Benjamin Britten (1913–1976)
Peter Grimes (1945)
Opéra en trois actes et un prologue
Livret de Montagu Slater, d'après le récit en vers The Borough (1810) de George Crabbe.
Créé au Sadler's Wells Theatre de Londres le 7 juin 1945.

Direction musicale : Simone Young
Mise en scène : Christine Mielitz
Décors et costumes : Gottfried Pilz
Chorégraphie Roland Giertz
Peter Grimes, un pêcheur Jonas Kaufmann
Ellen Orford, veuve, institutrice Lise Davidsen
Balstrode, capitaine de navire en retraite Bryn Terfel
Auntie Noa Beinart
1ère nièce Ileana Tonca
2ème nièce Aurora Marthens
Bob Boles Thomas Ebenstein
Swallow Wolfgang Bankl
Mrs. Sedley Stephanie Houtzeel
Reverend Horace Adams Carlos Osuna
Ned Keene Martin Häßler
Hobson Erik Van Heyningen
Chor der Wiener Staatsoper
Chef des chœurs : Thomas Lang
Orchester der Wiener Staatsoper
Vienne, Wiener Staatsoper, 29 janvier 2022 , 19h

Peter Grimes de Benjamin Britten, considéré comme un des chefs d’œuvre du XXe siècle, n’est pas si fréquent à Vienne puisque l’œuvre y est entrée au répertoire le 12 février 1996 dans la production de Christine Mielitz encore reprise cette saison après une quarantaine de représentations. Mais cette reprise a le parfum particulier des soirées exceptionnelles parce que c’est une prise de rôle de Jonas Kaufmann dans le rôle-titre, et de Lise Davidsen en Ellen avec en sus le retour de Sir Bryn Terfel en Balstrode.
Comme attendu, la soirée fut musicalement exceptionnelle, un de ces moments de grâce où tout semble se mettre en place pour devenir une pierre miliaire.

Jonas Kaufmann (Peter Grimes) et l'apprenti "embarqué"

En 1996, pour l'entrée au répertoire, la baguette avait été confiée à Mstislav Rostropovitch, grand admirateur de Britten, et le rôle à Neil Shicoff encore au faîte de sa carrière, et déjà Simone Young, la première femme à avoir dirigé à l’Opéra de Vienne (en 1995) avait assuré la première reprise dès mai 1996 et ensuite quelques autres, dont un « Wiederaufnahme » (reprise retravaillée en 2005). Parmi les titulaires du rôle qui se sont succédé depuis, on note notamment outre Neil Shicoff qui en a assuré un bon tiers, Stephen Gould et Thomas Moser. L’œuvre a été régulièrement reprise de 1996 à 2000, puis en 2005 et 2006. Dominique Meyer l’a programmée en 2013 sous la direction de Graeme Jenkins qui a assuré les dernières reprises en 2016 avec Stephen Gould et Elza van der Heever.
Bogdan Roščić programme à son tour Peter Grimes, dans la même production retravaillée, qui se justifie par une toute nouvelle distribution et deux prises de rôle.
Par un étrange hasard des programmations, le Theater an der Wien a programmé en octobre 2021 une reprise de la propre production (2015) de Peter Grimes, mise en scène par Christof Loy, et dirigée par Thomas Guggeis, qui explore de manière plus aiguë les arcanes psychologiques de ce drame… Mais les deux maisons n’ont pas la même fonction dans la capitale autrichienne et donc elles ont une couleur radicalement différente…

Peter Grimes est une de ces œuvres au potentiel scénique très riche, qui permet des lectures plus ou moins approfondies, qui vont des questions de rumeurs dans les petites villes, à l’homosexualité ou la pédophilie qui en 1945 ne pouvaient être abordées directement mais qui peuvent être affrontées dans les lectures contemporaines des metteurs en scène.
Le texte original de Crabbe propose un Peter Grimes bien plus noir, peu recommandable, une brute sans grand cœur, alcoolique, qui maltraite et peut-être plus ses apprentis. Le librettiste Montagu Slater, qui a adhéré au parti communiste en 1927, oriente l’histoire vers l’idée d’un Peter Grimes victime des rumeurs d’une petite ville de province du Suffolk (qui ressemble à la ville d’origine de Britten, Aldeburgh) et donc plutôt victime d’un déterminisme social que de la personnalité assez monstrueuse qui aurait même tué son père vue dans le texte originel de Crabbe.

