Richard WAGNER (1813–1883)
PARSIFAL (1882)
Bühnenweihfestspiel in drei Aufzügen
Festival scénique sacré en trois actes
Texte de Richard Wagner
Créé le 26 Juillet 1883 au Festspielhaus de Bayreuth

Sir Simon Rattle  DIRECTION MUSICALE
Dieter Dorn  MISE EN SCÈNE
Magdalena Gut  DÉCORS
Monika Staykova  COSTUMES
Martin Gruber  CHORÉGRAPHIE
Tobias Löffler  LUMIÈRES
Berliner Philharmoniker

Stephen Gould PARSIFAL
Ruxandra Donose KUNDRY
Franz-Josef Selig GURNEMANZ
Gerald Finley AMFORTAS
Evgeny Nikitin KLINGSOR
Robert Lloyd TITUREL
Neal Cooper  UN CHEVALIER
Guido Jentjens UN CHEVALIER

Iwona Sobotka, Kiandra HowarthElisabeth Jansson,
Mari EriksmoenIngeborg GilleboKismara Pessatti    FILLES FLEURS

Ingeborg Gillebo, Elisabeth Jansson,
Neal CooperIurie Ciobanu                    ÉCUYERS

Kismara Pessatti  VOIX D'EN HAUT

Philharmonia Chor Wien
CHEF DE CHOEUR : WALTER ZEH

Festspielhaus Baden-Baden, 30 mars 2018 (Vendredi Saint)

Comme Claudio Abbado 16 ans auparavant, pour ses adieux au Festival de Pâques (désormais à Baden-Baden et non plus à Salzbourg) Sir Simon Rattle a choisi Parsifal comme dernier opéra de son ère à la tête des Berliner Philharmoniker. Une œuvre qu’il connaît bien et qui une fois encore fait briller l’orchestre d’une manière telle que le son berlinois emporte tout sur son passage ; ayant réuni une distribution remarquable, ce sont des adieux triomphaux qu’il a faits à Baden-Baden.

Scène du Graal (Acte I) Gerald Finley (Amfortas)

À la différence de son prédécesseur qui faisait couronner le travail avec l’orchestre par une exécution concertante à Berlin plusieurs mois avant le Festival de Pâques, Sir Simon Rattle préfère travailler le spectacle et la version scénique avant de présenter la version concertante à Berlin, avec dans les deux cas de sensibles changements de distribution. Et pour Parsifal et comme lors de l’exécution par Abbado, une sensible différence d’ambiance et de rendu entre la salle de Baden-Baden (ou de Salzbourg) et celle de la Philharmonie de Berlin en faveur de cette dernière. Nous n’avons assisté qu’à la représentation de Baden-Baden, mais les échos que nous avons de l’exécution de Berlin nous font dire que Parsifal est une pièce idéale pour la salle de la Philharmonie de Scharoun, qui permet une distribution des chœurs et une gestion de l’espace sonore avec lesquels aucun théâtre ne peut rivaliser, et du même coup illustre in loco la célèbre réplique de Gurnemanz « Zum Raum wird hier di Zeit » ((Ici le temps devient espace)).
Et comme du temps d’Abbado, la production (aujourd’hui de Dieter Dorn, jadis de Peter Stein) n’a pas réussi à imposer une vision forte, et en tous cas n’a pas atteint le niveau sublime de l’orchestre, d’où forcément déception, d’où forcément un problème de Gesamtkunstwerk car ce que nous avons vu sur scène n’a fait que renforcer l’opinion de ceux qui disent qu’une exécution concertante aurait fait tout aussi bien (en l’occurrence à Berlin sans doute mieux, mais à Baden-Baden, sans doute pas).
La question des productions de Baden-Baden se pose à plusieurs niveaux, aussi bien artistiques qu’économiques et sociologiques. Le public du Festival de Baden-Baden est moins habitué que celui de Salzbourg aux productions un peu décoiffantes. Salzbourg a eu son Mortier pour remuer le cocotier et même si Pâques et Été ne se superposent pas, il reste que certaines habitudes sont prises.
La deuxième question est économique : si l’on remonte dans les productions de Baden-Baden, seules Die Zauberflöte (Robert Carsen) et Tristan und Isolde (Mariusz Trelinski) ont été des coproductions avec Paris pour l’une et New York pour l’autre et donc réalisées avec des moyens plus importants. Évidemment cela ne signifie pas qu’une bonne production doit forcément être riche, mais certaines ont souffert d’un cruel manque de moyens (Der Rosenkavalier de Brigitte Fassbaender par exemple).
Enfin au niveau artistique, l’énormité du théâtre et du plateau déterminent des choix, mais le directeur artistique, Andreas Mölich-Zebhauser qui n’a jamais été trop intéressé par la question scénique. Baden-Baden est un Festival d ‘ « events » où les mises en scènes trop problématiques ou idéologiques ne semblent pas trop bienvenues.
Le choix de Dieter Dorn est d’abord celui d’un nom qui court les théâtres depuis des décennies (pour mémoire, il mit en scène en 1979 Ariadne auf Naxos à Salzbourg, dirigé par Karl Böhm, il signa aussi un Fliegende Holländer à Bayreuth avec une maison en suspens qui tournait sur elle-même du plus bel effet, et plus récemment il a signé le Ring de Genève. C’est un solide professionnel qui a souvent fait de bons spectacles, mais sans rien laisser d’historique.

