Quelques préliminaires « as usual »
Encore et toujours Rossini, encore et toujours Il Barbiere di Siviglia ; mais aussi encore et toujours Beaumarchais qui sur la trilogie de Figaro (ses œuvres les plus connues) en a laissé deux à la légende de l’opéra, pour des raisons différentes, Le barbier de Séville et Le mariage de Figaro. On oublie d’ailleurs qu’il est l’auteur du livret de Tarare, l’opéra de Salieri (1787).
Certes la comédie du XVIIIe français est fortement marquée par la tradition italienne et la Comédie italienne a été pendant la première moitié du siècle la troupe officielle qui faisait vivre en quelque sorte la commedia dell’arte en France, Marivaux en sait quelque chose. Beaumarchais prend la suite, habillant les personnages de la commedia dell’arte dans une trame traditionnelle où il transforme Arlequin/Scapin en Figaro, l’homme à tout faire, le réservoir à idées. Figaro est créé en 1775, comme personnage français, créé au Théâtre Français alors qu’une première version (refusée) avait été proposée aux comédiens italiens. Figaro est le dernier avatar français de toute une tradition italienne passée aussi au filtre moliéresque avec ses variations comme Scapin.
Figaro à l’opéra commence par Paisiello, avec le premier Barbiere di Siviglia (1782), puis par Mozart dans Le Nozze di Figaro en 1786. Il faut attendre 1816 pour que le personnage soit définitivement gravé dans le marbre par Rossini, sans jamais changer de tessiture (Baryton ou baryton-basse) au contraire d’Almaviva, ténor chez Paisiello et Rossini, baryton-basse chez Mozart.
Commencer par ce rappel, c’est marquer que Don Pasquale est peut-être le dernier opéra-bouffe (dramma buffo) qui suit le schéma ouvert par la commedia dell’arte. C’est la fin d’un genre, et peut-être d’une période de l’opéra.
Signe quasi céleste, par un incroyable hasard, le tout début de 1843, c’est Don Pasquale à Paris le 3 janvier, et au loin sur les bords de l’Elbe, c’est, un jour auparavant, le 2 janvier, Der Fliegende Holländer de Richard Wagner. Le même jour ou peu s’en faut, la fin d’un monde lyrique et le début d’un autre. Fascinant.
La trame de Don Pasquale prend sa source dans un opéra créé à la Scala en 1810, Ser Marcantonio d’un compositeur particulièrement prolifique de la période, Stefano Pavesi, sur un livret de Stefano Anelli, qui eut un gros succès (54 représentations), et qui fut repris d’abord à Paris puis ailleurs, pour finir sa carrière (importante) à Vienne en 1842, un an avant que Donizetti n’emporte toute la mise avec son Don Pasquale. Il est fort probable que le succès immédiat de Donizetti envoya aux oubliettes l’opéra de Pavesi.
Si nous avons insisté sur le schéma traditionnel de l’histoire, et ses sources et motifs à chercher certes directement chez Pavesi, mais aussi encore et toujours chez Rossini, il est clair que Donizetti voulait écrire un opéra qui fût dans l’actualité et les modes de la période. Une des lois du comique, – c’est très différent du drame ou de la tragédie au moins à cette période – c’est qu’il faut qu’il soit en prise avec son temps, que le public y reconnaisse des musiques, des rythmes du temps, une sorte de modernité. C’est un paradoxe, mais cette modernité est la condition de l’entrée au répertoire, c’est-à-dire au Musée et au conservatoire des œuvres…
La comédie doit parler directement au public, par le ton, par les personnages, par la musique et les rythmes. Et Donizetti voulait cette modernité-là. Il va par exemple user des rythmes de valse, la danse qui alors explosait dans les salons et les bals.
Il faudra attendre La Traviata de Verdi et plus tard la Carmen de Bizet, pour qu’à leur tour les drames soient en prise directe avec l’époque.