Lise Davidsen (Ellen) Jonas Kaufmann (Peter Grimes) Bryn Terfel (Balstrode) devant l'apprenti mort

Britten et son librettiste jouent donc cet espace entre original et adaptation, sur toutes ces ambiguïtés, ces mystères, ces non-dits. Et Peter Grimes est un opéra du non-dit, qui peut être l’objet d’une simple illustration, un petit village de pêcheurs où tout le monde se connaît et où les bruits vont bon train à l’intérieur d’une communauté à l’esprit étroit, ou d’une analyse approfondie du personnage principal, dont la psychologie navigue entre les interdits (et notamment l’homosexualité) et une relation au monde singulière, voire brutale débouchant sur une irrémédiable solitude.
Christine Mielitz dans sa production se garde bien de gratter là où ça fait mal. Son travail est une parfaite illustration d’une production de répertoire, relativement intemporelle : âgée d’un quart de siècle, la production n’a pas trop vieilli, elle ne heurte pas les consciences et se laisse voir sans désagrément ni excitation. Elle est sagement illustrative, évitant soigneusement de secouer un public qu’on suppose peu enclin à accepter trop de complications pour l’entrée en répertoire d’une œuvre mal connue. Il s’agit d’abord de poser l’œuvre, de la faire accepter, avant d’aller plus avant dans les arcanes psychologiques ou psychanalytiques qui sont pourtant bien présents dans l’œuvre de Britten (et pas seulement dans Peter Grimes d’ailleurs).
Le nœud de l’œuvre est donc posé dans cette vision par la solitude du héros face à la petite communauté, son incapacité à se faire accepter ou à communiquer, et qui se décline dans sa relation à ses apprentis (représentés ici par des enfants) qui pourraient aussi bien être des adolescents, qu’il brutalise jusqu’à les envoyer (sans le vouloir ?) à la mort.
Être solitaire et peu reconnu socialement sinon par ses rares amis, Ellen Orford qu’il aimerait épouser et le capitaine Balstrode, c’est aussi être un coupable idéal dans le milieu rabougri d’une petite ville…

Bryn Terfel (Balstrode) Jonas Kaufmann (Peter Grimes)

En 1996, Christine Mielitz passait pour une artiste clivante, et sans doute cette mise en scène ne compte-t-elle pas pas parmi ses travaux les plus incisifs. Ayant étudié à Berlin-Est auprès de Götz Friedrich, puis assistante de Harry Kupfer à Dresde, elle fait partie de cette génération de metteurs en scène venus de l’Est qui ont marqué les années 1980 et introduit le « Regietheater » sur les scènes allemandes. Son travail apparaît aujourd’hui est propre et bien plus lisse que l’histoire ne l’est dans sa crudité et sa réalité, mais il a l’avantage de laisser aux chanteurs une large liberté de jeu et d’interprétation…

Un décor nocturne abstrait (de Gottfried Pitz), géométrique, assez bien éclairé, qui évoque la mer, la lande, le rivage, c’est à dire un espace sans limites à l’intérieur duquel la communauté villageoise est l’essentiel du décor : peu d’objets, des sièges, une idée de barque, et une foule de personnages très caractérisés qui forment l’essentiel du travail. Mielitz se refuse par exemple à faire exister le pub « The Boar » pourtant un lieu central de l’intrigue où tous se croisent.
Comme le librettiste Montagu Slater, Mielitz fait des villageois l’entité-clé du spectacle, renforçant ainsi le rejet et la singularité de Grimes, et l’amenant au suicide final. Les villageois semblent être cette barre infranchissable à l’intérieur de laquelle se faufile Grimes, le chœur toujours de face, devient presque substitut, ou métaphore de cet océan qui va engloutir Grimes. Le spectacle construit une vraie coupure entre les scènes de foule et celles où les personnages se retrouvent isolés, comme perdus dans une atmosphère à laquelle échappe tout réalisme, là où souvent on a vu des productions bien plus « réalistes ».

