Gaetano Donizetti (1797–1848)
Don Pasquale (1843)
Dramma buffo en trois actes
Livret de Giovanni Ruffini et Gaetano Donizetti d’après Angelo Anelli

Orchestre et Chœurs du Teatro alla Scala di Milano

Direction musicale           Riccardo Chailly
Mise en scène                    Davide Livermore
Décors                                 Davide Livermore e Giò Forma
Costumes                            Gianluca Falaschi
Lumières                            Nicolas Bovey
Vidéo                                   Video Design D‑Work
Chef de chœur                   Bruno Casoni

Don Pasquale             Ambrogio Maestri
Norina                         Rosa Feola
Ernesto                        René Barbera
Dottor Malatesta       Mattia Olivieri
Un notaio                    Andrea Porta

Nouvelle production du Teatro alla Scala

Milano, Teatro alla Scala, vendredi 6 avril 2018

Hommage du metteur en scène Davide Livermore à la Rome cinématographique des années 50 pour la nouvelle production de Don Pasquale de Donizetti , dirigée par un Riccardo Chailly particulièrement attentif à rendre la couleur musicale de l’opéra. La distribution réunie pour l’occasion est correcte, mais elle doit se confronter à un titre qui souffre du volume de la salle de Piermarini.

Rome : la maman de Don Pasquale vient de mourir subitement. Don Pasquale et son neveu Ernesto sont inconsolables…

Traduit de l'italien par Guy Cherqui

“[…] je commence les répétitions d’un nouvel opéra bouffe, composé pendant que tu étais en voyage, qui m’a coûté plus de dix jours de peine, pour la Grisi, Lablache, Mario et Tamburini : titre : Don Pasquale. C’est le vieux Marcantonio (ça, tu le diras pas)((Opéra bouffe à succès de Stefano Pavesi, Milan 1810)). […]”((Gaetano Donizetti à son beau-frère Antonio Vasselli, lettre du 12 novembre 1842 cit. in “Le prime rappresentazioni delle opere di Donizetti nella stampa coeva” par  A. Bini et J. Commons, Milano 1997, p.1089.))

Génial, Donizetti le fut et en deux mots rapides il résumait ainsi à son beau-frère la genèse d’un chef d’œuvre qui trouve ses racines dans la mélancolie et l’ennui romains. Comme il y tenait, il a pris tout le temps nécessaire (…dix jours… !) en partant d’un sujet banal et vieillot, déjà mis en musique par Stefano Pavesi trente ans avant qui tint à peine deux décennies.

Comme de coutume, il s’occupa des répétitions et de la mise en scène pour la création dans un théâtre aussi important que Les Italiens de Paris qu’il connaissait bien pour y avoir rivalisé avec I Puritani de Bellini au temps de Marin Faliero.

Quand on lit les noms des quatre protagonistes, un cast de stars pour l’époque, il est presque trop facile d’identifier les caractères des différents personnages. La présence d’une Giulia Grisi qui dans le même théâtre avait été l’Elvira des Puritani, fait tout de suite penser à une Norina protagoniste absolue de la production, qui avec des accents de soprano colorature, et même de colorature dramatique, pouvait rendre crédible la gravité de certaines scènes (surtout celle de la gifle qui détruit le monde de Don Pasquale ridiculisé et qui nous amène, dans la comédie, au bord des larmes de compassion) pour se transformer en un clin d‘œil en une piquante soubrette à la voix imposante .
Le ténor Mario (de son vrai nom Giovanni Matteo De Candia) venait de devenir dans la vie le compagnon de la Grisi, et pouvait afficher une voix belle et douce, idéale pour lignes mélodiques raffinées mais pas trop aiguës ni liées, celles que justement pouvait soutenir d’une manière incomparable l’immense Rubini.
Les deux bouffes Lablache et Tamburini représentent quant à eux les archétypes idéaux pour le rôle du bon géant à la voix puissante mais à l’articulation très agile, et pour celui de la canaille, baryton léger et moteur de farces matrimoniales complexes , comme par hasard.

Le sens du Don Pasquale peut être complété par une autre ligne écrite au beau-frère à la même époque : « Je ris mais tu sais bien qu'au fond du coeur j'ai peut-être cette mélancolie qui m’opprime et qui me la fait cacher derrière la gaieté. »((Lettre cit. in Gustavo Marchesi, “L’Opera lirica”, 1986, p. 191.))