Enfin, c’est une femme qui est le centre de la pièce : la production de Donizetti met en valeur essentiellement des personnages féminins, que ce soit dans le mélodrame ou dans le bouffe. C’est le cas ici de Norina, face à un Don Pasquale ridicule et un Ernesto pâlichon. Donizetti semble fasciné par la variété des personnages féminins et leur volonté de prendre en main leur destin, qu’on pense à la figure d’Elisabetta, mais aussi celle de Maria Stuarda et à toute cette galerie de personnages féminins singuliers qui remplissent la production immense de Donizetti, à commencer par Zoraida que nous évoquions dans un article précédent en passant par Lucia et pour finir peut-être par Léonor de Guzman, la Favorite. Et dans les comédies, que ce soit Dans Convenienze e inconvenienze teatrali (Viva la mamma) où justement la « mamma » est centrale (et chantée par une voix masculine…) mais aussi Marie de la Fille du régiment ou Adina dans L’Elisir d’amore, une galerie à laquelle s’ajoute Norina qui nous occupe ici, à chaque fois se dessine un personnage féminin fort, en somme, une fois encore des femmes qui savent ce qu’elles veulent.
C’est pourquoi je tempère fortement la vision qu’on dit « féministe » de Niermeyer. En réalité, la mise en scène ne fait de souligner un personnage dont Donizetti avec les modes de son époque affirmait déjà la liberté et la volonté, Niermeyer le souligne avec les lieux communs de notre époque qui voudrait que toute affirmation d’une femme libre soit féministe. Elle n’est pour moi que naturelle et légitime.
À côté des femmes, les hommes font assez pâle figure, au moins les ténors, il était question il y a quelques jours de Roberto Devereux, nous évoquions aussi L’Elisir d’amore où Nemorino est un doux agneau qu’on doit guider et manipuler, et Ernesto dans Don Pasquale qui sans Malatesta serait un peu perdu…On pourrait même trouver entre Gaetano Donizetti et Richard Strauss une sorte de similitude à travers leur travail sur la vocalité féminine et sur les personnages féminins qui dominent la scène. Die Schweigsame Frau, c’est un peu le Don Pasquale de Richard Strauss.
La production
C’est justement cette question de la femme qui va être traitée de manière assez traditionnelle d’abord, plus subtile ensuite, par Amelie Niermeyer dans sa production qui joue à la fois sur le buffo et le mélancolique, et travaille, notamment dans la première partie, d’une manière raffinée sur le contexte, qu’elle a rendu contemporain, en transformant la vision du personnage de Don Pasquale, pas aussi ridicule et superficiel que dans d’autres visions.
C’est par la manière qu’Amelie Niermeyer a de travailler sur contexte qu’elle est la plus convaincante, et moins, d’un point de vue strictement scénique, dans le glissement vers le performatif, la comédie musicale à la fois souriante et virevoltante, qui noie ensuite en seconde partie un peu le propos sous les couleurs et le joyeux désordre, comme pour en atténuer l’effet.
C’est vraiment la première partie, qui conduit au mariage de Don Pasquale, qui m’est apparue la plus travaillée, non dénuée de profondeur et évitant la caricature.
Dans l’histoire traditionnelle, Don Pasquale est un barbon avare (comme presque tous les barbons) qui veut déshériter son neveu Ernesto en épousant une jeune veuve proposée par le Docteur Malatesta, le « Figaro » de l’occasion.
Évidemment comme tout bon Figaro, Malatesta travaille pour Ernesto et va donc circonvenir Pasquale par un faux mariage avec faux notaire etc… C’est un peu, nous l’avons dit, la trame du Barbiere di Siviglia revue en sauce plus contemporaine, avec une Norina un peu plus délurée que Rosina (même si vous aurez remarqué l’assonance entre les deux prénoms…).
À partir de cette trame, Amelie Niermeyer propose un contexte moderne, disons années 1970–80, d’une villa assez luxueuse avec piscine, où un Don Pasquale confortable retraité coule des jours heureux à s’occuper de lui et de lui seul. Il n’apparaît pas du tout « avare » mais plutôt exclusivement préoccupé de lui, de son corps avec exercices physiques à la clé, de son confort (bar abondamment pourvu) et pour qui le neveu Ernesto compte peu, qui serait bien plutôt un empêcheur de jouir en rond, un élément perturbateur d’une existence réglée sur son horloge personnelle. Tout est à son service et Niermeyer insiste bien sur cet aspect avec les trois domestiques (d’ailleurs excellents acteurs) et tout son petit monde qui tourne autour de lui. Planète Pasquale.
Le décor de Maria-Alice Bahra (qui signe aussi les costumes) est donc installé sur une tournette, un décor aéré (nous sommes sur une terrasse, il y fait bon, la vie est cool) qui laisse voir à la fois l’endroit, la villa, le confort, la richesse et l’envers, les poubelles d’un côté, une R5 rouge de l’autre où il se passe des choses dont Don Pasquale se moque éperdument et où visiblement vit une Norina vaguement SDF, en tous cas vagabonde…
Subtilement, Niermeyer construit deux mondes qui s’ignorent, le monde des « riches » et celui des pauvres ou du travail, le monde de la lumière et de l’ombre. La présence des poubelles est juste un signe, celui d’un monde qui fonctionne pour le confort des plus riches par le travail des domestiques et « des autres », les « invisibles » à leur service.
