« Regards ».
Maison de Victor Hugo, 6 place des Vosges, Paris.
Du 17 février au 5 juin 2022.

Commissariat : Lucienne Forest

Cette expositions est le fruit d’une collaboration entre Paris Musées et le Groupe hospitalier universitaire (GHU) Paris Psychiatrie et Neurosciences Saint-Anne et le Groupe d’Entraide Mutuelle, Le Passage

Exposition visitée le 16 février à 12h30 (Vernissage)

Sur le thème du regard, la Maison de Victor Hugo offre à voir quatre-vingts œuvres sélectionnées parmi les collections des différents musées de la ville de Paris. Une belle occasion d’admirer des œuvres rares, et de se laisser déconcerter par une scénographie étrange, un rien envahissante, mais qui interroge le visiteur.

C’est une étrange exposition que présente la Maison de Victor Hugo. D’abord, elle pourrait pratiquement se dérouler dans n’importe lequel des musées de la ville de Paris, car le lien avec l’auteur des Misérables reste ténu. D’autre part, elle est proposée comme émanant d’une énigmatique commissaire nommée Lucienne Forest, personnage évoluant hors des milieux de l’art et sur lequel nous laisserons à chacun le soin d’enquêter. L’exposition lui donne la parole, et se termine même sur une évocation de son bureau, avec quelques photos de famille, mais cette dame reste un mystère.

Une exposition sur le thème du regard, ou des regards, dans le bâtiment où habita Hugo, place des Vosges, pourquoi pas ? Dès la première salle, une photographie prise en 1853 par Auguste Vacquerie nous montre « Victor Hugo écoutant Dieu », autrement dit l’écrivain les yeux fermés, dont l’intériorité ainsi mise en avant ne saurait correspondre qu’à un dialogue direct avec le divin. Plus loin, une salle propose toute une série de « paysages miniatures » dessinés par Hugo, tracés à l’encre sur des morceaux de papier dont les dimensions n’excèdent jamais une dizaine de centimètres de large, et qui peuvent être bien moindres. Ces vues imaginaires sont associées à un texte philosophique, « Le promontoire du songe » ; en 1834, Arago avait invité Hugo à visiter l’Observatoire, et le poète avait alors baptisé ainsi l’un des sommets de la lune, le texte écrit trente années plus tard constituant une méditation sur le rêve et l’imagination. « Cette vision est un de mes profonds souvenirs », disait-il à propos de ce moment où il avait pu contempler l’astre à travers une lunette. A côté des paysages minuscules, quelques photographies en noir et blanc prises par Klavdij Sluban dans Hauteville House, de nuit, en hiver.

Pour le reste, l’exposition se promène à travers les époques et les lieux, de l’antiquité jusqu’à nos jours, glanant selon le caprice de « Lucienne Forest » des œuvres représentatives de tendances extrêmement diverses, les rapprochements devant susciter chez le visiteur une réflexion sur la nature du regard, comme action par opposition à la vision passive, comme acte constitutif de toute œuvre d’art, etc.

(Ill.1)Anonyme. Pendentif ; œil droit bleu peint en miniature. Gouache, monture en or, verre sur les deux faces, 4,3 x 2,1 cm © Paris, musée Carnavalet – Histoire de Pari

La première salle juxtapose ainsi, entre autres, deux miniatures d’yeux peints selon une pratique qui remonterait à l’amour du prince de Galles, futur George IV, pour Mrs Fitzherbert, un masque sans yeux sculpté par Fautrier peu avant sa série des « Otages », un masque d’Apollon au regard vide, par Bourdelle, quelques autoportraits gravés de Rembrandt, et une série d’autoportraits photographiques de Brion Gysin (1916–1986).