C’est bien cette opposition entre groupe et individus qui est ici marquée, mais les individus et notamment Grimes gardent leurs mystères et leurs ambiguïtés. Certes on voit Grimes maltraiter son apprenti (le petit Ilja Savenkov), on le voit le forcer à travailler au-dessus de ses forces, grimpant aux voiles (supposées, on n’en voit que l’échelle de corde), on voit aussi Ellen Orford en contraste avec le jeune John dans une scène qui commence pacifiée – c’est le week end, le jeune apprenti se repose, et qui se termine en drame et en rupture puisque Grimes voulant le récupérer frappe Ellen, ruinant ainsi tout l’avenir dont il rêvait à ses côtés.
Voilà une mise en scène qui sans déranger vraiment, distancie l’histoire et refuse l’affichage psychologique, c’est un peu dommage car elle efface un peu la complexité qui est l’un des caractères de cette œuvre.

Le chœur de la Wiener Staatsoper barrant le plateau

La réalisation musicale est en revanche exceptionnelle, et pas seulement à cause des trois protagonistes et donne à la reprise de cet opéra qui reste assez rare à Vienne un véritable prix et un intérêt renouvelé.
Le chœur de la Wiener Staatsoper, dirigé par Thomas Lang, bien que victime du Covid (il manquait quelques exécutants), a en compensation fait une démonstration éclatante de son engagement et de sa qualité, tout au long de la soirée et en particulier dans sa magnifique intervention du troisième acte, pleine d’énergie et de puissance, un des moments les plus impressionnants du spectacle.
Comme nous le soulignons souvent, la qualité d’une distribution se lit non pas tant à celle de protagonistes souvent célèbres qu’à celle de tous les autres rôles, très nombreux dans Peter Grimes. Il est en effet assez facile s’ils sont disponibles d’engager Kaufmann, Davidsen et Terfel. Moins facile de distribuer les 14 autres rôles qui doivent être sans défauts, chacun dans son ordre, en tenant compte et des forces locales, et des chanteurs invités, dans un répertoire qui reste malgré tout relativement peu représenté, même si de plus en plus fréquent. Tous ces rôles – c’est un caractère de l’œuvre de Britten- sont aussi des profils singuliers, et des natures vocales particulières.
Et tous sont au rendez-vous, et composent par la diversité des couleurs vocales, des expressions, qui vont du persiflage à l’ironie, en passant par la méchanceté, un tableau musical qui est composé d’autant de tesselles d’une magnifique mosaïque, le public d’ailleurs ne s’y trompe pas, qui a fait un accueil triomphal à l’ensemble de la troupe.
Alors on saluera d’abord la Auntie de caractère de Noa Beinart, au profil plutôt pacifié, avec sa belle voix de contralto, et ses deux nièces chantées par Ileana Tonca et Aurora Marthens qui chantent toutes trois souvent des couplets émouvants et un peu amers, avec des voix très bien assorties, toutes un peu opposées au personnage de Mrs Sedley, remarquable Stéphanie Houtzeel, avec son profil caricatural, souvent comique et peu sympathique, qui pousse tous les villageois contre Peter Grimes au troisième acte. Notons encore Wolfgang Bankl, institution viennoise, l’un des piliers de la Staatsoper, qui est l’avocat Swallow au caractère équilibré, et qui essaie de calmer les esprits en disculpant Grimes,

Martin Häßler (Ned Keene) Bryn Terfel (Balstrode)

ou Martin Häßler, l’excellent baryton-basse, qui est le très trouble Ned Keene, une vraie « figure » qui fournit à Grimes les jeunes apprentis et lutine l’une des nièces.  Il faut aussi citer Thomas Ebenstein (un Bob Boles pour ténor de caractère qui dessine parfaitement ce personnage toujours trop pris par l’alcool) Carlos Osuna (le révérend Adams) et Erik van Heyningen, membre du studio (Hobson) ainsi que Pavel Strasil, Ferdinand Pfeiffer, Irina Perost et Juraj Kuchar sans oublier Ilja Savenkov (John, le petit apprenti de Grimes). Tous, à leur niveau, concourent à faire de la représentation un beau moment musical parce qu’ils sont tous part de ce paysage humain diversifié voulu par Britten, mais aussi profilés par une mise en scène qui voit les sujets humains comme autant d’indices didactiques de cette ambiance vaguement brechtienne.
C’est une enfin une nécessité pour une institution comme la Wiener Staatsoper d’avoir toujours sous la main un nombre important d’artistes capables chacun de maintenir un vrai niveau global d’une maison aussi prestigieuse. Tous font des apparitions, ponctuelles quelquefois, mais jamais pris en défaut. En effet, l’œuvre est « chorale », face aux trois personnages principaux, il faut que le petit monde du village soit parfaitement illustré par des personnages très caractérisés et bien ciblés par la musique.
Mais évidemment, ce sont les trois protagonistes qui auront largement marqué la soirée.

