Jean-Philippe Thiellay
L’Opéra s’il vous plaît. Plaidoyer pour l’art lyrique

Les Belles Lettres
Novembre 2021

12.1 x 19 cm, 232 pages, ISBN : 978–2‑251–45090‑2
Prix indicatif : 15 €

Parution en novembre 2021 de L’Opéra s’il vous plaît. Plaidoyer pour l’art lyrique chez Les Belles Lettres

Jean-Philippe Thiellay, actuel directeur du Centre National de la Musique, partage dans un essai ses inquiétudes quant à la possible disparition de l’art lyrique. Il en examine les facteurs, les menaces, ainsi que les pistes à explorer pour permettre à l’opéra de continuer à exister et de répondre aux préoccupations économiques, sociales et esthétiques de ses spectateurs. Si on partage assez globalement son constat, certains points mériteraient d’être davantage précisés et discutés. Il faut donc prendre ce livre comme un appel à la réflexion et au débat que l’auteur appelle de ses vœux, et s’approprier ces questions pour en formuler ses propres réponses.


Le monde lyrique voit éclore régulièrement – en librairies comme sur internet – des plaidoyers « en faveur » de l’opéra : que ce soit pour le défendre à tout prix contre les menaces de metteurs en scène « mal intentionnés », pour déplorer à corps et à cris la totale inaptitude des chanteurs d’aujourd’hui ou encore pour critiquer tel ou tel directeur d’institution jugé incapable, certains lyricophiles s’en donnent à cœur joie pour dresser un tableau lamentable de l’état de nos scènes.

Contrairement à ces constats amers et souvent tristement excessifs, l’ouvrage de Jean-Philippe Thiellay L’Opéra s’il vous plaît. Plaidoyer pour l’art lyrique paru aux éditions des Belles Lettres pose les bases d’une réflexion saine et multidimensionnelle sur l’opéra, et sa lecture soulève nombre de questions qui mériteraient un débat plus approfondi réunissant tous les acteurs du monde lyrique.

Ce monde, Jean-Philippe Thiellay le connaît : ancien directeur adjoint de l’Opéra de Paris et actuel directeur du Centre National de la Musique, il a fait l’expérience, de l’intérieur, des nombreux défis (ou menaces ?) qui pèsent sur l’opéra. Son livre est ainsi bien documenté et intéressant mais il reste un constat personnel, ce que l’auteur assume pleinement. Il faut donc se plonger dans cet essai d’un peu plus de deux cents pages avec un regard affûté et y confronter sa propre expérience pour engager la réflexion que Jean-Philippe Thiellay appelle de ses vœux.

 

L’Opéra s’il vous plaît s’ouvre sur une question simple : « Et si l’art lyrique, en France et dans le monde entier, ne se remettait pas de la crise sanitaire inouïe que le monde a affrontée à partir du début de l’année 2020 » ? Le ton semble donné et on se demande, à la lecture d’une introduction particulièrement alarmiste, comment l’opéra pourrait bien s’en sortir. Pourtant la suite de l’ouvrage – divisé en un prologue, cinq actes et une coda – n’est pas si catastrophiste : il montre autant les crises qui menacent l’art lyrique que les formidables outils qu’il possède pour se déployer. La première partie se veut même assez rassurante : l’ « envie d’opéra » reste intacte, de nouvelles salles se construisent partout dans le monde, le répertoire s’agrandit… L’opéra comme forme d’art a donc toujours ses défenseurs et ses amoureux et possède une vivacité indéniable.

Jean-Philippe Thiellay impute la crise traversée par l’opéra à deux difficultés principales, qui constituent les actes II et III de son ouvrage : l’une d’ordre économique, l’autre d’ordre sociologique. Il y a tout d’abord l’augmentation des coûts de production et les difficultés pour les institutions à se maintenir debout, alors que les subventions sont en baisse et qu’il faut désormais compter sur les mécènes (avec les pressions artistiques que cela peut éventuellement engendrer) pour financer les maisons. Mais l’auteur incrimine également la « génération z » (c’est-à-dire les jeunes nés entre 1995 et 2010) qui n’irait plus à l’opéra, ainsi que ce qu’il considère comme les excès de la cancel culture et de #metoo qui pourraient signer, selon lui, la fin de l’art lyrique.

L’acte IV déplore ensuite le manque de variété des programmations et discute, intelligemment, du rôle du metteur en scène dans un spectacle ainsi que des enjeux de la création contemporaine. L’acte V se veut enfin force de propositions : sur le management des maisons, sur de possibles économies, sur le développement d’une « expérience spectateur », mais aussi sur des questions d’ordre sociétal (l’écologie, la diversité, l’ouverture à de nouveaux publics…).

Le propos est donc riche, servi par de nombreuses anecdotes et une connaissance poussée du fonctionnement des institutions. Mais la forme appelle déjà deux remarques : tout d’abord, « l’art lyrique » dans ce livre désigne quasi exclusivement les opéras joués au sein d’un opéra. Les versions de concert, le disque, les récitals, les formes alternatives ne sont pas le propos. C’est dommage lorsqu’on voit la richesse de l’offre lyrique hors des institutions, et notamment l’incroyable élargissement du répertoire proposé au public au concert ou au disque et qui participent à l’art lyrique – même si, nous sommes bien d’accord, rien ne remplace une expérience live et que l’opéra a pour vocation d’être représenté avec une mise en scène : mais l’état actuel des choses ne permet pas de faire l’impasse sur ces pratiques désormais bien ancrées dans le paysage musical. L’autre remarque concerne les propositions formulées par Jean-Philippe Thiellay : on ne peut qu’être d’accord avec lui lorsqu’il appelle à la diversité, à l’écologie, à la pédagogie, à la réduction des coûts de production, au mouvement vers de nouveaux publics… Tout cela est nécessaire, enthousiasmant, mais l’ouvrage ne permet malheureusement pas de formuler beaucoup de solutions concrètes : qui prendrait en charge ces changements ? A quel coût ? Pour quelles retombées (culturelles comme économiques) ? A quelle échéance ? L’auteur avait prévenu qu’il s’agissait dans cet ouvrage d’un constat et de pistes de réflexion ; mais on en ressort un peu démuni en se demandant comment ces beaux projets pourraient, réellement, prendre forme lorsqu’on voit à quel point ces questions que se posent déjà de nombreuses institutions peinent à trouver des solutions.

Évidemment un ouvrage de deux cents pages ne pouvait pas être exhaustif et les réponses ne pourront être trouvées que par la collaboration étroite de nombreux acteurs du secteur. Un ouvrage de deux cents pages prend aussi, malheureusement, le risque de céder à des raccourcis ou à des clichés – y compris sur des questions sociétales aussi complexes que la cancel culture et #metoo, qui auraient mérité un traitement plus approfondi.

Ainsi on ne se rangera pas aux côtés de Jean-Philippe Thiellay quant aux inquiétudes formulées à l’encontre de la fameuse « génération z ». Car à en croire l’auteur – mais il n’est pas le seul à le penser ni à avoir tenté de le théoriser –, la jeune génération aurait une capacité de concentration approchant du néant (neuf secondes pour être exacte, selon les travaux de Bruno Patino cités dans le livre) et donc incompatible avec l’art lyrique : « au-delà, l’attention est happée par les alertes sonores ou vibrantes diverses et variées, et, sinon, par l’irrésistible tentation de vérifier sur son smartphone s’il ne s’est pas passé quelque chose d’absolument immanquable sur tel ou tel réseau social » (p.103). Ou encore : « il faut admettre que les opéras concentrent le maximum de conventions (la langue étrangère, l’expression par la voix…) et de difficultés (la longueur, le caractère parfois stéréotypé des situations…), surtout pour la génération z et ses addicts aux réseaux sociaux » (p.197).

Au-delà du cliché auquel on n’adhère personnellement pas, on répondra à Jean-Philippe Thiellay que cette génération est au contraire celle du multilinguisme (grâce aux réseaux justement), du binge watching et des streams qui concentrent l’attention de leurs spectateurs durant plusieurs heures d’affilée. Les histoires improbables et stéréotypées ? Les séries et le cinéma en regorgent – dragons, (super-)héros, dieux, et autres reconstitutions historiques. D’ailleurs l’auteur le dit lui-même : les avant-premières jeunes de l’Opéra de Paris sont un immense succès, indépendamment de la longueur ou du sujet des œuvres.

Autre critique formulée par Jean-Philippe Thiellay : la génération z ne va pas à l’opéra. Mais nous parlons de jeunes âgés de douze à vingt-sept ans ! Peut-on vraiment s’en étonner alors qu’ils sont encore adolescents ou jeunes adultes et ont donc rarement le loisir et les revenus suffisants pour s’y rendre ? Peut-on déduire de leurs comportements actuels leurs comportements futurs ? L’opéra n’a pas attendu la jeune génération pour avoir la mauvaise réputation d’un art élitiste, incompréhensible voire ennuyeux. La musique classique n’a pas attendu la génération z pour voir la fréquentation de certains concerts baisser. Mais qui n’a pas remarqué pourtant, à la suite de la crise de la Covid-19, que le public dans les salles s’était rajeuni ? Que les cheveux étaient moins blancs aux parterres de nos opéras ?

Le pessimisme n’est peut-être pas de rigueur, et il nous semble important de le dire ici. Car s’il fallait décrire la génération z – ce qui suppose malheureusement de la réduire à des lieux communs plutôt que d’en valoriser la diversité –, il faudrait la qualifier d’hyper connectée au monde, d’hyper informée, d’hyper concernée. Il faudrait aller regarder l’incroyable vitalité de l’art lyrique sur les réseaux sociaux – avec de nombreux comptes gérés par des jeunes et qui visent à populariser l’opéra. Il faudrait se rendre compte, aussi, de l’immense culture musicale que les jeunes lyricophiles peuvent désormais se construire grâce à internet et au streaming, ce qui était impossible à un tel degré et avec une telle facilité avant la démocratisation d’internet. Il faudrait aller écouter les classes de chant lyrique pleines de jeunes chanteurs, toujours trop nombreux (dans les grandes villes du moins) pour le nombre de places disponibles.

La génération z, facteur de disparition de l’art lyrique ? Les raisons ne nous en semblent pas évidentes, d’autant plus, et Jean-Philippe Thiellay l’évoque, que l’opéra est en constante évolution, en constante modernisation et totalement perméable aux évolutions de la société. Il ne manque à la génération z que le temps et les occasions de venir à l’opéra d’où l’importance capitale, comme le dit l’auteur, de continuer le travail de démocratisation d’un art qui depuis des décennies déjà peine à toucher tous les publics – et on ne parle plus ici de l’âge des spectateurs.

L’art lyrique est-il en crise ? Sans aucun doute. Doit-il faire face à des défis inédits et qu’il devient urgent de régler ? Absolument. L’Opéra s’il vous plaît a la grande qualité de poser ces questions et les diverses formes qu’elles revêtent : à chacun maintenant d’en nourrir sa propre réflexion.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.
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