La deuxième salle est celle qui adopte la présentation la plus étrange. Une vue de café par Béraud (la toile reprend le thème de L’Absinthe de Degas, mais la facture est plus conventionnelle) est présentée à l’intérieur d’une petite pièce ; Espoir et désespoir d’Angel Genivet d’Eduardo Arroyo apparaît à travers une fenêtre, en écho à la fenêtre peinte à l’arrière-plan du tableau. On pourra s’amuser de la galerie de portraits visible à travers des fenêtres qui placent le visiteur face à un miroir encadré, mais l’idée est déclinée au point de rendre les œuvres difficiles à regarder : la vue de la Salle à manger de George Sand à Nohant par Lauth ne peut être vue qu’à travers une porte entrouverte ; la Baigneuse surprise de Dalou n’est accessible qu’à travers des œilletons soulignant le voyeurisme de l’œuvre. Dissimuler deux photos de Caroline Feyt au fond d’un recoin risque de les rendre positivement invisibles pour qui n’irait pas chercher plus loin et s’arrêterait aux nombreux grands miroirs qui occupent les cimaises bien davantage que les œuvres proprement dites. Impossible de manquer, en revanche, l’immense Gitane de Raymond Hains, pour laquelle le cartel convoque la légende du mur lépreux où Léonard de Vinci découvrait une bataille, des rochers, la mer… Signalons au passage que les cartels donnent tantôt la parole à « Lucienne Forest », tantôt aux œuvres elles-mêmes, qui n’hésitent pas à interpeller le visiteur, en imaginant ce que pensent par exemple l’homme, la femme et même le gâteau dans Au café de Béraud…

(Ill.2) Charles-Frédéric Lauth (1865 – 1922) La salle à manger de George Sand à Nohant. Peinture à l'huile, 31 x 24 cm © Paris, Musée de la Vie romantique

La troisième salle est celle qui renvoie explicitement à l’imagination de Victor Hugo, complétée par une série de lithographies d’Odilon Redon rarement exposée, conçue en 1896 pour La Maison hantée, nouvelle fantastique du romancier romantique anglais Edward Bulwer-Lytton. Les monstres, apparitions et « larves hideuses » représentées par Redon n’ont rien à envier à ce que l’artiste a pu proposer en relation avec d’autres textes d’auteurs plus illustres.

Enfin, la dernière salle aborde les mythes antiques qui privilégient le rôle du regard : Méduse et Orphée vus par Bourdelle, Argos par Dali, Actéon indirectement évoqué par une Diane de Zadkine, Oedipe par Lucien Jonas, Narcisse et Icare caricaturés (et coloriés) par Daumier pour sa série « Histoire ancienne ». Face à ces personnages mythiques, un mur d’équivalents modernes, à travers des photos classiques (la jeune fille à la fleur contemplant les soldats, par Marc Riboud ; le regard de la mère chassée de sa ferme par la crise de 1929, par Dorothea Lange ; Jean Gabin confiant à Michèle Morgan qu’elle a de beaux yeux, elle le sait… Deux grandes toiles contemporaines se font face aux deux bouts de la pièce : un bel exemple du retour de la peinture narrative, Persée et la Méduse de Stéphane Pencréac’h (avec des morceaux de mannequins en relief, collés sur le toile), et une œuvre Sans Titre de Djamel Tatah. Et en toute fin de parcours, le prétendu bureau de « Lucienne Forest ».

(Ill.3) Stéphane Pencréac’h, Persée et la Méduse, 2011, huile sur toile © Paris Musées, Musée d’art moderne de la Ville de Paris

Somme toute, un parcours un peu déroutant, émaillé de quelques très belles pièces, et d’œuvres dont la présence est peut-être surtout censée susciter le questionnement, pousser le visiteur à se demander ce qu’il fait exactement lorsqu’il va au musée regarder ce qu’on lui offre. Simple consommation sensorielle rehaussée par le prestige des institutions muséales ? Plaisir d’accumuler des connaissances sur l’art et les artistes du passé et du présent ? Ou démarche propice à un approfondissement de notre condition d’êtres humains dotés de sens et d’un intellect ?

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
Crédits photo : © Paris, musée Carnavalet – Histoire de Paris (Ill.1)
© Paris, Musée de la Vie romantique (Ill.2)
© Paris Musées, Musée d’art moderne de la Ville de Paris (Ill.3)

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