Bryn Terfel (Balstrode)

Bryn Terfel est Balstrode, il a déjà chanté le rôle dans cette production en 1997, mais aujourd’hui, sa longue carrière au sommet du monde de l’opéra, sa carrure imposante, la maturité de l’allure, le destinent sans doute encore plus à ce rôle de capitaine retraité, dans cette production où le phrasé, la voix apaisée et fluide, le timbre (qui a perdu un peu de son métal, mais gagné en suavité) en font ce personnage respectable  et respecté, vaguement « embourgeoisé », plutôt écouté et pas du tout le genre vieux marin qu’on voit quelquefois, une prestation faite de noblesse, et de grandeur simple.

Lise Davidsen (Ellen) avec le petit John, apprenti

Une fois encore Lise Davidsen stupéfie par la voix à l’étendue presque unique, si homogène du grave à l’aigu, particulièrement affirmée et puissante. C’est une prise de rôle pour la chanteuse norvégienne, dans un rôle où elle serait presque surdimensionnée : on peut penser à des Ellen Orford à la voix plus « contenue ».  Sa fraicheur, sa jeunesse en font plus une « jeune première » qu’une veuve, mais on sait aussi qu’il existe dans le théâtre des « jeunes veuves » (Marivaux en sait quelque chose). Il reste que ces remarques n’entachent pas le plaisir incroyable de cette voix en pleine santé, affirmée, mais qui sait en même temps afficher le doute face au comportement de Grimes : la scène avec le jeune apprenti sur la plage est l’une des plus émouvantes, où elle affiche une douceur, une humanité qui saisissent le spectateur, loin d’une walkyrie wagnérienne, mais assez proche, par la couleur déchirée du chant, de son Elisabeth bayreuthienne. Grandiose incarnation, très contrôlée et très sensible.

Jonas Kaufmann (Peter Grimes)

Et puis il y a Jonas Kaufmann : le format du chanteur, à la taille moins impressionnante que celle de Terfel mais aussi de Davidsen, en font déjà physiquement un personnage plus fragile à la scène. Vickers, que j’ai eu la chance d’entendre était en scène comme un chêne abattu. Avec une voix qui en rappelle les inflexions notamment au troisième acte, le Peter Grimes de Kaufmann n’a rien d’un chêne, mais semble plutôt un roseau fragile en permanence au bord de la brisure.
Beaucoup ont l’habitude de voir dans le personnage de Peter Grimes une sorte de sauvage atteint dans la dernière partie par une foudre qui le plonge dans un enfer. Et d’ailleurs, nous l’avons écrit plus haut, le poème de Crabbe était bien moins tendre avec Grimes, que Montagu Slater et Britten ont atténué.
Kaufmann en fait un personnage humainement atteint dès le départ. La voix s’affirme, certes, mais sans jamais se départir de cette ombre structurelle qui pèse sur le personnage, que la couleur plutôt sombre du timbre renforce. Les coups de colère sonnent comme des coups de désespoir, comme des pas progressifs vers la fin. Un Peter Grimes proche de Wozzeck, être désorienté en proie aux regards et aux accusations d’une communauté hostile.
Kaufmann sait parfaitement qu’il ne sera jamais – et qu’il n’a jamais été un ténor héroïque et ses qualités sont ailleurs, dans la manière qu’il a de montrer une intériorité troublée, d’afficher toujours de la fragilité, voire de la tendresse, même dans les pires moments (comme son Otello) et dans le soin donné au phrasé, aux mots, à l’expression presque trop raffinée quelquefois et un tantinet maniérée qui en l’espèce serait ressentie comme contradiction avec la rudesse du personnage.  Alors il est évident qu’il tranche sur les Peter Grimes bifaces qu’on voit quelquefois, sorte de Janus bifrons aussi horrible que pitoyables. Pat ailleurs l’absence de prise de position claire de la mise en scène, assez extérieure à toute analyse psychologique, lui permet de s’installer tranquillement dans le personnage qu’il veut asseoir sans exigences trop appuyées d’un metteur en scène qui lui imposerait une direction donnée. Ce Peter Grimes est inhabituel, certes, et d’aucuns le trouvent un peu en deçà de l’attendu, c’est au contraire pour moi l’affirmation d’une profondeur du personnage, de son incapacité à exprimer la réalité de ses sentiments qu’il n’arrive jamais à extérioriser et ce caractère tout réprimé laisse passer des gestes qu’il n’arrive pas à contrôler : mystérieux et pitoyable de bout en en bout, mais avec encore des « réserves » qu’il ne manquera pas de développer dans un rôle nettement plus calibré pour lui, à ce moment de sa carrière, que d’autres rôles abordés ces dernières années. Il y est déjà bouleversant.