Quant à la R5 où vit Norina, c’est un peu moins simpliste : elle est, avec Malatesta, celle qui vit une vie de marginale, mais qui veut profiter des retombées de la vie de ceux qui peuvent, d’où la relation à Ernesto, d’où le rôle de Malatesta, faux docteur, faux notaire, mais vrai « parasite »…
Car la référence explicite de la metteuse en scène, c’est justement le film Parasite, le film de Bong Joon Ho (2019) qui traite de ces confrontations de classe.
Ainsi donc Amelie Niermeyer pose donc d’un côté Don Pasquale riche oisif égoïste, et le neveu Ernesto qui n’a pas l’air de faire grand-chose sinon attendre l’héritage (une sorte de parasite lui-aussi) et de l’autre Malatesta et Norina, les deux parasites qui vont monter le stratagème pour « dévorer » de l’intérieur, telles de sympathiques mantes religieuses, la vie tranquille de Pasquale.
Ainsi on est moins dans le « buffo » pur que dans une sorte de comédie qui pose comme thématique les écarts sociaux (j’évite à dessein l’expression « lutte des classes « ) mais Niermeyer le fait en souriant. La présentation de Norina en « vamp religieuse » déclenche les rires, ainsi que le mariage avec un notaire désopilant et très bien incarné par Fulvio Valenti.
Dans le contexte aucun personnage n’est ridicule, et ce qui suinte chez Don Pasquale, c’est plutôt l’oisiveté et le désir d’une vie un peu plus « rangée » avec une femme aux ordres de son mari. Le rêve de Don Pasquale est un rêve petit-bourgeois, assez typique de la Monarchie de Juillet (nous sommes en 1843) …
Mais une banderole brandie opportunément au moment de son (faux) mariage nous dit d’abord que l’amour n’a pas d’âge, ça c’est pour Don Pasquale, mais surtout qu’il n’a pas de frontières – entendre frontières sociales ou autres, et ça c’est un avertissement sans frais de ce qui va se passer dans la seconde partie. Rappelons-nous de cette banderole, une autre va apparaître à la fin.
L’autre question c’est Ernesto. Niermeyer dit de lui qu’il est amoureux, impulsif et colérique, et qu’il n’arrive pas à se mettre réellement en phase avec Norina. Le problème d’Ernesto, c’est qu’il ne fait rien, qu’il vit aux crochets d’autrui et qu’il n’a pas de statut sinon celui d’être « l’amoureux » , il n’a aucun but, aucune utilité sociale ; face à Norina, il ne fait pas le poids.
En fait elle lui fait découvrir sa vacuité en quelque sorte, et il en est émouvant. Emouvant de découvrir qu’il n’est pas grand-chose…
La deuxième partie crée volontairement la confusion.
Niermeyer utilise le chœur pour en faire les déménageurs qui vont transformer la maison.
C’est le point pour moi le plus problématique : j’eus aimé un désordre plus définitif, une sorte de destruction totale de la maison ordonnée qu’avait construite Don Pasquale, comme le passage d’un ouragan. On n’a qu’un ballet souriant.
Au milieu de ce ballet chantant de déménageurs, Pasquale est perdu, mais on aimerait le voir un peu plus perdu, un peu plus au désespoir, un peu plus esseulé, un peu plus « dramma ».
On le voit mieux pour Ernesto, qui semble éberlué et presque exclu par ce qui se passe, notamment dans son air Cercherò lontana terra avec un trompette solo très émouvant, en mendiant cherchant fortune. C’est une scène qui par sa simplicité et sa justesse, résume assez le propos de Niermeyer qu’on comprendra d’ailleurs à la toute fin.
Le joyeux désordre vire à la comédie musicale, avec folie des couleurs, confusion des genres, éléphant rose digne d’un ballet de Chantal Goya, et mariachis sans doute pour ne pas dépayser Camarena (ni le chef, mexicain lui aussi).
