Blanche-Neige, histoire d’un prince

Texte : Marie Dilasser
Mise en scène : Michel Raskine

Avec Marief Guittier, Tibor Ockenfels, Alexandre Bazan
Décor : Stéphanie Mathieu
Costumes : Michel Raskine
Lumières et régie générale : Julien Louisgrand
Régie lumières : Pascal Nougier
Objets mécaniques : Olivier Sion
Collaboration artistique : Claire Dancoisne
Photos : Venkat Damara

Production : Rask!ne & Compagnie

Coproduction : Festival d’Avignon,  Le Bateau Feu / Scène nationale Dunkerque, La Maison / Nevers, scène conventionnée arts en territoire en préfiguration, Théâtre du Vellein / Communauté d’Agglomération Porte de l’Isère, Théâtre Molière-Sète / Scène nationale archipel de Thau

Avec l’aide du Théâtre de la Licorne, Dunkerque dans le cadre d’une résidence de création

Blanche-Neige, histoire d’un Prince de Marie Dilasser est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs

Création au 73ème Festival d’Avignon – Chapelle des Pénitents Blancs du 6 au 12 juillet 2019 au Festival d’Avignon

Festival d'Avignon, Chapelle des Pénitents Blancs, 6 juillet 2019

Le conte est un genre qui porte en soi les germes d’une dramaturgie évidente. Aussi, on a vu avec l’expansion des répertoires pour la jeunesse, de nombreux écrivains de théâtre utiliser ses ressorts merveilleux pour leur propre création quand ils n’ont pas travaillé à l’adaptation des plus connus. De Jean-Claude Grumberg à Joël Pommerat, de Catherine Anne à Olivier Py qui s’est penché sur le répertoire des frères Grimm avec beaucoup de finesse, les dramaturges ont formidablement enrichi les écritures théâtrales à destination des jeunes publics notamment en prenant appui sur les contes. C’est d’ailleurs au célèbre Blanche-Neige que Marie Dilasser propose une suite pour le moins inattendue. Commandé par Michel Raskine qui met en scène ici son premier spectacle « pour enfants » – mais pas seulement, cette histoire d’un prince vient d’être créée au Festival d’Avignon. Dans la continuité des différents portraits proposés dans plusieurs de ses précédentes créations, toujours en compagnie de Marief Guittier, le metteur en scène « réinterroge la cruauté des contes de Grimm ». Wanderer se trouvait le samedi 6 juillet à la Chapelle des Pénitents Blancs pour assister à la représentation.

Blanche-Neige (Tibor Ockenfels) dans le décor-castelet utilisé dans le spectacle

Alors qu’on pénètre dans la Chapelle, l’attention est immédiatement attirée par le dispositif enveloppé de mystère qui emplit l’espace scénique. Un grand rideau noir barre en effet la vue sur le plateau, entre les ogives de la chapelle. Contre l’un des piliers bordant le plateau à jardin, on remarque pourtant un fauteuil de cinéma, derrière lequel on devine des guindes arrimant sans doute quelque portant de décor dissimulé à nos yeux pour l’instant. Un son retentit. Noir. Celui dont « personne ne sait rien finalement » et qui sera au cœur de l’histoire cette fois, entre. Le Prince. Et quel Prince ! Sous les traits de la comédienne Marief Guittier dans un costume argenté, visage blanc, les yeux cernés de rouge comme une allusion possible à May B ou à un cinéma expressionniste colorisé – ce sera d’ailleurs le visage de chacun des personnages – il avance, fusil en main et vise le public, avant de débuter son prologue. La didascalie initiale présente une situation proche d’une fin des temps  – comme une allusion aux alarmes qui retentissent à travers notre propre monde aujourd’hui. Il n’y a plus rien à chasser, « plus rien à excaver ni à couper », les Nains n’ont plus de travail, les temps s’assombrissent – il n’y a « plus de bals ni de banquets » – et parce qu’on ne fabrique plus d’armes « le Prince perdit alors bataille sur bataille » et se retrouve désormais dans « un petit royaume sans joie et sans gibier, veiné de rivière desséchées ». Triste tableau dont on se demande s’il renvoie à un passé lointain ou plutôt à un futur proche.

Blanche-Neige (Tibor Ockenfels) et le Prince (Marief Guittier) © Venkat Damara

Dans son prologue, le Prince fait un constat amer. « La fin de mon histoire commence mal ». Car nous sommes bien dans un après. Celui qui suit la fin de l’histoire de Blanche-Neige. Après le baiser salvateur. Après les noces marquant la fin heureuse de l’histoire. Devant une catastrophe, au moins écologique. À l’approche d’une forme d’apocalypse – les soubassements du conte restent toujours graves. Et le Prince ? « Pourquoi pas une petite femme » ; Blanche-Neige ? « Pourquoi pas un grand homme ». L’auteure confirme que les deux personnages « seront donc dégenrés ». Ainsi, Marief Guittier incarne à la perfection un Prince vieillissant, accablé, au crépuscule de son existence, à la voix formidablement rocailleuse, comme une réminiscence des terreurs sonores de l’enfance. Un ogre frêle et vacillant qui aurait gardé sa capacité à effrayer. Bien loin de la figure idyllique du Prince ! Face à lui, lorsque le rideau noir tombe, apparaît sa Blanche-Neige – épatant Tibor Ockenfels tout en longueur et en androgynie – il finira torse nu, masculin/féminin confondu –  portant serre-tête rouge et perruque au carré, noire comme de l’ébène. L’épouse du Prince dort dans un lit vertical face au public à qui le théâtre se rappelle toujours à travers ses artifices à découvert. Une lettre sentant « la giroflée » va la confondre : on apprend qu’elle a eu des sentiments pour… Monsieur Seguin ! C’est l’occasion pour le couple de se déchirer et de s’adresser vertement des reproches. « Vous ne m’avez pas rendu la vie facile » avoue Blanche-Neige au Prince. Au constat de ce dernier sur sa croissance excessive, elle répond : « Peut-être que ce n’est pas moi qui grandit mais tout le reste qui rétrécit ». La fin d’une histoire, nous disait-on. Pas d’issue favorable en vue, les contes sont souvent cruels.