Kundry (Ruxandra Donose) Scène finale

Ce Parsifal ne restera pas dans les mémoires non plus, au pire dans le carnet noir des productions à oublier. Le livret est suivi avec attention, avec deux idées (pour ma part c’est le maximum que j’ai pu compter) d’une part Amfortas au troisième acte se dénude pour montrer où est exactement la fameuse blessure, et le rideau final se ferme sur Kundry, qui a retrouvé sa robe de séductrice, un peu comme chez Kupfer où le rideau du Ring se fermait sur Alberich…Pour le reste, ordinaire administration dans un monde plutôt cheap, une sorte de Parsifal chez les Zadistes, dans un univers où tout bouge. Le décor, de Magdalena Gut est fait de structures de bois sur roulettes, qui ne cessent d’être bougées dès le début et pour des raisons qui restent mystérieuses, les machinistes déguisés en chevaliers font se déplacer les praticables sans qu’on ait la moindre idée du motif, sinon celui d’un monde instable et qui sans doute le restera. Seule la scène du Graal à la suite de ces déplacements incessants finit par ressembler à une sorte de Théâtre du Globe, un peu désordonné, car la scène du Graal n’a rien de la somptueuse majesté ordonnée qu’on voit quelquefois (une idée ??).
Au troisième acte, les structures de bois ont perdu quelques lattes, parce qu’il faut faire pauvre et décati. Tout cela ne va pas bien loin.
Le deuxième acte est un exemple de vacuité, avec un Klingsor traditionnel en hauteur avec projecteur (il y avait à peu près pareil chez Peter Stein il y a 16 ans…). Quant à Kundry, elle reçoit sur un lit circulaire, dans des positions qui rappellent Eva Randova chez Wolfgang Wagner il y a…une quarantaine d’années. Pour le reste et à part l’évocation de ces souvenirs, il n’y a rien à tirer de ce travail qui travaille peu sur l’acteur et laisse les chanteurs livrés à leurs habitudes. Ceux qui comme Gerald Finley, (Amfortas) ont une vraie personnalité scénique s’en tirent, les autres font comme ils peuvent.
C’est donc un travail inutile, qui ne laissera aucune trace tangible.

Il en va autrement du point de vue musical, bien évidemment. Et l’on regrette d’autant plus la pauvreté scénique, inversement proportionnelle à la sublime exécution musicale des Berliner Philharmoniker, qui ont la fraîcheur des orchestres symphoniques explorant le répertoire d’opéra, toujours fortement engagés dans la musique sans être jamais blasés. C’est toute la différence avec les Wiener Philharmoniker, pour qui l’opéra est un quotidien, et qui abordent ce répertoire certes somptueusement, mais avec des habitudes.
Ainsi, ces mêmes Berliner avaient stupéfié il y a 16 ans inspirés et fascinés par un Claudio Abbado encore affaibli, mais qui avait à Berlin notamment produit un Parsifal totalement hors normes, utilisant notamment un chœur d ‘enfants au lieu de l’habituel chœur de femmes et des cloches orientales énormes qui donnaient à la Verwandlungsmusik un caractère de fin du monde.
C’est une exécution ici plus traditionnelle, mais qui fait rêver : où entend-on une telle petite harmonie, une clarinette comme celle d’Andreas Ottensamer ? Une flûte comme celles de Pahud ou de Dufour (qui officiait ce soir-là)? Un basson comme celui de Schweigert ? Où entend-on des cuivres impeccables, au son si net, si tenu, sans une scorie ?
Alors oui, on se laisse aller à l’émerveillement, à l’ivresse d’une musique sublime exécutée dans une perfection qu’il est difficile de se représenter.
Sir Simon Rattle agit en « exhausteur de son », et travaille à mettre en valeur cet ensemble de musiciens exceptionnels, à mettre en relief les qualités de l’orchestre mais sans proposer cependant une lecture si originale. Elle m’est apparue plutôt conforme, sans vrai dramatisme, sans toujours créer des « moments », et souvent superficielle, dans un tempo relativement rapide, et ne disant pas grand-chose. Rien à voir avec la profondeur métaphysique d’un Barenboim, rien à voir non plus avec l’abîme mystique créé par un Abbado qui provoquait au final un silence si long chez des spectateurs qui hésitaient à applaudir..
Le chœur Philharmonia  de Vienne (direction Walter Zeh) a offert une prestation de grand niveau avec notamment de magnifiques voix féminines.

