Programme

LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA 
Riccardo Chailly  direction

Riccardo Chailly fête trente ans de concerts à Lucerne.

Richard Wagner (1813–1883)
Ouverture de Rienzi
Ouverture du Vaisseau fantôme

Anton Bruckner
 (1824–1896)
Symphonie no 7 en mi majeur WAB 107
Lucerne Festival, KKL, 25 Août 2018

Le Lucerne Festival Orchestra ouvre traditionnellement depuis 2003 par une série de concerts le Lucerne Festival, la plus importante vitrine orchestrale du monde qui offre un mois durant entre récitals, concerts symphoniques, opéras en concert, musique de chambre ce qu’il y a de mieux aujourd’hui dans le monde du classique. Dans un écrin magnifique et paisible, un combiné du merveilleux bâtiment de Jean Nouvel – une de ses plus grandes réussites – et du paysage enchanteur des rives du Lac des quatre cantons, ce rendez-vous annuel avec la musique attire les spectateurs venus de partout.
Trois programmes du LFO ouvraient le festival, nous en avons entendu le dernier, et ce fut décevant. Nous allons essayer de comprendre.

 

Riccardo Chailly et le LFO (25 août)

Au cours des trois programmes proposés, le premier était dédié à Stravinski et Mozart (avec Lang Lang au piano) le second tout à Ravel, et ce troisième à Wagner (ouverture de Rienzi et du Fliegende Holländer) et à Bruckner (Symphonie n°7).
Du temps d’Abbado, deux programmes successifs à une semaine de distance, donnés chacun deux fois,  cette année, le premier programme a été donné deux fois, et les deux autres concerts uniques, chacun avec un programme différent.
Inévitablement, pour le spectateur qui a assisté à tous les concerts du LFO depuis sa création en 2003, y compris les tournées, s’impose la comparaison des programmes, des participants, et une réflexion sur le sens d’une évolution.Et après trois ans d’un LFO dirigé par Riccardo Chailly, une réflexion peut être menée sur le futur de cette phalange, sans doute encore l’une des meilleures au monde.

Le concert du 25 août me semble être emblématique de la question, dans un programme Wagner-Bruckner qui a sa logique compte tenu du lien entre Bruckner et le maître de Bayreuth, spécialement dans la Septième, et du goût de Riccardo Chailly pour le maître de St Florian, dont il a gravé une intégrale avec le Royal Concertgebouw Orchestra.
Un étonnement, la symphonie n°7 de Bruckner a déjà été proposée en 2005 par Claudio Abbado, ainsi que la n°9, la n°4, la n°5, la n°1 au long des années. En revanche la n°2, la n°3, la n°6, la n°8 manquent à l’appel. C’eût été l’occasion de contribuer à compléter l’intégrale, comme il l’a été fait en 2015 avec la 8ème symphonie de Mahler, au lieu de provoquer inévitablement des comparaisons pas toujours avantageuses.
Cette saison, l’un des piliers de l’orchestre, le trompettiste Reinhold Friedrich a pris une année sabbatique et a été remplacé par un de ses élèves, le tout à fait remarquable, Jeroen Berwaerts, professeur à la Hochschule für Musik de Hanovre.  Même si les musiciens de l’orchestre changent quelque peu, avec plusieurs nouveaux solistes de l’orchestre de la Scala, on y reconnaît encore Alessandro Carbonare, Jacques Zoon, Lucas Macias Navarro, Raymond Curfs, les membres du quatuor Hagen, l’essentiel des tutti du Mahler Chamber Orchestra. Le fond historique de l’orchestre est encore là.

Des Wagner somptueux et charnus

Le choix des deux œuvres de Wagner est sans doute imposé par leur durée, l’ouverture de Rienzi étant l’une des plus longue des œuvres de Wagner. Il peut aussi être dicté par leur date : la première de Rienzi remonte à 1842, et celle du Fliegende Holländer à 1843. Un an sépare leur création et déjà un monde. Le second est admis à Bayreuth, le premier en est exclu, bien que la musique en soit passionnante même si Wagner est tributaire des formes classiques du Grand Opéra, si bien que Rienzi est appelé de manière ironique « le meilleur opéra de Meyerbeer ».
On peut être étonné que Riccardo Chailly, si friand de raretés et de versions princeps, n’ait pas choisi d’interpréter la version de 1843 du Fliegende Holländer, plus proche de Rienzi, mais ait choisi celle, traditionnelle, de 1860 avec final réécrit, sans la brutale chute de la version de 1843. Un choix classique comme est classique l’interprétation, large, au tempo relativement lent où est soignée plus l’épaisseur symphonique que la tension et la théâtralité. il est vrai qu’on est au concert et non au théâtre. Il reste que l’ensemble est de très belle facture, avec un orchestre fabuleux, au son à la fois charnu et clair ; on y reconnaît le magnifique hautbois de Macias Navarro, les cuivres impeccables, l’incroyable Curfs dans ses œuvres aux percussions. Bref, une ouverture somptueuse, ronde, avec de vrais contrastes, un volume cependant maîtrisé, mais sans choix interprétatif déterminant, plus une démonstration de la qualité de l’orchestre en se laissant aller aux arcs larges, aux sons tenus, qu’une « évocation ».