Au pupitre de l’orchestre de la Staatsoper, Simone Young, habituée de cette fosse depuis 1995 où elle a dirigé une trentaine de titres. Comme nous l’avons souligné, elle a dirigé Peter Grimes à la suite de Rostropovitch en 1996, ainsi que la reprise de 2005. Elle connaît donc bien la production et évidemment la partition qu’elle aborde de manière plus épique que lyrique, gérant les masses orchestrales à la manière de grandes vagues marines, avec un son puissant qui ne laisse pas s’attarder sur les détails et les textures internes de la partition. Avec un orchestre qui sait montrer son excellence (les bons soirs) et où l’on ne note aucune scorie, avec des sons toujours précis et un engagement évident, elle fait sonner cette musique particulièrement protéiforme, en nous laissant plus penser aux compositeurs qui précédèrent Britten, comme Janáček (mort en 1928), Berg (mort en 1935)  ou ses contemporains comme Chostakovitch plutôt que les chants populaires, voire les allusions à la musique légère ou les traits de music-hall, présents aussi notamment dans la première partie et le descriptif des caractères et de ce petit monde rabougri du village. Sous des formes assez traditionnelles qui pourraient rappeler les formes du XIXe, on trouve dans cette musique aussi bien des tics de l’opérette que des profils nés de Wozzeck (n’a‑t‑on pas parlé de Wozzeck britannique ?), comme les six interludes essentiellement « marins », aux couleurs impressionnistes (on pense aussi un peu à Debussy à certains moments), qui structurent le drame, comme ceux de Pelléas ou de Wozzeck et qui témoignent de la luxuriance de cette musique, sans parler de la passacaille, l’un des moments les plus noirs de l’œuvre, qui à défaut de le montrer, dit en musique le drame subi par le petit apprenti et qu’on aurait peut-être aimé encore plus fouillée dans les détails.
La direction de Simone Young, vigoureuse, incisive, dramatique, impressionne donc moins par la variété des couleurs et le culte du détail que par la construction, l’architecture, la masse sonore et l’énergie déployée. On peut regretter qu’avec un Peter Grimes aussi subtil que Jonas Kaufmann, le travail sur les détails de la partition ne soit pas aussi raffiné, mais l’ensemble tout de même marque l’auditeur par sa force et reste convaincant.

Bryn Terfel (Balstrode) Jonas Kaufmann (Peter Grimes)

 

Au total cette reprise magnifiquement distribuée dans ses moindres rôles rend vraiment justice au chef d’œuvre de Britten dans toute sa puissance et ses ambiguïtés. Le succès remporté auprès du public de Vienne pourrait peut-être laisser espérer une future nouvelle production…

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
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2 Commentaires

  1. Personnellement j'ai trouvé le travail de Simone Young très fouillé et decouvert des aspects inédits de la partition.
    Nous retrouvons le chemin de l opéra de Vienne avec joie, la perfection de cette représentation est a l'aulne des grandes soirées de Munich.

  2. Nous avons vu les représentations du 2 et du 8 et pu constater une évolution de Kaufmann. Le 2 il n'était que souffrance (il sait faire !) et donc pas totalement Grimes ; le 8 il était plus brutal et plus colérique, comme s'il intégrait peu à peu le personnage. Lise Davidsen a été extrêmement émouvante (la quatuor du II !!!!) et a corrigé ces quelques passages où sa voix était "trop forte" (sans doute n'aurait elle pas la voix du rôle.… ) Quand à Terfel, il EST Balstrode, encore plus époustouflant pour cette dernière (d'aucuns disent qu'il prononce mal ?! un accent gallois sans doute). Magnifique spectacle.

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