Du côté de la distribution, on a réuni un groupe de chanteurs de très haut niveau, qui ont défendu l’œuvre non sans grandeur.

Franz-Josef Selig (Gurnemanz), Acte I

Sans avoir la profondeur de certains Gurnemanz du présent (Pape) ou du passé (Moll), Franz-Josef Selig propose un personnage peut-être un tantinet moins noble que dans la tradition, mais le contrôle sur la voix est remarquable, la diction exemplaire, les graves exceptionnels. Peut-être dans les notes aiguës, l’organe se fissure-t-il, mais c’est à peine perceptible. Il reste que le chant est particulièrement expressif, habité même, et que Selig fait entendre le texte dans ses moindres inflexions.
On attend le Parsifal de Stephen Gould, parce que ce choix tranche avec des voix quelquefois plus lyriques. On est face à un ténor héroïque qui nous fait entendre dans les parties les plus tendues des couleurs tristanesques dont Gould est aujourd’hui l’un des plus grands interprètes, sinon le plus grand. Mais la voix héroïque convient bien aussi à cette incarnation, très engagée vocalement, et dans laquelle Gould n’éprouve pas de difficulté particulière. Il sait aussi contrôler le volume et livrer des sons particulièrement délicats et lyriques, enfin le timbre, d’une grande clarté, est toujours particulièrement séduisant.
Gerald Finley en Amfortas reste le très grand sculpteur de mots qu’on connaît. Amfortas est un des rôles qui convient le mieux à des chanteurs soucieux du mot, de la couleur, à des chanteurs de Lied. Il offre un Amfortas exceptionnel, comme on pouvait l’attendre d’un chanteur aussi précis, et aussi régulier. Il est émouvant au premier acte mais déchirant au dernier proposant une incarnation scénique vraiment convaincante, et d’une dignité rare.
Evghenyi Nikitin est Klingsor, le rôle convient bien à sa voix et à son style. Mais Nikitin a un éternel problème de projection qui dans une salle aussi vaste, ne peut que lui nuire, d’autant que la mise en scène le fait chanter d’abord au fond et en hauteur où l’on perd la moitié des mots. Il faut qu’il descende de son podium (piteuse solution scénique…) et s’avance vers la rampe pour qu’on l’entende parfaitement.
Enfin le vétéran Robert Lloyd offre de Titurel de très beaux restes d’une voix qui fut l’une des gloires du chant britannique.

L’ensemble des filles fleurs était tout à fait remarquable, avec des voix qui allaient parfaitement ensemble ce qui n’est pas toujours le cas qui valent d’être citées : Iwona Sobotka, Kiandra Horwath, Elisabeth Jansson, Mari Eriksmoen, Ingeborg Gillebo et Kismara Pessatti.

Ruxandra Donose (Kundry)

La plus jolie surprise est pour la fin : Evelyn Herlitzius devait être Kundry, et elle a annulé, remplacée par le mezzo-soprano roumain Ruxandra Donose, une chanteuse qu’on a entendue plutôt dans du répertoire belcantiste et qui ne semblait pas avoir le format habituel d’une Kundry.
De fait, on est loin des bêtes sauvages ou des voix énormes à la Rysanek ou à la Meier, voire à la Stemme. Sa Kundry est vraiment très différente, mais tout à fait convaincante, avec un chant très contrôlé, très soucieux du phrasé et des mots, très expressif aussi. On sent que le contrôle nécessaire au bel canto est passé par là. C’est une Kundry lyrique, très présente et aux aigus jamais criés qui tranche avec les Kundry habituelles sans jamais démériter ni montrer une quelconque faiblesse, avec une technique de fer. Une belle surprise, qui montre que le chant intelligent se joue de toutes les difficultés.

Un Parsifal à entendre donc, pour lequel j’ai quand-même quelquefois fermé les yeux…

Scène du Graal (Acte I)
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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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2 Commentaires

  1. Ayant assisté à une des deux représentations berlinoises, c'était Dufour qui tenait la flûte solo. Je suis donc surpris d'apprendre que c'est Pahud qui officiait à Baden-Baden, mais pourquoi pas.
    Bravo pour vos c‑r, toujours agréable à lire.

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