La Scala a confié cette nouvelle production importante dirigée par son directeur musical Riccardo Chailly à l’ex chanteur Davide Livermore, qui encore une fois a construit une mise en scène allègre, originale, imaginative, et, cela saute aux yeux, attentive aux valeurs de la musique.

Livermore respecte le cadre romain d’origine, il se contente de le transpeoser un peu plus d’un siècle plus tard, dans la Rome des années 50, celle de la grande comédie à l’italienne à laquelle le metteur en scène renvoie explicitement dans les notes du programme de salle et dans les interviews des derniers jours. De Sica, Visconti, Fellini donc mais aussi, Germi, Risi, Monicelli, monstres sacrées de qui s’inspirer et à honorer dans la représentation de cette comédie à l’italienne dans laquelle des acteurs comme Totò, Fabrizi, De Filippo, Sordi, Gassman, Vitti se libérèrent de leur propre masque pour représenter par d'incomparables caractérisations  qualités et défauts d’un pays aux prises avec sa propre reconstruction.

Rome au premier plan pour l’entrée de Norina (Rosa Feola) (Acte I).

Après ces prémices, l’entrée de Cinecittà, gloire de l’industrie cinématographique made in Italy, devient le scénario idéal pour la cavatine de Norina qui arrive au volant de la Spider du Fanfaron ((Film de Dino Risi – 1962)). Sur le côté, l’affiche d’un Maciste justifie l’apparition de figurants en centurions, romains et romaines qui sortent du plateau. La fameuse Spider, objet fétiche tout comme la citrouille de Cendrillon qui se transforme en carrosse, s'élève au-dessus des toits de Rome, sur l’immanquable coupole de Saint Pierre, pour compléter le tour, au cas l’on ne saurait pas où on est.
Immanquable aussi la Vespa de Vacances romaines, sur laquelle caracole le faux notaire qui a tout de la petite frappe de banlieue.

Une “virtù magica” qui donne des ailes : Norina (Rosa Feola) dans la cavatine d’entrée.

Les images suggestives se suivent pendant tout l’opéra avec cohérence et élégance.

“Norina Confezioni”: un défilé de mode pour le duo Norina-Malatesta (Rosa Feola, Mattia Olivieri) au final de l’acte I

Dans une Rome qui commence à se libérer des difficultés économiques et politiques et qui sent sa future dolce vita, la jeune veuve Norina chante son  duo avec Malatesta devant la Norina Confezioni , son atelier de mode (la jupe improbable qu’elle affiche, évidemment de sa production, justifie la recherche d’un mari aisé).
Le deuxième acte, qui commence par l’air d’Ernesto totalement noyé dans ses pensées de fuite nous met dans une salle de gare, avec ses arrivées et ses départs, et le solo de trompette désolé (qui suffirait seul à consacrer la gloire de Donizetti) suscite une émotion que crée le parallèle avec La Strada des géants Masina et Fellini.
La scène du bosquet du dernier acte nous transporte en banlieue, évocation des pins de Rome, du Luna Park, du gazomètre, et la Spider déjà vue, ainsi que quelque figure féminine douteuse qui se promène dans la périphérie romaine complètent le tableau.

Périphérie romaine pour la scène finale de l’opéra

Et le protagoniste, Don Pasquale ? Livermore illustre sur scène une véritable analyse psychologique de sa vie en s’inventant la figure de sa mère, et l’opéra commence par son enterrement.

Acte I : Malestesta et Don Pasquale (Mattia Olivieri, Ambrogio Maestri) font des projets de nouvelle vie après l’enterrement de la mère du protagoniste.

 

L’ouverture, à scène ouverte, est l’occasion de parcourir en un flashback ses premiers amours d’enfant, d’adolescent, d’adulte. Rien à faire, impossible de passer par-dessus cette mère Marie-mêle tout et de réaliser le rêve d’amour.
Voilà le désir de mariage de ce vieux Don Pasquale expliqué par la libération conquise tardivement de cette Tina Pica ((Actrice italienne comique, très populaire dans les comédies des années cinquante)) oppressive.

Tina Pica

Il reste d’elle le portrait accroché aux murs de chaque pièce de la maison, dont l’expression changeante montre sa vengeance sarcastique à mesure que la farce prend forme.

Acte I : photo de famille avec oncle et neveu Ernesto (Ambrogio Maestri, René Barbera) sous le regard attentif de la mère de Don Pasquale

Voilà un Don Pasquale mis en scène sans un moment de suspension ni même de vraie tristesse. Et voilà justement ce qui a manqué au spectacle pour en rendre la mélancolie couverte par la gaieté dont parle l’auteur.

