Le moins qu’on puisse dire, c’est que pour son premier enregistrement en soliste Regula Mühlemann n’a pas choisi la facilité : les récitals consacrés à Mozart sont légion, la concurrence est rude et de haut niveau. Mais la jeune soprano lucernoise, qui incarnait une délicieuse Papagena dans la production de Die Zauberflöte donnée en 2014 à l’Opéra Bastille sous la direction de Philippe Jordan, possède de solides atouts. La voix, projetée avec facilité, est légère, certes, mais en rien évanescente, le timbre est ravissant, frais, clair, lumineux, la technique suffisamment assurée pour négocier avec souplesse les phrases les plus longues ou se lancer dans de redoutables vocalises – encore un rien mécaniques, pourtant, sont celles du premier mouvement de l’Esultate, jubilate- , l’aigu est insolent, un peu dur parfois dans son extrémité. Une ombre au tableau : la faiblesse du registre grave, évidente dans ce même Esultate écrit pour le castrat Venanzio Rauzzini, et dans les écarts crucifiants de « Vorrei spiegarvi ».
On se doit de saluer la pertinence d’un programme partagé entre airs de concert et extraits d’opéras, et qui ose sortir du tout venant, et ce dès le début : « Schon lacht der holde Frühling » est, en effet, un cas particulier puisque destiné à Josepha Hofer, belle-sœur du compositeur et première Königin der Nacht de Die Zauberflöte, pour être inséré dans une représentation du Barbiere di Siviglia de Giovanni Paisiello qui n’eut pas lieu. Une page qui, de toute évidence, est faite pour que la cantatrice montre toutes les facettes de son art et de ses possibilités expressives. La Blonde de Die Entfühung est piquante et mutine, la Sandrina, fausse jardinière, se métamorphose avec tendresse en tourterelle attendant son mâle, Madame Herz, l’une des deux cantatrices rivales du Schauspieldirektor, personnifie en un charmant second degré une héroïne en proie aux affres de la séparation, et la douceur de Servilia dans La Clemenza di Tito, qui s’épanche en un air d’une chaste pureté, contraste avec le trouble et l’agitation auxquels est en proie la Celia de Lucio Silla. On sent encore, chez la jeune musicienne, un brin de timidité, mais ce soin de la ligne vocale et de la justesse du sentiment si précieux dans ce répertoire est indéniable, et d’autant plus louable que l’interprète, dans chaque partition de Mozart, est particulièrement exposé.
A la tête de l’Orchestre de chambre de Bâle, formation sur instruments modernes qui ne manque ni d’homogénéité ni de vigueur, Umberto Benedetti Michelangeli se montre un accompagnateur attentif, accusant une certaine raideur dans les passages les plus vifs mais laissant le lyrisme s’épanouir avec naturel.
Regula Mühlemann possède l’étoffe d’une vraie mozartienne. Nul doute que les mélomanes observeront avec intérêt sa Servilia de La Clemenza en juillet prochain à Baden Baden, sous la baguette de Yannick Nézet-Seguin. Ce premier disque les aidera à patienter.