Ce monde est complètement déglingué et fou, et a basculé dans le show, à l’opposés de canons tranquilles de Don Pasquale, un monde qui est en train de transformer sinon détruire sa vie rangée, mais c’est un monde d’entertainment plus que dramma buffo : Niermeyer explose aussi le genre du spectacle, irnt vers le musical ou l’opérette… l’opérette… un genre qui naît lui aussi quand avec Don Pasquale se clôt un monde…
On comprend le propos de Niermeyer, détourner l’amertume ou ce qui pourrait faire drame ou mélancolie vers la joie et le joyeux désordre, mais aussi casser l’ordre initial et bourgeois qui puisse en même temps musicalement emporter la salle et diluer le message dans les paillettes en cassant le genre musical. Ça n’est pas la partie la plus réussie même si on en comprend l’intention et même si c’est intelligent. Mais cette folie-là a dû plaire à Francesco Micheli…
Bien plus inattendu en est le dénouement.
Quand Pasquale dépassé et à bout renonce à cette Norina virago qui lui bouffe tout son argent sans compter et qui va jusqu’à le partager avec ses amis (sa troupe, son groupe) , sur qui il n’a plus aucune prise (en a‑t‑il jamais eue) : il n’est plus maître chez lui ni maître de sa vie : on comprend que son rêve d’une femme soumise s’est envolé depuis longtemps et qu’il aspire seulement à sa propre paix, revenir à son égoïsme primaire. Il renonce. Tout rentre dans l’ordre prévu par Malatesta, Ernesto est sauvé….
On pense que tout est résolu, apparaît dans la fête finale la banderole« amore libero/amour libre) qui fait pendant à celle du mariage de la première partie avec Don Pasquale. Cette fois, c’est la fin qui est anticipée…
Norina sort après son rondò suivie par Ernesto, mais Norina saute seule dans sa voiture filant vers d’autres aventures : elle a choisi la liberté, valeur encore plus grande que l’ascension sociale que pouvait lui procurer Ernesto…
En route vers Carmen….
Le travail d’Amelie Niermeyer est un travail intelligent, qui pose à la fois des questions sociales, mais aussi sociétales, touchant à la hiérarchie des valeurs. Il est clair que l’amour romantique à la Ernesto n’est pas pour cette Norina, pas plus que la vie rangée d’épouse d’un héritier. En ce sens, elle explose toute la trame construite par Malatesta. Au fond, le seul qui va s’en sortir tranquille pour retourner à sa douce vie de retraité, c’est Don Pasquale. Habile manière de transformer complètement la morale de l’histoire.
Le plateau
Il faut saluer le Festival de faire en sorte que la Bottega Donizetti puisse permettre à des chanteurs valeureux de participer aux productions dans des rôles importants et non dans des rôles d’appui. C’était le cas dans Zoraida di Granata avec Tuty Hernàndez
Lilla Takács et Valerio Morelli, c’est le cas dans Don Pasquale avec Dario Sogos (Malatesta) et Giulia Mazzola (Norina). Et tous s’en sont sortis au minimum avec les honneurs, mais encore bien mieux le plus souvent.
Le seul rôle dit "de complément" dans la distribution est celui du notaire, confié à l’excellent Fulvio Valenti avec en sus trois acteurs très engagés et vifs, Alessandra Bareggi, Hillel Pearlman et Vittorio Pissacroia, les domestiques un peu délurés de Don Pasquale ; tous composent un « entourage » particulièrement drôle, mais jamais vulgaire, et le chœur de l’Accademia della Scala toujours dirigé par Salvo Sgrò s’en donne à cœur joie, dans cette fête de la couleur et dans le charivari des genres.
Dario Sogos, comme déjà signalé issu de la Bottega Donizetti, est Malatesta, la voix n’a peut-être pas encore le relief et la projection voulues, elle manque de volume, notamment dans le duo cheti cheti immantinente avec Don Pasquale où le jeune chanteur souffre de la comparaison avec un baryton aussi expérimenté que De Candia, mais déjà bien des qualités de phrasé, d’émission, de clarté dans la diction et une vraie technique (avec de bons sillabati notamment). Par ailleurs, il est très engagé dans le jeu, avec une vraie présence scénique : c’est un début assez convaincant même s’il faudra évidemment le réentendre.