Riccardo Chailly et le LFO (25 août)

Plus intéressante l’ouverture de Rienzi qui précédait, sans doute aussi plus rare à nos oreilles, déjà jouée au premier concert peu avant le festival (le 14 août) qui célébrait les vingt ans d'un KKL toujours aussi novateur après deux décennies, avec son acoustique exceptionnelle, ni trop sèche, ni trop réverbérante, d’une clarté et d’une netteté exemplaires.
L’ouverture de Rienzi est sans nul doute un morceau de bravoure, plus souvent jouée que l’opéra lui-même, d'ailleurs souvent tronqué quand il est représenté, si difficile à mettre en scène et surtout à chanter. L’acoustique de la salle permet un volume très contrôlé notamment au départ entre les cuivres et les contrebasses au tout début et de soigner les contrastes avec une vraie tension. Cette musique est en soi démonstrative car l’enjeu pour Wagner est déterminant et il faut y développer toute sa science de l’orchestration, sans paraître imiter un Meyerbeer à la mode, et en s’essayant à un vrai style. Le développement sur le thème principal se fait sur un tempo plutôt là-aussi, très retenu, comme si l’on retenait l’explosion. Tout le début est vraiment exceptionnel et le choix de travailler le son plutôt que le théâtre se justifie, un son d’une élégance, d’une netteté et d’une profondeur exceptionnelles qui va en crescendo : Chailly nous fait saisir immédiatement l’architecture de la pièce et du même coup l’art de Wagner, et insiste notamment sur des phrases qui annoncent déjà Tannhäuser (1845). Un début si impressionnant qu’il fait ressortir la faiblesse relative de la deuxième partie, plus vive et plus éclatante, plus m’as-tu-vu, même si çà et là les phrases aux violoncelles et au contrebasses nous chavirent.
Wagner travaille au plus haut point une musique qu’il veut aux mille reflets divers, passant d’une pointe de brutalité, à des moments atténués réellement inventifs et sensibles. Ce n’est pas encore la musique de l’avenir, mais elle porte en elle le Wagner du futur. Et l’interprétation en est exceptionnelle, car Chailly sait mettre en relief ce qui en fait la qualité (la construction) en lui donnant une réelle force dramatique. Ce sera le plus beau moment de la soirée. Enthousiasmant.

Un Bruckner superficiel et décevant

La symphonie n°7 de Bruckner, l’une des plus jouées au concert, constituait le plat de choix de la soirée, et on se réjouissait d’entendre Chailly avec cet orchestre. En cohérence avec la première partie, puisque Wagner s’impose dans la pensée de Bruckner, notamment dans le très long adagio, (avec ses tubas wagnériens), plein de l’angoisse de la disparition future du compositeur du Ring. La Septième est créée en 1881, Wagner disparaît deux ans plus tard.
Las, ce fut une symphonie n°7 de plus. Sans caractère, sans originalité, sans trouvailles. On l’a senti dès les premières mesures, qui devraient déjà nous enivrer : tempo très lent et appuyé, mais sans nous faire ressentir à la fois le mystère et la poésie de ce sublime début. L’orchestre ne semble pas mené aux extrêmes de ses possibilités, même si une fois de plus le son nous en laisse pantois. Mais Chailly cherche non la dynamique, mais l’exposition du son, un son massif, qui n’a pas toujours la luminosité attendue.
L’orchestre est pourtant comme toujours supérieur, laissant entendre des moments exceptionnels (aux cordes tout particulièrement, et bien entendu aux bois), avec quelques minuscules scories aux cors.
Les moments se succèdent, sans lien entre eux, et l’ensemble rendu est, il faut le dire, un peu ennuyeux. Chailly en fait une sorte de longue veillée presque funèbre notamment dans l’adagio qui n’a pas ni mystère, ni véritable intimité, mais une sorte de solennité extérieure qui laisse singulièrement froid. C’est monumental comme une pièce de granit sans vraie vibration et sans cette musique de l’âme qu’on attendrait.
L’orchestre répond à toutes les sollicitations de manière très professionnelle : on joue un concert prestigieux, mais on ne fait pas de musique ensemble.
Le scherzo est une cavalcade, là où la fluidité et une certaine légèreté en dialogue dominaient en d’autres temps de cet orchestre : nous sommes dans une démonstration superficielle sans être si rapide que la partition l’indique (sehr schnell), et ne disant rien d’autre que l’effet sonore, impressionnant et creux à la fois.
L’impression est confirmée par le mouvement final parfaitement exécuté mais sans rien d’évocatoire, avec un orchestre qui n’était toujours qu’évocation et qu’au-delà de la note. Ici un ensemble de notes parfaitement exécutées nous rappelle la grandeur de la phalange, mais un ensemble de notes aussi parfaites soient-elles ne fait pas forcément « musique » au sens où on devrait l’entendre ici. Pas d’alchimie. La pierre philosophale est loin d’être trouvée.