De face, Blanche-Neige (Tibor Ockenfels) et le Prince (Marief Guittier) ; de dos, Souillon (Alexandre Bazan)

À ce couple en plein « carambolage » vient s’ajouter Souillon jouée par Alexandre Bazan dont la présence est tout à fait originale. Souillon est aussi un personnage androgyne mais plus à part – « une jeune femme ou un jeune homme, ou autre ». Portant des « cheveux jaunes » qui le caractérise comme un personnage archétypal de conte, Souillon est une évocation lointaine de Cendrillon, délocalisée dans le château de Blanche-Neige et du Prince, sans perspective ni espoir, juste bonne à prendre les coups de « tapette » – une poêle à frire – assénés par le Maître des lieux. Grâce à Souillon, le comique surgit. Son incongruité essentielle – le personnage est aussi technicien du spectacle – son identité burlesque, son à‑propos par exemple quand il justifie la présence de Monsieur Seguin dans l’histoire en répétant « C’est la mondialisation », en font un pivot original entre les deux membres du couple qui se déchire, apportant une légèreté indispensable dans « une pièce poétique où on comprendra tout » comme l’affirme Marie Dilasser.

Car c’est incontestablement une pièce. Et pour les enfants clairvoyants de tous âges. Le décor s’apparente à un immense castelet recelant de multiples dispositifs pour qu’advienne le merveilleux. Pour qu’advienne la magie du théâtre suivant la volonté conjointe du metteur en scène et de l’auteure ayant imaginé une authentique pièce à machines. Outre l’évocation discrète du Soulier de satin, la figuration de la Lune en surplomb et à laquelle Blanche-Neige s’adresse, semble être un hommage aux effets déjà spéciaux produits par Méliès aux origines du cinéma, tenant à distance tout réalisme. Elle apparaît sous la forme d’un « grand cercle argenté remuant les yeux et la bouche » actionnés à vue par Souillon-Alexandre Bazan. Les orifices sont obturés par de simples trappes métalliques qui se soulèvent et retombent si bruyamment qu’on ne peut y voir qu’une forme d’insistance : il n’y a pas de Lune qui parle – la voix adoucie de Marief Guittier ne se dissimulant plus au bout d’un moment, est parfaitement reconnaissable. Tout est trucage, tout est théâtre, tout est faux mais donne envie d’y croire. Comme dans de nombreuses histoires au fond. La chute des – fausses – pommes rappelant le conte de Grimm, le déchaînement de la – fausse – tempête vont également dans ce sens. On saluera enfin une idée des plus ingénieuses concernant les 101nains aux noms tous plus drôles et farfelus les uns que les autres – « clin d’œil aux 101 Dalmatiens » évidemment – surgissant du sol même du décor, après que Souillon en a retiré les planches qui le constituent. Ces multiples nains se dressent sous l’apparence de marionnettes métalliques articulées et manipulées à distance par des câbles sur lesquels elles sont fixées. Un enchantement pour les yeux !

Vient alors le moment où Souillon prend sa trompette qui « résonne dans tout le royaume » et joue les notes d’Un jour, mon Prince viendra. Comme une lamentation finale. Souillon enlève sa perruque, reste Alexandre qui enfile son blouson, prend son sac et part vers les coulisses, faisant heurter sèchement son bâton au sol. Face au public, Le Prince va s’effondrer à l’image de son royaume. Il  s’adresse au Miroir qui s’était tu jusque là – ah ! le quatrième mur… –  et qui lui répond contre toute attente : même s’il est « la plus belle », Souillon aux cheveux jaunes reste « mille fois plus belle que » lui. Eh bah dis donc… Que dire de plus ?

Michel Raskine signe ici une mise en scène qui célèbre non seulement la représentation théâtrale mais aussi la tendre rudesse du conte, sa fantaisie essentielle, sa puissance évocatrice et signifiante pour un public le plus large possible, c’est-à-dire pour tous. Avec un dispositif scénique aussi astucieux qu’esthétique, prenant appui sur le texte très finement poétique de Marie Dilasser porté par des comédiens particulièrement engagés, il réussit cette « variation », cette étude sur les « archétypes » qui s’inscrit dans la tradition du théâtre occidental. Et, comme dans les contes merveilleux de l’enfance, on formule le souhait qu’il poursuive encore sur cette voie.

Blanche-Neige (Tibor Ockenfels) et le Prince (Marief Guittier) après la chute des pommes ; en fond, Souillon (Alexandre Bazan)
Avatar photo
Thierry Jallet
Titulaire d'une maîtrise de Lettres, et professeur de Lettres, Thierry Jallet est aussi enseignant de théâtre expression-dramatique. Il intervient donc dans des groupes de spécialité Théâtre ainsi qu'à l'université. Animé d’un intérêt pour le spectacle vivant depuis de nombreuses années et très bon connaisseur de la scène contemporaine et notamment du théâtre pour la jeunesse, il collabore à Wanderer depuis 2016.

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici