Cette tendance à illustrer une fable pour grands enfants se fait sur le mode d'une réflexion assez inoffensive autour de la vie et de la mort, illustrée par des projections de perspectives bucoliques – un sous-bois montré à divers moments de l'année. Ce cycle des saisons traduit le passage de l'individu de l'adolescent à l'adulte, affrontant pour cela les épreuves morales et philosophiques que lui proposent Sarastro et la Reine de la Nuit (que Carsen nous montre sous l'aspect d'un couple uni comme en 1994 à Aix).
On apprécie les transitions spatiales qui, d'une scène à l'autre nous font pénétrer dans des souterrains dont l'entrée secrète est la tombe ouverte que le fossoyeur Monostatos s'active à creuser avec ses sbires. Ce monde secret qui gît sous les pieds des protagonistes, on en prend conscience quand, des verts pâturages, on tombe dans l'angoisse d'un vaste espace plongé dans la nuit, tel l'Enfer de Dante saisi sous la plume d'Honoré Daumier. On voit désormais le ciel à travers l'ouverture des tombes, quasi inaccessible, sauf à gravir les immenses échelles qui donnent accès à la surface. Ce parcours initiatique évoque les romans de jeunesse et les aventures des héros de bandes dessinées avec en arrière-fond, ce cortège de portes secrètes, maléfices et squelettes dans des tombes… Papageno fait penser au clochard urbain tel que l'avait imaginé Simon McBurney au Festival d'Aix en 2014. Troquant collection de sacs plastiques contre une collection d'oiseaux, il finira dans les bras d'un Papagena au préalable grimée façon Nuit des Morts Vivants. Dans un autre genre, Tamino et Pamina ont le port altier et la tenue immaculée qui traduit une appartenance à une caste sociale et morale élevée, tandis que les trois Dames ont des airs de veuves éplorées et les trois garçons sont comme les triples ombres portées des personnages principaux – galerie peu dérangeante, dominée par une reine de la nuit en tailleur noir et un Sarastro en costume trois pièces, véritables maîtres d'œuvre d'une intrigue dont ils paraissent tirer les fils.
Le pique-nique final sur la verte pelouse entourant la fosse d'orchestre donnera à la conclusion des airs de réunions d'âmes bienheureuses aux Champs- Elysées, sans autre message qu'un banal "tout est bien qui finit bien". Un plateau de qualité donne à cette mise en scène un relief appréciable. En alternance avec Pavol Breslik, Stanislas de Barbeyrac démontre une fois de plus la sensibilité vibrante de son Tamino, rôle fétiche avec lequel il signa à Aix le début de sa carrière internationale. La véhémence de son Dies Bildnis ist bezaubernd schön en secoue la candeur traditionnelle et s'accorde particulièrement bien au timbre nacré et subtil de la jeune Nadine Sierra en Pamina. Des lauriers également pour le pétulant Papageno de Michael Volle, dont l'abattage et la roublardise connaissent l'art de se mettre le public dans la poche. René Pape campe quant à lui un Sarastro austère et bien pontifiant, empruntant au roi Heinrich qu'il chante en alternance sur la même scène, sa densité et sa lumière noire. Le Monostatos d'Andreas Conrad dessine un personnage entre bouffon et cruauté tandis qu'au rayon "inclassables", la Reine de la Nuit d'Albina Shagimuratova taille son chemin dans de rugissantes vocalises, telle une Walkyrie tombée du ciel. On remarquera la présence en Sprecher du vétéran José van Dam, au port toujours altier et majestueux et le timbre capiteux de Nadine Weissmann en Troisième Dame.
Dans la fosse s'active Henrik Nánási, directeur musical de la Komische Oper de Berlin et ce soir-là bien embarrassé entre allègement des textures et finition rythmique perfectible. L'entreprise parvient à bon port mais au prix de quelques tunnels qui plombent la continuité et l'équilibre de ce conte ici très serioso.