points cardinaux – et le Rex tremendae, le Lacrimosa, avec des résultats mémorables de tension apocalyptique. Mais le flux de l'écriture est surtout marqué par des passages délicats, pleins de tendresse et de douceur, parfois murmurés. Et l'on se rend compte que l'imposante masse des exécutants se désagrège peu à peu pour dessiner une articulation étonnante d'émotions, dans un kaléidoscope de couleurs qui semble magistral. Un très beau contrepoint émerge dans l'utilisation calibrée des parties instrumentale et chorale. Parfois, la combinaison de timbres extrêmes dans l'orchestre est inhabituelle : par exemple, dans un passage, seuls violons et contrebasses chantent ensemble, dans un effet de délicatesse nuancée. En effet, c'est la poésie, c'est la méditation qui sont au cœur de cette immense fresque.
Loin de la recherche de la théâtralité, qui nécessiterait une série de pages vocales solistes, neuf épisodes sur dix de la Grande Messe des morts sont choraux. On peut donc se demander : mais était-il vraiment nécessaire d'avoir des masses aussi conséquentes, pour ensuite dessiner, à part quelques épisodes, une atmosphère contenue, palpitante et brûlante ? Oui, parce que Berlioz, par l'utilisation des grands moyens dont il a besoin, n'a pas du tout l'intention d'obtenir un impact sonore massif. Au contraire, le compositeur disjoint principalement les ressources en jeu afin de distribuer le son dans l'espace. Et dans cette décomposition de la masse des exécutants, en différents regroupements, s'affirme l'extraordinaire modernité de la pensée musicale de Berlioz. Pour ceux d'entre nous qui regardent plus d'un siècle et demi en arrière, il nous rappelle l'une des ressources les plus intéressantes de la musique électronique actuelle : la spatialisation du son. En effet, les particularités expressives qui ressortent de l'écoute de la Grande Messe des morts sont précisément la polychromie iridescente et sa répartition dans l'espace, le tout dans une dimension temporelle chimérique et onirique. C'est la vision créative du génie qui introduit dans la musique la ressource de la perspective. À Santa Cecilia, l'identification d'Antonio Pappano, et de son plaisir gourmand du son, avec l'univers de Berlioz et de sa grande page, fut sensationnelle. En fait, il a pesé chaque repli de la partition monumentale avec l'attention d'un moine, tenant consciemment toute la carte du parcours dans sa main. C'est ainsi que Pappano, qui n'a pas perdu le contrôle un seul instant dans les étapes les plus frappantes, a souligné la délicatesse palpitante des nombreux détails et les moments les plus intimes. Un exemple lumineux est celui de Quaerens me, avec le chœur a cappella qui peint à un rythme onirique la raréfaction expressive de ce passage éthéré.
Ou même la seule page qui prévoit un soliste, le Sanctus, confié au ténor mexicain Javier Camarena, capable avec sa voix transparente, mais bien timbrée, de rendre toute la douceur angélique d'une atmosphère extatique, qui serait presque une atmosphère Renaissance. Et le public a récompensé l'effort collectif exceptionnel en saluant tous les groupes d'interprètes – locaux et invités, le ténor, le chef d'orchestre – d'une longue et chaleureuse ovation.