En effet, Don Pasquale est un opéra d’intérieurs vieillots et poussiéreux, les mêmes depuis tant d’années et il faut attendre la fin de l’opéra pour sortir dans le jardin. Ce n’est pas une œuvre pour des décors qui tournent et des intrigues qui traversent divers espaces  intérieurs et extérieurs.

Au centre, la gifle de Norina est la clef de voûte d’une histoire cent fois vue et revue, quand tout à coup le froid nous saisit à l’improviste et où en un instant l’auteur nous contraint à ressentir de la peine pour ce pauvre barbon de Don Pasquale jusque là seulement ridicule.
C’est ainsi que l’on ne perd pas le sens du dramma à l’avantage exclusif du buffo, comme cela nous a semblé à certains moments de la soirée.

À la direction des forces scaligères, Riccardo Chailly a pleinement convaincu par sa constante recherche de timbres et de couleurs souvent inattendus, soutenue par une précision instrumentale notable, jamais finalisée à elle-même, mais laissant au contraire s’épanouir le sentiment et l’émotion.  Un rendu général toujours meilleur, notamment à partir du deuxième acte.

L’intervention du chœur au troisième acte a été très réussie, soutenue de manière magistrale par l’orchestre qui a ensuite retrouvé les couleurs adaptées et l’humour dans le duo “Cheti cheti immantinente”, en réussissant à faire passer ainsi au second plan l’exécution médiocre des chanteurs.

Quelques problèmes d’homogénéité entre sections de l’orchestre et quelques sonorités excessives sont probablement à imputer à l’acoustique difficile d’une salle comme celle de Piermarini , surtout pour des œuvres de ce type à qui profiterait un cadre plus réduit qui ne contraindrait pas les chanteurs à forcer la voix aux dépens du phrasé. (( Même si l’œuvre a presque toujours été représentée dans la grande salle du Teatro alla Scala depuis 1951, une édition a été proposée à la Piccola Scala, idéale pour cet opéra, en 1958–59, mise en scène Franco Zeffirelli, direction Nino Sanzogno, avec Bruscantini, Panerai, Alva, Sciutti ))

Distribution correcte dans son ensemble. Ambrogio Maestri en Don Pasquale n’était cependant pas à son aise dans les graves ni dans l’articulation du duo final avec une ligne vocale qui l’oblige à divers moments à frôler le parlato à mesure qu’il monte à l’aigu, au péril de la justesse.
Le soprano Rosa Feola s’en est bien sorti dans le rôle de Norina, grâce à un phrasé soigné et une voix à l’émission correcte dans toute son extension, et aussi par une interprétation remarquable qu’on devine en accord total avec la vision de la mise en scène. La voix est celle d’un soprano lyrique aux agilités non pyrotechniques mais qui exécute avec sûreté tout ce qui est écrit dans la partition ; en rendant au mieux toutes les facettes de son personnage, elle finit par être la protagoniste de la soirée.

Au ténor René Barbera a été confié le rôle difficile d’Ernesto ; il exécute dans son intégralité ce qui est écrit (notons la manière courageuse dont il clôt la cabalette avec variations de l’acte II) mais sans particulière propension aux nuances ni mezze voci, avec un phrasé un peu plat, malgré une certaine précision et une vraie sûreté dans l’intonation.
Scéniquement, le Dottor Malatesta de Mattia Olivieri joue les coquins, mais vocalement en revanche ne montre pas autant de sûreté aussi bien dans le grave que dans l’aigu, avec un phrasé plutôt monotone.
Notons enfin le notaire correct en version canaille sympathique d’Andrea Porta.

À la fin de la représentation applaudissements nourris pour tous, en particulier pour Feola, Maestri et Chailly.

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Paolo Malaspina
Paolo Malaspina est né en 1974 e fréquente le monde de l’opéra depuis 1989. Il pris des cours privés de chant lyrique et d’histoire de la musique, en parallèle avec des études en ingénierie chimique. Il obtient son diplôme en 1999 auprès de l’Ecole polytechnique de Turin avec une thèse réalisée en collaboration avec l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Toulouse. Ses intérêts en matière musicale s’orientent vers le XIXème et XXème siècles, avec une attention particulière à l’histoire de la technique vocale et de l’interprétation de l’opéra italien et allemand du XIXème.

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