Sa collègue Giulia Mazzola sortait de problèmes de santé qui ont tenu en haleine jusqu’au dernier moment, mais le jeune soprano a affronté le rôle de Norina avec beaucoup de cran et d’engagement. On pourrait préférer pour Norina une voix plus assise, un soprano plus franchement lyrique, mais la technique est là, ainsi que la présence et elle se sort de son premier air très attendu so anch’io la virtu magica avec une vraie expressivité et un vrai sens de la couleur. L’assurance est la plupart du temps au rendez-vous grâce à une belle musicalité et des agilités maîtrisées et de belle facture (rondò final). Mais Giulia Mazzola s’est surtout emparée du personnage vif et marginal, jeune et énergique, avec un sens de la scène accompli, si bien qu’elle se glisse dans la mise en scène avec une facilité qui ravit et qui fait la joie du public. Un beau début, évidemment à confirmer.
Javier Camarena n’était pas dans sa meilleure forme, lui qui est l’un des ténors de référence dans ce répertoire et qui montre des qualités évidentes de clarté, de phrasé, et aussi de raffinements délicats notamment dans sa romance com’è gentil du troisième acte malgré des problèmes de justesse qu’on ne lui connaissait pas. Mais où est passé l’éclat ? Où est même passée la projection ? Le timbre a perdu de sa séduction et l’ensemble paraît singulièrement éteint, terne alors qu’il fut sur cette même scène encore un Nemorino de classe en 2021. Il reste à souhaiter que ce soit un passage à vide, parce que Camarena sait encore donner au personnage de la poésie et de l’émotion.
Ce qu’on aime dans le Don Pasquale de Roberto De Candia, c’est qu’il n’est jamais caricatural, jamais exagéré, jamais ridicule. Il sait ne jamais tirer vers le clownesque, et il embrasse pour cela la mise en scène avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité. Il n’est jamais démonstratif au mauvais sens du terme, mais toujours solide, toujours juste, avec des qualités de projection et de volume enviables, et une expressivité qui sait amrqur les émotions, les indignations, les variations d’humeur avec une justesse jamais prise en défaut. A cela s’ajoute une technique du sillabato qui laisse pantois. La mise en scène ne détruit pas le personnage et en fait une sorte de victime, il réussit à être émouvant, peut-être l’un des plus émouvant de tous. Grande interprétation. Roberto De Candia a conduit une carrière solide, jamais spectaculaire, mais il est toujours au rendez-vous de l’excellence.
La direction musicale
Confiée au jeune chef mexicain Iván López Reynoso, la direction de l’ensemble frappe par sa vivacité. Sa riche fréquentation du répertoire d’opéra lui donne une assurance évidente, un vrai sens du théâtre ; Il a travaillé à Pesaro avec Alberto Zedda où il a dirigé Il Viaggio a Reims et dirige beaucoup de répertoire italien. Cette expérience s’entend et l’on peut apprécier également la prise sur le Donizetti Orchestra, très précis, aux attaques nettes, et au son bien dessiné, avec un sens du rythme et un vrai relief dans l’approche, laissant aussi des moments de vraie poésie (l’air d’Ernesto Com’è gentil) et sachant alors moduler un volume qu’il a tendance à laisser quelquefois aller au-delà du raisonnable (l’ouverture). C’est vraiment le point un peu problématique de cette direction que la maîtrise du volume orchestral dans les ensembles, voire dans certains airs. On vérifie que Giulia Mazzola est une Norina puissante parce qu’elle sait survoler le flux orchestral un peu excessif pour mon goût, qui est d’autant plus regrettable que Iván López Reynoso sait aussi – il le montre- être délicat et sensible à un certain raffinement. Défaut de jeunesse ?
Au total, quelques rapides observations sur ce Festival 2024 : on aurait aimé une production d’adieu de Francesco Micheli, mais par coquetterie, il nous frustre, et propose trois productions d’autrui, dont deux productions venues d’ailleurs : il est possible que les temps soient durs aussi à Bergamo pour qu’une production comme celle d’un Don Pasquale ait été louée à un autre théâtre, mais qu’importe puisque le succès a salué les trois soirées d’opéra.
Franscesco Micheli a donné à ce Festival une âme, une vie, a fait circuler la joie dans la cité, en cherchant à chaque fois à associer le territoire à la manifestation (même si la ville de Bergamo ne met pas une logistique efficace au service des Festivaliers…). Son apport est en ce sens original. : le festival Donizetti n’est pas compassé, ni élitiste, il est toujours joyeux, souvent étonnant, et il élargit d’une manière incroyable notre culture musicale. On murmure que ce départ est plus douloureux qu’il n’y paraît et que les motivations sont aussi « politiques », c’est dommage, parce que le Conseil de Fondation trouvera difficilement un directeur artistique qui soit aussi imaginatif.