Quel futur pour le LFO ?

Aussi s’impose à moi l’idée qu’on a entendu un concert, magnifiquement exécuté, mais un concert de plus. On allait naguère à Lucerne écouter le LFO pour un moment d’exception et on est à Lucerne pour un (grand) concert de plus dans le panorama européen des orchestres.

Ce n’est pas être injuste que dire que l’alchimie ne semble pas vraiment prendre entre un chef (de tout premier plan) et un orchestre (de tout premier plan). Personne ne s’imaginait que Claudio Abbado pourrait trouver un « remplaçant », mais on pouvait prétendre que cet orchestre puisse continuer à « faire de la musique » avec un chef qui lui en donne envie. Depuis trois ans, l’orchestre fait du sur-place montrant toujours une maestria qui n’est finalisée qu’à elle-même et pas à un véritable objectif d’approfondissement musical ou d’émotion collective comme c’était le cas entre 2003 et 2013.

Cela exige de la part du management de Lucerne une véritable réflexion sur le destin de cet orchestre et peut-être la recherche d’autres formes de propositions. Il est certes difficile de trouver sur le marché musical des personnalités suffisamment charismatiques pour emporter l’adhésion « affective » d’un groupe dont les membres historiques ont construit leur parcours avec Abbado. Mais je me souviens quand même qu’au temps d’Abbado, une troisième de Mahler dirigée par Boulez à New York fut un moment d’exception, preuve qu’il peut y avoir alchimie avec d’autres, mais évidemment c’était Boulez…

Ce sont là les méditations qui m’assaillent, parce qu’aujourd’hui ne pas aller écouter le LFO ne fait pas manquer quelque chose d’absolument exceptionnel comme ce fut le cas jadis, même si – comme c’est mon cas – on adore ces musiciens. Ce sont de grands concerts, comme avec d’autres grands orchestres, mais qui n’ont plus cette singularité qui faisait que les manquer créait un vide.

Personne n’est irremplaçable, évidemment, encore faut-il trouver par qui (ou quoi) remplacer…

 

 

Riccardo Chailly et le LFO (25 août)
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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
Crédits photo : © Lucerne Festival – Peter Fischli

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1 COMMENTAIRE

  1. Je suis entièrement d'accord avec vous sur tout votre article. J'ai 28 ans, voilà plusieurs années cependant que je fais le déplacement et que je suis ce festival de Lucerne (été, printemps et automne). Ecouter des concerts exceptionnels dans ce qui n'est pas loins d'être une des meilleures acoustiques (et cadre) au monde, cela vaut largement le déplacement ! J'ai connu la période Abbado et j'y ai notamment entendu le 9ème de Mahler avec le LFO. Inoubliable. Ce genre de concert qui me restera toute ma vie. Bien sûr, comme vous dites, on savait qu'avec Chailly on ne retrouverait pas Abbado, et ce n'est pas le but. Cependant on pensait au moins retrouver l'orchestre, au moins d'une "autre manière". Et il n'en est rien. Depuis trois ans, après un concert du LFO et Chailly très décevant (c'était du Strauss), je "boude" ces concerts et je ne vais voir que les autres formations (et effectivement, le choix est grand à Lucerne!). Secrètement, j'avoue espérer que Chailly trouvera sa place à Lucerne, et que la synergie avec l'orchestre s'inventera… Mais il semble n'en être rien… Quelle suite à tout cela ? Peut-être faut-il être capable de changer les composantes (le chef) ou, tout simplement, clore une aventure qui après tout, n'avait de sens, surtout, que sous les auspices d'Abbado qui réunissait là avant tout ses/des amis.

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