Walter Braunfels
Les Oiseaux

Thierry EscaichL’Avant-Scène Opéra, n° 325, novembre 2021.
Extraits audio avec l'appli ASOpera
ISBN : 978–2‑84385–383‑8, 112 pages, 28 euros,

L'œuvre

- Chantal Cazaux
– Hélène Cao
– Walter Braunfels (Livret)
– Traduction du livret (Laurent Cantagrel)

Regards sur l’œuvre

- Pascal Thiercy
- Pascal Huynh
– James Conlon
– André Lischke

Écouter voir et lire

- Jean-Charles Hoffélé
– Jules Cavalié
– Chantal Cazaux

Actualités
Les Festivals de l'été
CD-DVD-Livres

 

Parution du n°325 de l'Avant-Scène Opéra, novembre-décembre 2021, consacré à "Les Oiseaux" de Walter Braunfels

Les Oiseaux de Walter Braunfels vont enfin poser leurs pattes sur la scène d'une maison d'opéra française, plus d'un siècle après la création de l'œuvre à Munich en 1920, et trente ans après la renaissance de cette partition longtemps oubliée. Ce sera à Strasbourg en janvier prochain. L'Avant-Scène Opéra ouvre ses portes à cette séduisante partition post-romantique qui combine humour, gazouillis et Sehnsucht.

En 1997, la parution d’une intégrale de l’opéra Les Oiseaux chez Decca avait permis l’une des plus belles découvertes de la série « Entartete Musik ». Si le compositeur Walter Braunfels (1882–1954) avait sa place dans cette série, ce n’était ni à cause d’une mort tragique dans un camp de concentration – contrairement à ses cadets Viktor Ullmann ou Erwin Schulhoff – ni à cause du caractère trop audacieux de sa musique – contrairement à Ernst Krenek – mais simplement parce que le régime nazi s’en était pris à ce fils de Juif converti au protestantisme et lui-même converti au catholicisme. L’exclusion dont Braunfels avait fait l’objet était pourtant intervenue seulement après que Hitler lui avait proposé d’écrire un hymne au parti national-socialiste… Après la Seconde Guerre mondiale, Braunfels retrouva les honneurs dont il avait été dépouillé et ses œuvres furent à nouveau jouées, ce qui permit notamment la création de son opéra Heilige Johanna en 1948. En cette même année, on put même entendre Les Oiseaux en concert grâce à la Frankfurter Rundfunk.

Puis commença le long sommeil. Le compositeur décédé, son esthétique déjà réfractaire à l’avant-garde des années 1920, parut définitivement passée de mode, et plus personne ou presque ne se soucia de la musique de Walter Braunfels. On en vient même à se demander pourquoi diable le Badisches Staatstheater de Karlsruhe tenta en 1971 une reprise destinée à rester sans lendemain (même si d’excellentes photos du spectacle ont été conservées, avec leurs décors et costumes signés Pet Halmen). Mais depuis trente ans, c’est l’explosion, et pas seulement dans les  théâtres de villes moyennes du monde germanophone : production Yannis Kokkos au Grand Théâtre de Genève en 2004, à Cagliari en 2007, à Los Angeles en 2009. Si Berlin n’a présenté l’œuvre qu’au Konzerthaus, la Staatsoper de Munich en a enfin proposé une production en 2020, et en janvier prochain, Strasbourg s’apprête à donner Les Oiseaux en création française. Ainsi s’explique l’inscription de ce titre à L’Avant-Scène Opéra, qui lui consacre son numéro 325, sorti en ce mois de novembre.

Un des premiers constats que permet ce volume, c’est la redoutable maigreur de la disco-vidéographie. Qui dit opéra « moderne » dit souvent références peu nombreuses, mais Les Oiseaux ayant été créé en 1920, on aurait pu s’attendre au moins à quelques live captés ici et là. Pas du tout : une seule version en CD – l’enregistrement de studio de 1996, évoqué plus haut, qui fait autorité, ceci expliquant peut-être cela – et une seule en DVD, qu’il vaut mieux écouter plutôt que regarder, pour la direction de James Conlon surtout. Cela pourrait changer, puisque la production munichoise de 2020, signée Frank Castorf, à défaut d’avoir pu être présentée au public, a du moins été diffusée en streaming : il serait souhaitable qu’un label exploite commercialement cette captation pour qu’à la splendeur du son Decca réponde une image aussi ambitieuse.

L’essentiel de ce nouveau numéro ASO est bien sûr son « Introduction et guide d’écoute », qui a été confié à Hélène Cao, déjà sollicitée pour plusieurs opéras du XXe siècle. La musicologue souligne le côté « marqueterie » de cette partition qu’elle compare à une « mosaïque chatoyante » ; en dehors de quelques grands ariosos, comme ceux du Rossignol ou de Prométhée, l’opéra se compose d’un enchaînement de scènes brèves, plusieurs brefs motifs récurrents contribuant à la sensation d’unité musicale. Musique tonale, certes, mais au « langage harmonique aussi irisé que l’orchestration », dont les changements de tonalité créent la surprise et relancent sans cesse l’intérêt. Braunfels se place sous l’égide de deux maîtres : Mozart, avec un couple de héros qui évoquent le tandem Tamino-Papageno, même si le baryton est plutôt basse et correspondrait davantage à un Osmin gentil ; Wagner, avec Die Meistersinger von Nürnberg comme modèle de la conversation comique en musique.

Pascal Huynh retrace utilement la trajectoire de Braunfels, qu’on peut rapprocher de celle d’un Hindemith, devenu néoclassique tout comme le compositeur des Oiseaux fut néoromantique. Grand défenseur de Zemlinsky, James Conlon ne cache pas son admiration pour Braunfels. Dans un texte initialement destiné à la revue britannique Opera en 2009, l’ex-directeur musical de l’Opéra de Paris insiste sur le caractère (post-)romantique de la partition de Braunfels, écrite pour les deux tiers avant que n’éclate la Première Guerre mondiale. Bien que l’opéra ait été créé après la fin du conflit, il serait donc plus juste, historiquement parlant, de mettre Les Oiseaux sur le même plan qu’Ariane à Naxos, le Rossignol s’exprimant avec les mêmes coloratures que Zerbinette et le sujet venant aussi de l’antiquité grecque.

La pièce dont s’inspire l’opéra, ici analysée par Pascal Thiercy, qui a dirigé pour Gallimard le volume Pléiade dévolu au Théâtre complet d’Aristophane, n’est pourtant qu’un point de départ dont Braunfels n’a pas hésité à s’affranchir. La donnée initiale est la même – deux humains visitent le monde des volatiles – mais le compositeur a apporté un nombre considérable de modifications qui infléchissent le sens de l’œuvre. Se dispensant des allusions satiriques à la vie politique du monde grec, l’opéra introduit des éléments absents du texte d’Aristophane, principalement en accordant un rôle essentiel au personnage (muet dans la pièce) du Rossignol, ou plutôt de « la Rossignole » : comme s’en explique Laurent Cantagrel, responsable de la traduction du livret, la féminité de ce personnage est une dimension cruciale dans sa relation avec le héros Hoffegut. Et la Rossignole est aussi l’un des vecteurs de cette intraduisible Sehnsucht typiquement germanique qu’exprimera également le héros dans le monologue qui conclut Les Oiseaux.

André Lischke propose enfin un intéressant « survol » – son article est plus que cela, mais comment résister au plaisir d’employer ce terme à propos des différents oiseaux que l’on entend à l’opéra, de Wagner à Janáček ? Tout en renvoyant à l’ouvrage exhaustif de Jean-François Lattarico Le Chant des bêtes, l’auteur y convoque l’Oiseau de Siegfried, l’un des premiers à véritablement parler sur une scène lyrique et propose ensuite un passage par l’opéra russe et surtout par Le Coq d’or. Il est aussi question du Ravel de L’Enfant et les sortilèges, mais on aurait pu imaginer un détour par les Gurre-Lieder de Schoenberg avec leur héroïne métamorphosée en colombe, Tove/Taube. La Petite Renarde rusée est plus à poils qu’à plumes, mais mérite son inclusion dans cet article en tant que « biographie animalière ».

 

Avatar photo
Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici